1.2 Un tiers-lieu professionnel
La définition proposée par le site Creative
Wallonia nous invite donc à mobiliser la notion de tiers-lieu
(traduction de third place) que nous devons à Ray Oldenburg (Oldenburg,
1989). L'auteur s'est intéressé à la naissance de nouveaux
lieux, intermédiaires entre le domicile et le travail, adaptés
à un style de vie urbain, individualisé et mobile. D'après
la classification qu'il propose, les premiers-lieux désignent le
domicile et les endroits de vie privée. Les seconds lieux se
caractérisent par les espaces de travail traditionnels où
l'individu passe la majeure partie de son temps. Le tiers-lieu est donc une
place hybride, localisée dans l'espace, qui répond selon l'auteur
à quelques critères. Parmi eux : la gratuité ou le bon
marché, l'accessibilité, le cadre hospitalier et confortable,
accueillant des habitués mais aussi des gens de passage (Genoud,
Moeckli, sd, p.4). Ces lieux sont neutres, simples, facilitent les rencontres
dans un climat informel. En définitive, il s'agit d'un type d'espaces
assez vaste allant du café à la bibliothèque en passant
par un hall de gare, qui se positionnent comme une alternative aux deux
sphères socialement structurantes que sont le domicile et le lieu de
travail et dans lesquels se développent des usages hybrides.
Avec la « révolution numérique » le
concept de tiers-lieu a suscité un regain d'intérêt. La
numérisation des fichiers, les outils de communication en ligne, les
réseaux sociaux et de manière générale la
convergence des supports a permis de « délocaliser »
progressivement des activités quotidiennes. D'où un nouveau
regard porté sur ces lieux, qu'ils soient explicités comme tel ou
non. Car en effet « ce n'est pas tant le lieu qui fait tiers-lieu mais
l'usage » (Garov, 2012). C'est d'ailleurs par les usages qu'il semble
intéressant de distinguer les différents types de tiers-lieux.
Ainsi, la classification actuelle proposée par l'équipe de la
Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing) nous paraît
convaincante puisqu'elle en distingue trois sous-catégories et permet
ainsi de préciser l'inscription des EC dans le champ des tiers-lieux.
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des lieux de médiations et d'accès :
médiathèques, Espaces Publics Numériques (EPN),
cafés wifi...
· des lieux de création et de projets : fablabs,
makerspaces... 1
· des lieux de travail et entrepreneuriat : espaces de
coworking, télécentres, business lounge...
Bien que les frontières ne soient en
réalité pas si hermétiques (on retrouve parfois deux types
de tiers-lieux au sein d'un même espace), cette catégorisation
permet d'observer l'espace de coworking comme tiers-lieu formalisé,
à visée professionnelle et donc comme nouvel espace alternatif de
travail. Ray Oldenburg répertoriait les espaces urbains qui
s'inventaient tiers-lieux sans pour autant se définir de la sorte. Il
s'agissait d'avantage d'une appropriation spontanée et individuelle d'un
lieu, que ce soit une librairie ou même un salon de coiffure dans
certains pays, qui donnait naissance à une communauté vivante. On
remarque aujourd'hui que l'utilisation de cette notion désigne des lieux
qui se sont construits, ont été pensés et
aménagés autour de ces nouveaux usages. Ce fut par exemple une
des lignes directrices du développement de la chaîne de
coffeeshops Starbucks dans le monde. Remarquant la fréquentation
croissante de travailleurs occasionnels nomades qui grâce à leur
équipement personnel (ordinateur portable, tablettes et autres
terminaux) pouvaient exercer leur activité presque n'importe où,
la chaîne Starbucks y a vu une niche à exploiter. Séduit
par le concept de tiers-lieu, Howard Schlutz PDG de la marque en a fait le
coeur de ce qu'il appellera « l'expérience Starbucks » :
« Starbucks, c'est une atmosphère rationalisée mais
décontractée, efficace mais lounge [...] Le sens de la
flânerie est travaillé, de même que l'esthétique de
la décoration.[...] Le but est de s'y sentir bien quelque soit la
situation : en travaillant connecté, avec des amis, ou pour signer des
contrats. Certains appellent cela la "classic Starbucks experience"
»2. Sans rentrer plus loin ici dans le débat de la
récupération marketing et marchande du concept de tiers-lieu et
donc de sa potentielle dénaturation (Daix, sd), nous nous
intéressons au fait que le tiers-lieu notamment professionnel semble
aujourd'hui correspondre à des attentes spécifiques de la part
d'une catégorie de population urbaine, mobile, connectée... Une
catégorie de population qui a intégré les usages
numériques au
1 En ce qui concerne la thématique spécifique des
fablabs et makerspaces que nous n'aborderons pas plus en profondeur ici, je
renvoie aux récents travaux de la Fing :
http://www.slideshare.net/slidesharefing/tour-dhorizon-des-fab-labs
(consulté le 21/07/2014)
2 DAIX, Matthieu, Le marketing selon Starbucks, le concept de
third-place,
http://www.brocooli.com/le-marketing-selon-starbucks-le-concept-de-third-place/
(consulté le 28/07/14)
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quotidien et qui recompose son environnement social et
professionnel de manière flexible et décloisonnée. Une
catégorie de population considérée leader d'opinion,
prescriptrice des tendances culturelles et des modes de vie à venir.
Le déploiement récent des EC dans les
territoires urbains semble donc répondre aux attentes et aux usages mais
aussi aux valeurs de plus en plus affirmées des travailleurs du
XXIème siècle, que l'on retrouve dans le concept de tiers-lieu. A
ce titre, Bruno Moriset nous fournit un tableau comparatif qui
révèle la similarité des approches entre les lieux
décrits par R.Oldenburg il y a vingt-cinq ans et les EC. Pour cela
l'auteur prend appui sur Citizen Space, l'un des premiers EC basé
à San Francisco, source d'inspiration pour beaucoup d'acteurs du
coworking (Moriset, 2014, p.8)
Figure 1 : tableau valeurs « des tiers-lieux » et
des espaces de coworking : une comparaison. (Source : Moriset, 2014,
p.8)
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