1.2 LE BOIS DE FEU DANS LES
SYSTEMES ENERGETIQUES RURAUX
Le bois de feu joue un rôle prépondérant
dans l'approvisionnement énergétique des masses rurales et des
groupes plus pauvres des agglomérations urbaines. Dans les
systèmes énergétiques ruraux le bois de feu occupe une
place spéciale en raison de l'importance de la consommation domestique
d'énergie à laquelle il est principalement destiné et en
raison du fait qu'il est produit à l'intérieur même du
système. Ceci répond à l'importance de la demande de
chaleur dans le système énergétique rural traditionnel par
rapport à l'énergie motrice pourutiliser à l'exception de
l'énergie musculaire. Le bois est généralement le
combustible préféré des ruraux parce que sa production
décentralisée répond à la dispersion de l'habitat
rural et permet le plus souvent de l'obtenir sans coût majeur et parce
que cette production peut être maintenue sur la base d'un rendement
soutenu et en combinaison avec d'autres biens et services. Le bois de feu est
donc par excellence une source d'énergie renouvelable dont le
caractère décentralisé est particulièrement
adapté aux caractères propres des systèmes
énergétiques ruraux. Au niveau d'une communauté rurale, le
système énergétique reflète un ensemble
intégré de relations entre les ressources et les activités
et le rôle du bois de feu doit être vu comme une fonction complexe
aux corrélations nombreuses avec le régime foncier,
l'aménagement de l'espace, les pratiques agricoles, les
mécanismes d'allocation des ressources, les structures sociales, etc.
Les principaux caractères du bois de feu dans les systèmes
énergétiques ruraux seront rappelés ci-dessous.
Les besoins domestiques, essentiellement pour la cuisson des
alimente et le chauffage des habitations, représentent en
général le poste le plus important de la consommation
énergétique d'ensemble dans les pays en développement:
ceci est encore plus marqué pour les populations rurales et les
ménages pauvres. Le bois de feu est en général le
combustible préféré des populations rurales qui n'ont
pratiquement qu'un accès très limité à d'autres
formes d'énergie: le bois remplit donc un rôle essentiel dans la
satisfaction des besoins énergétiques élémentaires
liée à la subsistance même de ces populations. Outre son
caractère renouvelable et décentralisé, le bois de feu
peut être récolté et utilisé au moyen de techniques
simples et sans recours à un équipement coûteux: il est
donc particulièrement adapté aux besoins et aux
possibilités de Bas utilisateurs. On peut évaluer les besoins
énergétiques minimum pour la cuisson de la nourriture et le
chauffage de l'eau à 6 à 10 GJ par personne et par an, soit de
0,5 à 1 m3 de bois de feu, dans les conditions courantes d'utilisation:
des variations considérables sont possibles en fonction des habitudes
culinaires, du climat, des modes de vie et des structures sociales et aussi de
l'efficience des équipements de cuisson. Si l'on tient compte du
chauffage des habitations rendu nécessaire dans les climats froids des
besoins totaux en énergie pour les tâches domestiques peuvent
atteindre 25 à 30 GJ par personne et par an, l'équivalent
d'environ 3 m3 de bois. Les variations climatiques saisonnières, la
nature du bois et sa disponibilité peuvent modifier
considérablement les niveaux effectifs de consommation.
A côté de son rôle
prépondérant dans la satisfaction des besoins domestiques en
énergie, le bois de feu est également un important combustible
pour de nombreuses industries rurales: Bêchage du thé et du tabac,
fumage du poisson, briqueteries, fours à chaux, forges, poteries,
artisanats divers de village. Les niveaux de consommation peuvent être
très variables: en Tanzanie par exemple on estime qu'il faut compter 50
m3 de bois de feu pour sécher la production d'un hectare de tabac;
ailleurs on estime que 2 kg de bois sont nécessaires pour produire 1 kg
de sucre de canne. Les industries peuvent consommer des quantités
importantes de bois de feu s'ajoutant à la demande domestique dans ces
mêmes zones rurales. L'évolution récente et la
difficulté des approvisionnements en combustibles commerciaux a
incité dans un certain nombre de pays les industries rurales à se
reporter au bois ou à maintenir celui-ci comme combustible principal
sinon unique pour leurs opérations; ceci tient compte des
possibilités d'approvisionnement sur place ou répond aux efforts
des gouvernements pour limiter les effets de la consommation
énergétique sur la balance commerciale.
L'utilisation du bois de feu dans les zones rurales pour les
besoins domestiques ou des industries villageoises participe souvent encore
à des cadres économiques traditionnels de subsistance.
L'autoconsommation prédomine: le bois de feu est ramassé
généralement par les femmes et les enfants pour les besoins
propres de la famille dans l'environ immédiat de l'habitation:
l'approvisionnement énergétique est une tâche essentielle
qui peut requérir une fraction importante du temps d'activité.
Dans de nombreux cas en raison de la présence même des populations
rurales, il n'y a pas de ressources forestières proprement dites dans
les environs proches. La récolte de bois de feu est alors
effectuée à partir des éléments de
végétation ligneuse épars dans l'espace rural: arbres
isolée, arbustes, produit de la taille des fruitiers, etc. Lorsque la
demande augmente et que les ressources deviennent plus difficilement
accessibles, il se crée en général un courant
d'activités donnant naissance à des emplois et à des
revenus: un certain nombre de ruraux se livrent aux activités de
ramassage, de transport et de distribution de bois de feu à destination
des villages et des agglomérations urbaines. Le courant
d'activités peut être considérable: on a ainsi
calculé que des millions de journées de travail sont investis
dans l'approvisionnement des agglomérations sahéliennes: on a par
exemple calculé que l'approvisionnement de la seule ville de Bamako en
1978 avait impliqué 500 000 journées de travail pour la seule
coupe du bois et un mouvement monétaire de 7 millions de dollars E.-U.
Ceci manifeste tout à la fois l'importance que peut revêtir
l'approvisionnement en bois de feu pour l'emploi dans les zones rurales avec
son effet économique induit et aussi le passage du bois de feu de
l'état libre et gratuit à celui d'un produit valorisé et
monétarisé. Ce dernier aspect est symptomatique de
problèmes croissants d'approvisionnement mais aussi d'un changement
d'attitude pouvant être utilisé dans la recherche de solutions et
dans l'utilisation du bois de feu dans un processus de développement.
La contribution du bois de feu en tant que source
d'énergie ne se limite pas aux systèmes
énergétiques ruraux ou aux secteurs de subsistance. Dans de
nombreux pays la demande urbaine représente une part croissante de la
consommation de bois de feu tant du fait des migrations de ruraux qui
conservent un mode de vie de type rural que de la dépendance des
familles plus pauvres qui continuent à recourir au bois pour leurs
besoins domestiques. Le bois de feu tend alors souvent à être
remplacé par son dérivé, le charbon de bois, un
combustible facile à transporter, à stocker et à utiliser
mais dont la production entraîne une perte importante de l'énergie
contenue dans la matière première. En l'absence de
contrôle' la demande urbaine signifie une concentration de la
consommation entraînant non seulement des surexploitations
localisées des ressources à l'entour de la ville mais aussi
éventuellement le détournement au profit des citadine des
approvisionnements indispensables aux ruraux; l'effet s'élargit
jusqu'à plus de 100 km des villes, à des distances qui augmentent
constamment. La demande urbaine de bois de feu peut donc aussi constituer un
facteur important de déstabilisation de l'approvisionnement
énergétique rural.
En raison du caractère intégré des
systèmes énergétiques ruraux, les difficultés
croissantes d'approvisionnement de bois de feu ont des répercussions
graves de toute nature. Cela se traduit d'abord par une allocation accrue des
ressources limitées en temps et argent à cet approvisionnement
par des populations qui n'ont pas accès à d'autres sources
d'énergie. Cela entraîne une surexploitation
accélérée de la végétation ligneuse restante
pouvant même entraîner sa disparition. Cette surexploitation
s'ajoute à tous les autres facteurs de dégradation de la
végétation ligneuse naturelle: feux de brousse, pâturage
des animaux, défrichement pour la mise en place de nouvelles cultures,
périodes climatiques défavorables. Dans les cas extrêmes
les conséquences sur l'environnement peuvent être
irréparables et mettre en danger les conditions d'existence même
de l'homme: on connaît l'effet du déboisement sur les zones
écologiques fragiles telles les zones arides ou Les montagnes du fait de
la désertification ou de l'érosion. Le déboisement
lui-même est souvent le résultat de défrichement en vue de
nouvelles cultures, voire des systèmes modernes monocultures: il en
résulte une disparition de l'arbre du paysage rural et par
conséquent des possibilités d'approvisionnement en bois de feu.
Les populations ont alors recours aux déchets agricoles et aux
déjections animales qui constituent les combustibles auxquels elles ont
encore accès. Dans certains cas on a calculé que les
quantités annuellement brûlées au lieu d'être
enfouies dans le sol équivalent à des quantités
considérables d'engrais requis pour maintenir la fertilité du
sol: si l'on veut éviter la perte de productivité agricole, le
recours à ces engrais d'origine minérale est nécessaire,
mais augmente la dépendance énergétique vis-à-vis
de l'énergie fossile. L'alternative est l'utilisation du pétrole
ou du gaz comme combustible ce qui, à supposer que l'usager rural soit
en mesure de se les procurer, grèvera d'une demande
supplémentaire les besoins nationaux en combustibles fossiles. A la
limite la pénurie de bois de feu a deux conséquences ultimes
à travers l'ensemble du système énergétique rural:
la dépendance vis-à-vis de combustibles de substitution
importés de l'extérieur du système et le recours accru aux
engrains pour compenser les éléments fertilisante non
retournée au sol. Au cas où l'on laisserait la situation se
dégrader sans intervenir, on aurait à faire face à l'effet
nutritionnel direct par impossibilité de cuire convenablement la
nourriture et l'effet alimentaire indirect du fait de la diminution de la
productivité agricole. L'impact est d'autant plus marqué dans les
zones écologiques plus fragiles et sur les couches les plus pauvres de
population.
Lorsque les situations n'ont pas atteint des seuils
irréversibles des solutions techniquement et économiquement
réalisables existent: elles permettent au moins de préserver ou
de rétablir la contribution du bois de feu aux besoins
énergétiques élémentaires pour la subsistance des
populations rurales; cette contribution peut même être
développée et participer à la mine à disposition
accrue d'énergie nécessaire pour leur développement.
En conclusion de cette section sur l'importance du bois de feu
dans les systèmes énergétiques ruraux, il faut souligner
le rôle joué par le combustible dans la satisfaction de besoins
énergétiques aussi essentiels que la cuisson des aliments et le
chauffage ou leu industries rurales dans les pays en voie de
développement. Sa raréfaction se traduit pour des populations
très nombreuses par des difficultés accrues de subsistance et par
la rupture de leur système énergétique; dans les cas
extrêmes elle entraîne la déstabilisation de l'environnement
par suite du déboisement et de la coupe de toute
végétation ligneuse. Le problème du bois de feu a donc en
fait trois dimensions importantes: forestière, énergie et
environnement. C'est la raison pour laquelle son rôle dans les
systèmes énergétiques ruraux doit être clairement
perçu non seulement comme un problème de subsistance mais aussi
de développement.
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