WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

( Télécharger le fichier original )
par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1.2 L'Assemblée nationale de Guyane : un outil de communication

Conformément aux instructions ministérielles, Malouet convoque une Assemblée générale des habitants827. Chaque quartier ou paroisse élit deux délégués, qui sont attendus le 7 janvier 1777 à l'hôtel du gouvernement à Cayenne. Le procès verbal mentionne des acteurs et administrateurs déjà présents au Conseil supérieur : le gouverneur Fiedmond, l'ordonnateur Malouet ; les conseillers Louis Le Neuf de la Vallière, Honoré Vian, Macaye ; les députés des paroisses Vallet de Fayolle pour Roura, et Brouille de la Forest pour Sinnamary ; enfin Loeffler comme greffier de l'assemblée828. Pour Malouet, très enthousiaste, « jamais cette pauvre colonie ne s'étoit vue honorée d'une marque aussi flatteuse de la bonté du Roi et de la bienveillance de son ministre », écrit-il à Sartine le lendemain829. L'ordonnateur peut ainsi mettre en pratique les principes de transparence et de concertation vis-à-vis des habitants qui lui semblent nécessaires, tant d'un point de vue didactique que d'un point de vue relationnel. C'est aussi l'occasion de présenter son bilan de la situation en Guyane, ainsi que l'ébauche d'un plan et une série de mesures qui sont soumises à la délibération des députés. Lors de cette première séance, ils reçoivent un résumé des différentes mesures qui devront être débattues dans leur quartier. Celles-ci portent sur l'administration économique, civile, et politique de la colonie. Bien plus qu'un simple exposé des buts et des moyens pour relancer l'économie guyanaise, cette Assemblée est aussi un outil de communication à l'attention de la colonie, visant à affirmer l'autorité de l'ordonnateur.

Cette assemblée représente pour l'administration une opportunité de mettre en avant l'autorité dévolue aux administrateurs, plus particulièrement à l'ordonnateur. « Ces signes extérieurs

827 ANOM C14/44 F° 66

828 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 486.

829 ANOM C14/44 F° 56

194

de ses responsabilités sont importants pour l'administrateur, explique Céline Ronsseray, car c'est ce qui permet de le distinguer du reste de la communauté cayennaise. » Et de rappeler également le rôle important que jouent les espaces dédiés à l'exercice du pouvoir : l'Assemblée se tient dans l'hôtel du Gouvernement de Cayenne, qui rappelle le cadre de l'autorité de l'administrateur830.

1.2.1 Un exercice de communication

Tout d'abord, l'Assemblée est un lieu de dialogue entre la métropole et sa colonie dans lequel s'observent deux niveaux de discours, l'un allant du roi vers la colonie, l'autre allant de l'administration coloniale vers les habitants.

Le roi communique avec ses sujets

Représentant du roi dans la colonie, c'est au gouverneur Fiedmond qu'est confiée la tâche d'ouvrir la séance. Par un bref discours, il annonce l'objectif général de l'Assemblée. Celle-ci a été voulue par le roi, dans le but de délivrer aux habitants ses intentions pour « l'accroissement et le bien général de la colonie. » Malouet, à son tour, insiste sur l'importance que le roi accorde à la colonie. Louis XVI croit au potentiel de la Guyane, et son administration « juste et éclairée » envoie un signe fort à l'attention des habitants. Le roi leur fait confiance au point de consentir à exposer publiquement ses projets et à en débattre avec eux. Ils sont dépositaires de l'intérêt général, le roi leur confie la mission d'oeuvrer pour l'intérêt de tous, en leur laissant un pouvoir décisionnaire sur les sujets n'entrant pas dans le champ des compétences des administrateurs831.

Pourtant ce discours, qui se veut bienveillant ne doit pas faire illusion. La Guyane fait figure de bout du monde. C'est une colonie pauvre et très peu peuplée, éloignée des grands circuits maritimes du commerce triangulaire, si bien qu'elle reste un élément marginal du dispositif colonial français, et ne suscite guère l'attention de l'administration. « La colonie ne se réveilla [...] que sous le choc de la grande tentative de Choiseul, écrit Jean Meyer, qui se termina en désastre et en scandale832. » Dès lors, isolés de tout, les habitants se sentent oubliés et développent au fil des décennies une grande méfiance vis-à-vis de tout ce qui vient de la métropole. Jean Meyer parle même de haine. Les planteurs, riches et pauvres, deviennent de plus en plus enclins à vouloir gérer

830 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 517.

831 ANOM C14/44 F° 60

832 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 183.

195

seuls leurs affaires, et supportent d'autant plus mal la sujétion à une monarchie lointaine qui semble les avoir oubliés833.

Un des enjeux de l'Assemblée, donc, est de rassurer les habitants sur les intentions royales, et de ce point de vue, la partie n'est pas gagnée d'avance et la première séance débute de façon houleuse. Les habitants endettés s'alarment des dispositions pour recouvrer les créances, et perçoivent l'installation d'une compagnie de commerce d'un mauvais oeil. Nous l'avons vu, Malouet avait mis en garde le ministre sur les projets irréalistes de la compagnie. Il fait cependant son devoir et défend ce projet voulu par la monarchie, quand bien même ses « agens se donnent tous les jours en spectacle comme les plus ineptes et les plus grossiers de tous les hommes834. » Il tente de rassurer l'Assemblée et répète d'ailleurs tout au long de son allocution qu'en tant que dépositaires du pouvoir royal, les administrateurs n'ont de seul but que de suivre les instructions de Versailles et d'oeuvrer à la prospérité de la colonie et de ses habitants. La deuxième séance débute sous les mêmes auspices. Malouet défend points par points ses idées, pendant quatre heures. Face aux objections, il oppose les mémoires réalisés par les députés:

« Il falloit sans cesse montrer aux interlocuteurs, que tel fait étoit établi par leur aveu, que ce qu'ils vouloient dire démentoit ce qu'ils avoient dit ,
· enfin, j'en vins à bout, et j'en fus si content, que je finis par un compliment qui n'étoit pas mérité par tous les assistans835. »

L'accent est donc mis sur une volonté affirmée de collaboration, et d'accorder le plus grand crédit aux desiderata des habitants, qui seront envoyés « aux pieds du trône836. »

Réhabiliter l'administration coloniale

Un autre aspect de cette communication va de l'administration coloniale vers les habitants. En premier lieu, en se plaçant en porte-parole de l'autorité royale, dévoué à l'intérêt général, Malouet veut réhabiliter l'administration coloniale aux yeux des habitants. Désormais, elle garantira

833 Ibid., p. 48.

834 ANOM C14/44 F° 137

835 ANOM C14/50 F° 62

836 ANOM C14/44 F° 60

196

la « prospérité sociale » en appliquant la loi de façon sévère et impartiale. En cela, il joue la carte de la transparence en fustigeant les prévarications des administrateurs qui, en tant que représentants de l'autorité royale, sont les plus répréhensibles de tous. Il veut préserver les habitants de leurs abus837. « Abus de pouvoir, absolutisme, arbitraire, autoritarisme, despotisme, dictature, omnipotence, prépotence, tyrannie... Les mots ne manquent pas aux colons pour dénoncer les usages de leurs administrateurs, écrit Céline Ronsseray, usages ne se limitant pas à une période précise838. » Mal payés, souvent avec du retard, les fonctionnaires, quand bien même sont-ils honnêtes, sont régulièrement obligés de subvenir à leurs propres besoins. À des mois de distance de la métropole, le service du roi est envisagé comme un moyen de faire fortune, ou de rétablir une situation financière délicate. Dès lors, les intérêts publics se confondent avec les intérêts privés, au détriment des habitants. Jean Meyer décrit une administration hautement corruptible et corrompue, parfois enrichie dans des conditions extravagantes, une société de vol systématique et organisé, rejetant toute contrainte839. Et les exemples sont légion. La colonie manque de tout : d'esclaves, de numéraire, de population et très souvent de ravitaillement, surtout en cas de conflit. L'un des centres vitaux de la colonie est le magasin, qui renferme toutes les marchandises entrant et sortant de la colonie, si bien que le garde-magasin se trouve régulièrement au coeur des trafics. La Guyane est une colonie où bien souvent la disette couve, le pain et la farine y sont des denrées chères. Les trafics de farine sont courants. Le garde-magasin Tissier, en 1717, trempe dans ces détournements. Soupçonné par Guillouet d'Orvilliers, il falsifie les comptes du magasin pour masquer ses agissements. L'ordonnateur Morisse profite de la situation troublée lors de l'expédition de Kourou en 1763 pour s'octroyer le droit de prendre des denrées dans le magasin du roi, sans les payer, alors que l'arrivée d'un nombre croissant de colons, qu'il faut nourrir, rend la sécurité alimentaire délicate840. L'endettement parmi les administrateurs est récurrent. Citons le cas de Fiedmond qui, lorsqu'il quitte son poste à Cayenne en 1779, est redevable à la caisse de la colonie de 10 459 livres841. Cet état quasi-généralisé d'abus en tout genre contribue logiquement au ressentiment des habitants à l'encontre de l'administration et de leur méfiance envers la métropole.

Outil de promotion du projet colonial, l'Assemblée est aussi le lieu où l'ordonnateur expose son projet.

837 ANOM C14/44 F° 62

838 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 451.

839 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 172.

840 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 201.

841 ANOM E 183 F° 233

197

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore