1.1.3 Les sols
On distingue traditionnellement deux catégories de sols
: les terres hautes et les terres basses. Les terres hautes
sont peu fertiles, malgré la luxuriante forêt qui les recouvre. La
couche d'humus est très fine et se détériore rapidement
sans la protection du couvert forestier, qui la protège des fortes
précipitations et des ensoleillements excessifs. Ces sols sont en partie
couverts par des savanes naturelles, à l'ouest de Cayenne. Pourtant,
certaines zones fertiles existent, comme le décrit le baron de Besner
dans une lettre datant de 1774, dans laquelle il attribue cette richesse des
sols à des origines volcanique416. En réalité,
la formation pédologique des terres hautes provient d'une
altération de la roche mère, qui varie en fonction du couvert
forestier, de l'action des eaux de ruissellement, etc. Les sols d'origine
granitique sont les moins fertiles en raison de leur acidité. Les plus
intéressants sont ceux qui dérivent de roches basiques, que l'on
retrouve dans les régions de Camopi jusqu'à
Maripasoula417.
Les terres basses, quant à elles, se
répartissent à l'ouest de Cayenne (140 000 hectares) mais sont
rarement cultivables dans ce secteur. En revanche celles qui s'étendent
du Mahury à l'Oyapock (250 000 hectares) sont souvent riches et leur
potentiel se révèle si on les assèche. Ce sont des
alluvions marins récents, formant de vastes étendues
marécageuses et planes, envahies par les fortes
414 Ibid.
415 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 47-48 ; Jean-Claude GIOCOTTINO, «
Un monde tropical », op. cit., p. 29 ; Michel DEVEZE, Les
Guyanes, op. cit., p. 12-13.
416 ANOM C14/44 F°60.
417 Jacques BARRET, Atlas illustré de la
Guyane, IRD., Guyane, Laboratoire de cartographie de la Guyane: Institut
d'Enseignement Supérieur de Guyane, 2001, p. 51.
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marées418. Toutefois, ces sols ne sont pas
tous directement utilisables. Tout dépend de leur salinité, de la
présence de sulfure et de l'épaisseur plus ou moins importante de
la couche de pégasse (dépôt de matières
végétales, pouvant dépasser un mètre de hauteur)
qui nécessite un drainage efficace. Les meilleurs sols sont ceux
présentant une couche de pégasse sur de l'argile
bleue419.
1.1.4 La forêt
Constituant l'abri d'une riche et extraordinaire
biodiversité, la forêt couvre pratiquement 90 % du territoire,
hormis quelques versants et sommets de collines et quelques rives
marécageuses420. La puissance de cette
végétation inspire à Malouet cette réflexion pleine
d'admiration et d'humilité :
« C'est là que la nature sauvage étale
toute sa magnificence. Nous, qui ne savons rendre la terre productive qu'avec
des bras et des charrues, comment n'éprouverions-nous pas un sentiment
d'admiration au milieu de ces déserts immenses, où s'exerce, sans
bras et sans charrue, la puissance d'une éternelle
végétation ; où l'homme, véritablement
étranger à cette multitude d'êtres animés qui y
vivent en propriétaires, représente au milieu d'eux un monarque
détrôné ! C'est pour un Européen un autre univers
que ce continent ; c'est, sous d'autres formes et dans d'autres proportions,
qu'il retrouve les quadrupèdes, les reptiles, les oiseaux, les
insectes421. »
La forêt primaire, le grand bois, dense,
obscure et toujours verte, est certainement l'élément naturel le
plus impressionnant pour les Européens. Cette luxuriance
représente néanmoins un frein à la
pénétration vers l'intérieur, elle masque le relief, rend
difficile la reconnaissance topographique422. Il est difficile d'y
pénétrer autrement que par les fleuves. L'existence des pistes y
est souvent conceptuelle, fondée sur des coutumes saisonnières de
déplacement en fonction de repères remarquables comme une
montagne, un cours d'eau. Les utilisateurs ouvrent des passages juste suffisant
pour le passage d'un homme. On retrouve le témoignage en 1740 du
naturaliste Pierre Barrère sur l'existence de ces chemins. Il note que
leur tracé est peu lisible, explique Yannick Le Roux. Il se
matérialise par des entailles dans l'écorce des troncs, des
branches que l'on casse. Les
418 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 55-56.
419 Jacques BARRET, Atlas illustré de la Guyane,
op. cit., p. 51.
420 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 58 ; Jean-Claude GIOCOTTINO, « Un
monde tropical », op. cit., p. 28.
421 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol.
1, op. cit., p. 112.
422 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 58.
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chemins sont difficiles à suivre car la
végétation est envahissante et encombre le passage de troncs
couchés, de lianes, obligeant souvent à sauter de l'un à
l'autre. Les routes ne sont pas directes : les Indiens contournent les monts,
évitent les marais, ou parfois les traversent en passant sur des troncs
d'arbres abattus423.
Les différentes espèces d'arbres (2 à
3000) sont en général à feuillage persistant mais il est
à souligner que leur taille moyenne, en particulier celle des arbres
utiles, est inférieure à celle qui est observée dans
d'autres zones équatoriales. De plus la forêt change en fonction
du milieu et de la nature des sols. Les sols marécageux sont couverts de
grands arbres avec de puissants contreforts pour maintenir leur
stabilité (comme les palmiers Pinot que l'on retrouve dans les
pinotières des plaines du Kaw) tandis que les pentes sont davantage
colonisées par des plantes hygrophiles, principalement des mousses.
Enfin, les vasières de la zone côtière sont occupées
par des forêts de palétuviers424.
La forêt offre un potentiel économique
appréciable, dont l'exploitation reste toutefois malaisée car les
arbres d'une même espèce se trouvent souvent
disséminés425. La forêt fournit un grand nombre
de fruits comestibles ou oléagineux. « On trouve
véritablement dans ces forêts, dit Malouet, et j'y ai recueilli
moi-même, de la salsepareille ; j'ai vu des arbustes à
épices, inférieurs au cannelier, mais qui en avaient le
goût et l'odeur. Les girofliers et les muscadiers transplantés ici
de l'Île-de-France par M. Poivre ont
prospéré426. » Beaucoup de plantes utiles se
trouvent donc en Guyane à l'état sauvage.
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