2.1.3 L'administration en Guyane
En définissant les rôles des trois principaux
acteurs de la colonie, la monarchie fixe un cadre dans lequel gouverneur et
ordonnateur exercent une autorité commune, qui s'étend à
tous les domaines de l'administration générale, de la religion
à la police des ports, de l'inspection des tribunaux à
l'affranchissement des esclaves, de l'entretien des chemins à la
nomination des notaires
564 Claude Macaye, procureur général au Conseil
supérieur de Cayenne de 1742 à 1781.
565 ANOM C14/43 F° 234.
566 ANOM C14/43 F° 222.
567 Louis Thomas Jacau de Fiedmont, gouverneur en Guyane de 1765
à 1781.
568 ANOM C14/43 F° 222.
569 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe
siècle, op. cit., p. 480-483.
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et des huissiers, en passant par la réglementation de
la chasse, de la pêche, de la distribution des eaux d'arrosage, etc.
« Tous ses [sic] objets sont soumis à la délibération
commune des deux chefs570. » Dès lors, les
correspondances et les documents officiels portent les signatures conjointes du
gouverneur et de l'ordonnateur, comme on peut le voir, par exemple, en
consultant les procès verbaux datant du 16 et du 20 février 1777,
qui relatent la visite des habitations de M. Boutin et de
M. de Macaye, qui sont signés par Fiedmond et
Malouet571.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que ce cadre
fixé par Versailles reste très largement théorique, et
qu'une grande autonomie est laissée, de facto, dans
l'application des directives royales. « J'avois heureusement pris la
précaution avant mon départ, dit Malouet, de me faire autoriser,
ainsi que M. de Fiedmont, à suspendre l'exécution et la
promulgation des ordres du roi, dont nous reconnoîtrions les
inconvénients572. » Cette remarque démontre qu'au
XVIIIe siècle, la monarchie peut se reposer sur une administration
coloniale composée d'un personnel mieux formé,
bénéficiant d'une connaissance plus accrue des territoires
outre-mer573. En cela, Malouet s'avère être un
administrateur qui bénéficie d'une longue expérience
acquise à Saint-Domingue. Durant cette période, il fait ses
premières armes à des postes à responsabilités et
se frotte à la société coloniale. « Les
prétentions des administrateurs civils et militaires, leurs abus
d'autorité, les préjugés, les habitudes vicieuses des
colons, les intérêts du commerce et de la culture, tels furent,
pendant mon séjour à Saint-Domingue, les objets de mes
études et de mes réflexions574. » : c'est un
homme averti qui arrive à Cayenne en 1776.
Un autre exemple nous est révélé par
Malouet qui, peu de temps avant son départ pour Cayenne, est
convoqué à Versailles par le ministre Sartine. C'est là
qu'il se voit chargé par le roi de « l'exécution [des
mesures qu'il a proposées pour la Guyane], avec une plus grande latitude
de confiance et de pouvoirs que n'en avoient les autres administrateurs ;
[qu'il sera lui-même] le rédacteur de [ses] propres instructions ;
qu'on laisseroit en place l'ancien Gouverneur, M. de Fiedmont, qui étoit
un vieux maréchal-de-camp, honnête homme, mais sans
capacité ; qu'il auroit ordre de ne [...] contrarier [Malouet] en rien,
et de seconder toutes [ses] dispositions575. » L'autonomie
d'action de l'ordonnateur et l'importance du poste dont ici clairement mises en
valeur, sans doute à dessein par Malouet qui, rappelons-le, écrit
ces lignes au moment où il envisage reprendre du service auprès
de Napoléon.
Néanmoins, la position importante de l'ordonnateur au
sein de l'administration coloniale lui
570 ANOM C14/43 F°219.
571 ANOM C14/44 F°243 et 244.
572 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 31.
573 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe
siècle, op. cit., p. 33.
574 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol.
1, op. cit., p. 41.
575 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 18-19.
137
vaut d'être secondé par un certain nombre de
commissaires ordinaires et d'inspecteurs, suivant une organisation
hiérarchique verticale. (Voir tableau 10
ci-après576.)
La répartition des responsabilités est
également distribuée de façon horizontale, dispositif
complémentaire qui témoigne d'un souci de surveillance. « Il
est nécessaire d'avoir à l'esprit ce rapport de force pour mieux
comprendre le jeu de pouvoir et les querelles de fonction entre les
administrateurs en Guyane au même moment » explique C.
Ronsseray577.
Afin de palier aux contraintes liées à la taille
de la colonie et aux difficultés de communication entre Cayenne et le
reste du territoire, une délégation de pouvoir est
instituée par l'ordonnance du 24 mars 1763. Celle-ci permet au ministre
de nommer des subdélégués détenteurs de pouvoirs en
matière d'ordonnancement. Par provision, ceux-ci sont
délégués au Conseil supérieur et le
président en cas d'absence de l'ordonnateur.
Travaillant en étroite relation avec l'ordonnateur, le
contrôleur a la responsabilité de la discipline, de la police du
port et de l'inspection des classes. Il vérifie le travail des
écrivains, inspecte l'hôpital et les magasins. Son domaine
d'intervention se rapporte à tout ce qui touche directement à
l'argent : achats, dépenses, soldes, appointements des officiers.
L'écrivain des colonies se place dans une
hiérarchie d'officiers supérieurs. Il est responsable des
écritures : il enregistre les correspondances, mentionne les
décès, réalise les inventaires et tous les travaux
d'écriture et de comptabilité.
Le garde-magasin principal, pour sa part, tient les registres
de tout ce que le magasin délivre aux administrateurs et à
l'état-major pour le ravitaillement de la colonie. Il conserve les
clés de tous les magasins de la colonie. Son rôle est capital car,
de fait, il permet la circulation des biens et de l'argent au sein de la
colonie par le biais de l'achat et de la vente de vivres. Le garde-magasin
principal n'agit que sur ordre de ses supérieurs. Il est soumis au
contrôle de l'ordonnateur et du contrôleur qui vérifient ses
registres. La seule autorité dont il dispose est exercée sur les
gardes-magasins de Sinnamary, Oyapock, Kourou et Approuague.
Enfin, pour achever ce rapide tour d'horizon, évoquons
ici le rôle des très nombreux commis qui officient au sein des
différents bureaux de la colonie. Qu'ils soient commis principaux,
commis ordinaires, ou commis extraordinaires, ils sont chargés des
travaux d'écriture confiés par un officier supérieur
attaché au magasin, au contrôle, à la trésorerie ou
à l'intendance578.
576 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe
siècle, op. cit., p. 38.
577 Ibid., p. 39.
578 Ibid., p. 38-45.
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Tableau 10 : Organigramme administratif de la Guyane
française XVIIIe siècle.
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