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Sémantique littéraire de l'espace du desert dans la traversée de Mouloud Mammeri

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par Abderrahmane Guetal
Université de Chlef. Algérie - Master en Littératures Francophones. 2015
  

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Chapitre n°2 La métaphore de l'Algérie

A travers les différentes étapes franchies par les protagonistes et les axes de leurs déplacements, le lecteur est incessamment amené à lire et relire l'espace pour pouvoir se faire une image globalisante de l'Algérie. Les lieux visités au sud reflètent la désillusion. Si nous nous reportons à l'approche de l'espace telle que développée par Mitterrand, la troisième étape de la présente analyse devrait être une lecture de la société à travers l'espace. Nous tenterons de dégager les grandes lignes du concept de l'Algérie tel qu'il transparait dans La Traversée; un concept qui est véhiculé par un auteur s'inscrivant dans une société et une époque données. Ceci nous permettra d'en arriver à une lecture de la société telle que proposée par Mitterrand: soit l'analyse d'une métaphore de l'Algérie qui se voudrait le "reflet" d'une société algérienne du début des années 1970.

2-1La métaphore de l'Algérie :

Cette métaphore de l'Algérie ne peut être dégagé qu'en faisant concourir l'axe des déplacements et la verticalité des lieux visités. D'après le dictionnaire Hachette 2010, le mot métaphore signifie : « Figure de rhétorique qui consiste à donner à un mot un sens qu'on ne lui attribue que par une analogie implicite »51. Ce sont des concepts situés au niveau du texte que le lecteur peut en toute liberté interpréter en vue d'en faire une représentation abstraite. C'est à partir de ce point de vue que nous envisageons découvrir une métaphore construite par l'auteur. Le voyage à travers le sud n'engendre que la désillusion parmi les protagonistes. Si les lieux du nord reflètent une image assez idéalisée de l'Algérie des indépendances, ceux situés au sud n'amènent que le rêve et les gisements de pétrole. En effet, les lieux comme l'hôtel transatlantique de Ghardaïa, le site pétrolier de Hassi Messaoud attirent ; l'un permettait une halte, l'autre la richesse. Par contre, d'autres lieux visités comme la piste d'El Adeb, ou celle d'In Salah éveille le rêve. Elles donnent accès à des informations sur la culture d'une minorité : Les Touregs. Le désert pétrolier et administratif remplace le désert traditionnel. Néanmoins, les déplacements réalisés du Nord au Sud ont permis de déterrer une vérité : plus les protagonistes s'enfoncent dans le Sud plus il y a désillusion, du fait de l'écart existant entre le rêve et la réalité. Le voyage entreprit par les protagonistes nous présente un espace fondé sur des lieux affectés de noms propres. Les discours développés sur ces lieux visités, font ressortir une image assez signifiante et globalisante même de l'Algérie des indépendances, c'est-à-dire celle des années 70-80.

51 Hachette, Edition 2010, p. 1032

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Sur l'axe vertical, la narration permet l'émergence de symboles dominants comme pour dissimuler ceux qui sont de formation naturelle ou en voie d'extinction. Ainsi, le narrateur ne s'empêche pas de mentionner que l'hôtel transatlantique est devenu un symbole de faiblesse pour Mourad :

Le charme désuet de l'hôtel continuait d'opérer sur lui comme au temps de sa splendeur passée. Pourtant un délabrement insidieux mais sur le faisait s'effriter chaque saison un peu plus [...], Mourad ne reconnaitrait plus rien de l'ombreuse oasis qu'il avait jadis aimée52

De plus, ce lieu est devenu par excellence un transit pour les pétroliers venant du sud pour regagner le nord. Un autre symbole de construction humaine, il s'agit du site de pétrole de Hassi-Messaoud :

Air conditionné, goudron, béton, fleurs poussées sur de la terre rapportée, Hassi- Messaoud était pou Boualam une insulte pour le désert prophétique53

Cette image verticale peu décrite par le narrateur est un symbole solide est durable, il exprime la faiblesse du désert naturel des nomades. Une autre image symbolique, cette fois ci à In Amenas:

À la place des méharis d'antan on ne voyait plus[...] que les masses poussives de grands camions ocre, qui brinquebalaient dans la poussière comme des d'énormes hannetons aveugles54

En se référant à une époque lointaine, le narrateur nous dit qu'In Amenas est le lieu des méharis. Un symbole fort ancien des peuples nomades, aujourd'hui menacés d'extinction par la présence permanente de machines ocre. Cette image marque la supériorité de cet objet de déplacement mécanique conçu par l'homme, face à un moyen de déplacement vieux comme le monde. Le narrateur n'hésite pas de comparer les camions ocre à des hannetons. Cette manière de métaphoriser les objets n'est pas fortuite quand on connait l'issue réservée au

52 Mammeri 2005, p.56

53 Mammeri 2005, p.58

54 Mammeri 2005, p.58

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territoire propre aux déplacements des méharis. C'est comme si toutes les images qui expriment un état naturel devaient être anéanties ou représentaient un symbole de faiblesse. Boualem parait être sensiblement déçu depuis l'étape de Hassi- Messaoud, pour lui le désert est devenu pervers. Une autre image construite symbolise le désert administratif, il s'agit du chef-lieu de la daïra de Djanet. Le sous-préfet reçoit les recommandations du nord et veille à leur application. Celui-ci fait remarquer à ses hôtes :

Djanet est la vraie capitale saharienne, vous le verrez vite. Les centres que vous avez traversés jusqu'ici sont des créations du pétrole, vous vous en êtes aperçus. Ici nous sommes en retard. Vous le verrez demain, si vous allez à la sébiha, la fête traditionnelle de Djanet. Nous sommes en retard, mais nous travaillons à rattraper le temps perdu à grande enjambées et bientôt vous serez à Djanet comme dans n'importe quelle ville du nord 55

Ainsi le désert traditionnel se trouve conquis et gouverné par le désert administratif et pétrolier. Comme si la modernité devait succéder à tout prix à la tradition. Le narrateur nous souligne que le sous-préfet tente de sédentariser par tous les moyens les coureurs du vent. Derrière ce jeu de mot se dissimule toute une idéologie : d'une part il y a les nomades en déplacement régulier, de l'autre une élite au pouvoir qui dénie sa mouvance et sa culture. Une autre image assez solide, il s'agit de l'école où l'enseignement dispensé aux jeunes nomades est conforme aux directives du pouvoir central. L'encadrement est assuré par des pédagogues et des administrateurs venus du nord. Ce qui rappelle l'époque coloniale.

Enfin, l'image de l'Algérie proposée dans notre corpus obéi à une constante. D'une part, nous avons un passé historique, de l'autre un avenir plein de promesse qui devrait être concrétisé. Cette idée n'est pas celle qui prend l'avantage après l'indépendance A l'issu de leur périple, Mourad et ses compagnons ne sont pas arrivés à faire l'équilibre entre les deux époques. Néanmoins, notre modeste étude nous a donné la possibilité de connaitre certains aspects de la société, mis au clair par le texte et par la dynamique de la spatialité.

2-2 La métaphore du voyage :

55 Mammeri 2005, p. 71

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Dans la littérature algérienne de langue française, le voyage à travers le désert autorise un pessimisme existentiel et politique de s'exhiber pour ceux qui l'effectuent. Généralement, les héros meurent ou reviennent bredouilles au lieu de départ. Leur quête n'aboutit pas ou du moins, elle est vue comme mal définie. La fin du voyage pour le personnage principale se différencie tout le long du parcours.

Le personnage de Mourad, ex maquisard, représente la désillusion après le rêve d'un côté et illustre sa propre fatalité de l'autre. Boualem évoque le néo fondamentalisme musulman et un penchant pour la dictature. Par contre Serge prétendant jouer le rôle de précurseur de la révolution socialiste, est membre du Parti communiste algérien. Chacun de ces personnages est projeté sur l'un des axes (horizontal ou vertical) et en attribue la signification. A partir de là, Mourad du rêve à la désillusion qu'il manifeste constamment, est associé à l'axe nord-sud ou inversement, Boualem à la quête d'un équilibre entre les forces peut-être en relation avec le même axe. Quant à Serge, se voulant avant-gardiste soutien le pouvoir en place, est lié à l'axe vertical. A présent nous allons nous intéresser au parcours réalisé par Mourad au sein de la métaphore du voyage.

Soulignons d'abord que Mourad fait partie de cette génération des années cinquante, et est éminemment lié à l'Histoire de la Guerre de la Révolution de Novembre 54 et à celle de ses héros. Mourad se place loin des persécutions du système, car incapable d'adhérer au cercle des compromis, et d'intégrer les clans. Mourad ne trouve qu'une alternative et quand il en prit conscience, il dit : « Il n'y a qu'une alternative, on rêve sa vie ou on la change »56. Mais cette échappée n'est que temporaire. Mourad se rend à l'évidence que changer sa vie est illusoire. A Timimoune, après avoir assisté à la rencontre des pèlerins, Mourad : « f...] avait le sentiment que le Dieu jaloux le chassait du paradis »57. Le désert donne à voir à Mourad qu'il est d'une race qui tend à disparaitre et à laquelle il s'assimile : les berbères, « J'aime mieux être le dernier des mohicans que le premier des traitres»58. Car le désert des rêves de Mourad est balisé de frontières. Il ne peut lui révéler l'authenticité de ses origines ancestrales. Mourad l'intellectuel ne peut être délivré par « la folie du désert »59 parce que les vraies causes de son désespoir et de son aliénation sont humaines. La sensibilité de Mourad traduit le drame de celui qui se sent étranger à un espace devenu mirage, et auquel il ne croit pas. La fuite est aussi une quête à double objectifs : désir de langage et désir

56 Mammeri 2005, p.119

57 Mammeri 2005, p.118

58 Mammeri 2005, p.155

59 Mammeri 2005, p.70

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d'écriture. La quête du héros devient équivoque, du moment que l'espace du désert devient pour lui, non seulement prétexte, mais quête d'âmes mortes, légendaire, voire mythique, et aussi un espace de séquestration et d'étouffement, de renoncement. Lors de la dernière étape avant le retour à Ghardaïa, le narrateur rapporte l'écriture à un temps tragique. Le dialogue qui s'établit entre Mourad et Amalia, explicite une vision antinomique d'une pensée profonde:

Amalia-un déserteur qu'est-ce que c'est ? Mourad- c'est quelqu'un qui vit au désert. Amalia- ou qui y meurt ?

Mourad- c`est la même chose 60

Pour le narrateur, le héros ne peut échapper à son destin tragique, terrassé par le malaise qui le ronge, il prend le chemin du renoncement. Dans sa dernière lettre adressée à Amalia, et qu'il détruit au lieu de la lui envoyer ou il expose les raisons de son abandon :

Si je croyais aux signes, je trouverais cette traversée exemplaire et j'en ferais un apologue pour l'endoctrinement puéril des générations à venir. Car maintenant je suis sûr que, si le désert atavique n'est entré que tard dans ma vie, il est inscrit dans mes veine depuis toujours. Peut-être l'ai-je apporté avec moi en naissant. Un jour nous devrions nous rencontrer61

Mourad n'avait que faire d'une rubrique de la page culturelle du quotidien Alger Révolution pendant que toute une civilisation se délabre dans un Sud, en proie à de profondes mutations. Mourad promenait dans son intimité le désert auquel il rêvait. Si Bachelard soulignait qu' « Au contact du désert, on ne change pas de place, on change de nature »62.Tout porte à croire que Mourad est devenu désert. A la fin du voyage, les rêves deviennent des déceptions, le héros retourne à son village natal pour y mourir. C'est à peu près le même sort réservé aux héros de son propre apologue. La métaphore du voyage, à travers le parcours de Mourad selon l'axe des déplacements nord sud, apparait comme une quête de soi.

2-3 La métaphore de l'Algérie Française :

60 Mammeri 2005, pp.108-109

61 Mammeri 2005, p.155

62 Bachelard 1957, p.187

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Sur une carte géographique du Maghreb, le lecteur peut voir le territoire algérien qui appartenait à la France depuis 1830. Devenu non seulement territoire français, mais peuplé de colons. La présence de l'Algérie Française se fait sentir à la lecture de l'incipit du roman, et ce concept marquera son omniprésence dans la trame narrative du roman. Citons l'exemple :

Ils avaient épousés des bourgeoises ripolinées [...], qui parlaient français, les plus chanceux, ou les plus inconscients, avaient épousés des Européennes [...j63

Comme Kamel, le directeur du journal qui avait épousé Christine, juste avant l'indépendance. Devenu ensuite bigame, il épouse, Zineb, une algérienne. Il y a aussi Amalia qui parle très bien le français, et qu'a connu Mourad à Poitiers. Plus loin, la mère supérieure Anne-marie et soeur Véronique, vouées au service de Dieu, s'expriment en français, ainsi que le lieutenant Cottin et le sergent Bernadi. Au maquis après avoir soigné presque tous les blessés,

Elles partirent avec deux maquisards, à qui le chef donna des consignes en français, afin qu'elles comprennent ce qu'il disait 64

Toutes ces manifestations de la présence francophone sur le territoire de l'Algérie s'avèrent importantes. Elle marque les traces d'une présence française en Algérie. Il faut souligner que d'autres personnages algériens comme Boualem, le Go et Souad s'expriment aussi en cette langue dans ce roman. Plus loin dans la trame narrative, le territoire parcouru a par les protagonistes, au cours de la première étape du voyage, rappel au lecteur la présence française encore existante, comme ruines du passé et emprunte du présent. Et puis, sur la route vers Ghardaïa, les voyageurs rencontrent une vieille dame anglaise parlant français avec un parfait accent anglais. C'est là un fait qui justifie l'importance de la langue française sur les plans linguistique et culturel. Ainsi la narration fait ressortir la présence française encore vivante. La traversée comme roman se place en ligne directe avec les années 70. Le fait français trouve toute son affirmation durant cette période. Il devient non seulement un outil de communication incontournable pour le fonctionnement des appareils de l'état, mais surtout une langue d'enseignement. Le roman souligne l'importance passée et présente du fait français en Algérie.

63 Mammeri 2005, p. 5

64 Mammeri 2005, p. 38

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius