VII-2-Cadre théorique
Si au Cameroun, les travaux portant sur la dynamique des
contacts forêt-savane sont peu nombreux, ailleurs et en particulier en
Côte-d'Ivoire, de nombreuses études lui ont été
consacrées. De celles-ci, il ressort une très grande
diversité d'approches et de points de vue qui s'inscrivent dans deux
grandes tendances. L'une conclut à un recul de la forêt devant les
pressions anthropiques diverses alors que l'autre évoque
l'hypothèse d'une progression de la forêt sous l'effet d'un climat
humide.
VII.2.1.Théorie de la savanisation et de la
disparition des forêts liée à l'homme
Parmi les thèses défendues et les prises de
position parfois militantes sur l'origine ou la répartition des savanes
préforestières, l'homme a été bien souvent
désigné comme unique responsable. Ces savanes seraient des
témoins de phases successives de trouées pratiquées par
l'homme dans la forêt par le biais des défrichements, des feux de
brousse et du surpâturage. Ainsi, Aubréville (1949) souligne que:
« le recul des lisières de la grande forêt
guinéenne et équatoriale est un fait évident,
contemporain, que chacun peut, avec un peu d'attention, constater de nos jours,
parce qu'il se manifeste sous nos yeux et parce que, parfois, la
régression est assez rapide. Vers les lisières actuelles des
forêts, on remarque des clairières, plus ou moins grandes,
couvertes de savanes épaisses de hautes herbes, dites souvent herbes
à éléphants... Il s'agit, personne ne le conteste, de
parcelles défrichées et incinérées par les
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indigènes, suivant leur méthode habituelle
de cultures en forêt sur brûlis suivi de l'abandon du terrain
après récoltes. »
Au Cameroun, Les étendues graminéennes seraient
le résultat d'une dégradation irréversible de la
forêt dense par le biais des défrichements et des brûlis
pratiqués depuis la période néolithique par les
cultivateurs (Kadomura, 1977 ; Kadomura et al, 1986 ; Hori, 1986 ; Chujo,
1986). Ces pratiques humaines qui sont supposées conduire à la
progression de la savane se seraient intensifiées depuis le début
du 20e siècle, suite à l'accroissement démographique
(Abah, 1984 ; Olivry, 1986; Ombam, 1992; Amougou-Akoa, 1986; Morin, 1989;
Kuété, 1989; Gartland, 1989, 1992).
VII.2.2. La théorie de la progression de la
forêt sur la savane liée aux conditions écologiques
favorables
Pour Youta Happi (1998), les conditions écologiques
actuelles influencent, non pas la répartition ponctuelle de la
végétation, mais le rythme de la progression de la forêt
sur la savane. A l'échelle locale, le facteur pédologique
commande en premier lieu la vitesse de la progression de la forêt sur la
savane. A ce titre, les surfaces à cuirasses ferrugineuses affleurantes
et les sols engorgés constituent un des facteurs limitant la vitesse de
progression. Ce facteur n'est très déterminant que lorsqu'il
s'associe aux feux de saison sèche qui, par temps d'Harmattan,
rencontrent à de tels endroits un couvert végétal
desséché. A l'échelle régionale également,
cette vitesse semble être en relation avec la fréquence des feux.
Les régions qui connaissent des pressions anthropiques relativement
importantes --cas de la région située au nord d'Akonolinga--
subissent une plus grande fréquence des feux et, par conséquent
une faible vitesse de la progression de la forêt. Les faibles
déficits locaux de la moyenne annuelle des pluies peuvent tout de
même expliquer la lenteur de l'avancée de la forêt. Par
exemple, la proportion de savanes est plus importante sur le confluent du Mbam
et de la Sanaga où la moyenne annuelle est comprise entre 1350 et 1400
mm alors que partout ailleurs dans le domaine de la mosaïque
forêt-savane, cette moyenne se situe autour de 1500 mm.
VII.2.3. La théorie de l'extension des
agroforêts sur la savane liée aux cultures
pérennes
A Kédia, la cartographie diachronique relative à
la période 1950-2000 montre que 59 % des 1 323 ha d'agroforêts de
cacaoyers, ont été mis en place sur le territoire d'une ancienne
savane (Aboubacar et al. 2007). Parmi ces agro forêts, 61 % (949 ha) sont
en pleine phase de production (plus de 10 ans) et 39 % (374 ha) correspondent
à de jeunes plantations en phase
Gleason considère plutôt que la dynamique de la
végétation est fondée sur l'individu. La communauté
végétale n'est donc pas un organisme mais un assemblage
d'espèces qui ont
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juvénile ou en début de production (< 10
ans). Ce processus est donc toujours fonctionnel actuellement. En effet, depuis
le début des années 1980 les reliques forestières ont
quasiment disparu et la constitution d'agroforêts à base de
cacaoyers ne peut se faire que sur un précédent de savane et en
association avec les cultures vivrières. Les touffes de graminées
vivaces (Imperata cynlindrica, Andropogon ...) sont
défrichées et brûlées mais les ligneux de savane
sont préservés et conservés. Cela permet de
contrôler ces graminées, et donc de limiter les risques d'incendie
qui pourraient détruire les plantations de cacaoyers à venir. En
deuxième année, de jeunes cacaoyers sont plantés en
association avec les cultures vivrières (arachide, maïs, manioc,
igname, plantain, etc.). Les fruitiers servant d'ombrage (agrumes, manguier,
safoutier, avocatier, etc.) sont plantés la même année que
les cacaoyers ou introduits progressivement. Cinq à huit ans
après, les cultures vivrières disparaissent et une
véritable agroforêt à base de cacaoyers se développe
dans une zone anciennement de savane, contribuant ainsi à l'extension
d'un couvert de type forestier dans ce milieu dominé initialement par
les herbacés.
VII.2.4. Les théories de la dynamique des
peuplements végétaux VII.2.4.1. La théorie organiciste de
Clements
Clements (cité par Vanpeene Bruhier, 1998)
développe une vision holistique des communautés
végétales c'est-à-dire qu'il les envisage comme un tout.
On lui doit d'ailleurs le concept de succession végétale. Pour
lui, les communautés végétales sont comparables à
des super organismes qui naissent, se développent, meurent et laissent
la place aux autres. Les espèces pionnières, par leur
présence et leurs effets sur le milieu, créent des conditions
favorables à l'installation de nouvelles espèces qui les
remplacent graduellement. Les espèces pionnières qui ont une
croissance rapide, une durée de vie courte et qui sont souvent
héliophiles colonisent l'espace, le modifient pour faciliter et
favoriser l'installation d'autres espèces de durée de vie plus
longue. C'est par exemple le cas de Ceiba pentandra ou kapokier dans
notre zone d'étude. Ces plantes pionnières ont donc un effet de
facilitation. L'aboutissement de cette succession conduirait au climax, stade
mature de la communauté végétale. Ce développement
illustre le « modèle de facilitation » qui est l'un des
modèles utilisés pour étudier les processus de la
dynamique naturelle des forêts.
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