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Sémantique littéraire de l'espace du desert dans la traversée de Mouloud Mammeri

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par Abderrahmane Guetal
Université de Chlef. Algérie - Master en Littératures Francophones. 2015
  

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Partie Pratique

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Chapitre n°1 : Le voyage

La Traversée, quatrième et dernier roman de Mouloud Mammeri, se situe juste après l'indépendance, quelque temps après les évènements du printemps berbère du 20 avril 1980. L'occurrence de divers aspects du désert dans le texte justifie l'intérêt qu'accorde l'auteur pour certains aspects topographiques. Le désert Mammerien est décrit par le parcours qu'effectue Mourad et ses compagnons, à travers leur périple dans le grand-sud. Un mois est la durée consacrée à ce voyage. En plus de Mourad, le groupe se compose de journalistes ; personnages de cultures et d'opinions assez différentes. Boualam nouveau chevalier d'Allah est le disciple d'un certain Djamel Stambouli. La jeune Souad, secrétaire du groupe tout au long de l'expédition. Serge, un ancien communiste, qui a le sens du dialogue. Amalia (alias Aimée Delaunay) a été amenée à aider le FLN, journaliste qui vient effectuer un reportage sur le pétrole du Sahara pour la revue Plaisir de France .C'est un trajet circulaire dont voici l'itinéraire :

Voici l'itinéraire : Ghardaïa, Ouargla, Hassi Messaoud, un tour à In Amenas, puis Djanet. Au retour vous prenez une route différente : Tamanrasset, In Salah, Timimoune, El Golea 29

Sont incorporées à cet espace topographique : une descente sur Laghouat, une escale à Ghardaïa, un pique sur Ouargla, une visite à Hassi-Messaoud et In Amenas, enfin un arrêt à Djanet et à Tamanrasset. In Salah, Timimoune et El Goléa constitue le trajet retour vers Alger. Cet espace est fondé sur des lieux réels situé au grand Sud algérien.

1-1 Les étapes de la narration :

Avant d'entamer le voyage, Mourad se comporte comme un personnage écrivain. L'article qu'il rédige est un récit linéaire. Une caravane devancée par des héros traverse l'espace du désert pour atteindre l'oasis. Au fur et à mesure que la caravane progresse, les héros sont éliminés et remplacer par des épigones, une fois le but atteint, c'est à dire l'oasis. Nous remarquons que tout le texte est bâti autour de symboles que le lecteur doit décrypter. Ce récit, véritable épopée et antérieur à la diégèse, sert d'ancrage au trajet qu'effectuent Mourad et ses compagnons dans le désert et annonce surtout le chemin de renoncement que doit suivre le héros.

29 Mammeri 2005, p. 33

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Les différentes étapes du voyage qu'effectuent Mourad et ses compagnons s'inscrivent dans les parcours du présent narratif. Elles sont au nombre de neuf. Bien distinctes, chacune d'elles étant liée à un contexte différent.

-La première étape du voyage est une descente qui mène le groupe d'Alger à Ghardaïa en passant par Laghouat. En longeant la route à travers la plaine fertile de la Mitidja, le narrateur nous livre sous l'oeil d'Amalia, des images assez représentatives de : l'Histoire de la Colonisation.

Elle laissa défiler les champs plats de la Mitidja, tirées au cordeau, les fermes à tuiles rondes, ou se voyaient encore les margelles vermoulues de puits désaffectés. Elle s'interdit de trouver belle la coupure abrupte et sinueuse des gorges de la Chiffa, qui les fit pénétrer dans l'Atlas. Elle s'étonna seulement de voir toujours debout les guérites construites par l'armée contre les maquisards. Ils commencèrent à percevoir le désert qu'après Laghouat, au vide épais que les lands devaient déchirer devant elles pour avancer. Malgré leurs prévisions ils n'arrivèrent au-dessus des ravins du Mzab qu'à la nuit tombante 30

Une pareille description de la géographie historique de la Mitidja est un choix délibéré de la part de l'auteur. Les sites relevés ont appartenu aux colons avant de passer aux Algériens. Un prétexte pour associer Amalia, aux origines françaises, à l'image mythique du passé. Le voyage se poursuit pour les protagonistes et le déplacement se fait du nord au sud. En s'introduisant dans l' Atlas, le passé rejoint le présent encore de nouveau. Le narrateur mentionne à l'attention du lecteur, la présence de guérites dressées par l'armée coloniale, pour faire obstacles aux représailles des moudjahidines. L'Atlas, un repère géographique, indique non seulement la verticalité du lieu, mais aussi une barrière difficile à franchir ou à contourner pour l'armée française, sans parler des maquisards qu'il fallait combattre. L'épopée de la guerre de libération puise son invincibilité dans ces montagnes. A travers ces bribes d'Histoire, le trajet se poursuit avec rapidité et sans aucun arrêt comme si les protagonistes devaient arriver à tout prix à destination. Le désert n'apparait qu'une fois Laghouat franchie. L'auteur ne donne aucun détail sur les sites rencontrés, sauf qu'au vide

30 Mammeri 2005, p. 56

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épais du désert. La vallée du Mzab n'est atteinte qu'à la tombée de la nuit. Suite à cette halte, et sur une idée de Mourad, le groupe descend à « L'hôtel Transatlantique »31.

L'hôtel où descend le groupe, est dominé par des images qui évoquent la verticalité du lieu. Pour Mourad, l'oasis qui lui était si chère jadis, est devenue un lieu de transit pour les pétroliers. Seule une narration soutenue en fait une description,

La porte basse et cintrée de bois massif avait gardé son heurtoir. Le bassin de la cour continuait de refléter à l'envers l'éventail des palmiers susurrant sous la brise. A trois mètres le jet d'eau renonçait à escalader le ciel et s'effritait vite en grêles grains de lumière, qui dansaient avant de choir sur la surface lisse, ou il faisait le même bruit de pas nus sur un sol dallé. [...]Presque toutes les tables étaient prises par les pétroliers, qui remontaient vers le nord pour leur congé, après la période règlementaire passée dans les bases du sud. Les éclats de voix couvraient la masse à peine distincte de musique des années trente diffusée par un tourne-disque32

Le narrateur nous dévoile aussi l'état psychologique dans lequel se trouve Mourad. Il renonce à la promenade nocturne dans la palmeraie. Amalia s'est fait accompagner par Serge pour une randonnée nocturne. En regagnant sa chambre, Mourad n'arrivait pas à trouver le sommeil :

Mourad était contrarié. [...].Les murs de sa chambre étaient tendus d'étoffes rouges. Mourad s'étendit tout habillé sur le lit, rouge aussi 33

La couleur rouge auquel recourt le narrateur pour décrire la chambre, est une marque qui exprime l'ampleur de la blessure de Mourad causée par l'état de délabrement de l'ombreuse oasis.

31 Mammeri 2005, p. 56

32 Mammeri 2005, p. 56

33 Mammeri 2005, p. 57

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-La Seconde étape du voyage conduit les protagonistes de Ghardaïa à Hassi-Messaoud en passant par Ouargla, « C'est l'antichambre du désert pétrolier »34.

Le déplacement se fait vers le Sud-Est, cette fois le groupe s'arrête au premier site de pétrole : Hassi-Messaoud. L'auteur ne donne pas de détails sur le site, mais exprime sa sensibilité, il note :

[...] Hassi-Messaoud était pour Boualem une insulte au désert prophétique. Pendant qu'Amalia, Serge et quelque fois Mourad couraient à travers la base, lui se mêlait au manoeuvres des chantiers dans l'espoir que derrière le déguisement ridicule de leurs bleus de travail, il allait rencontrer, étouffée mais brulante encore, l'étincelle de vérité. Il ne tarda pas à déchanter35

Apparemment, c'est l'espace industriel qui prédomine dans cette étape du voyage. Le narrateur fait remarquer que tous les ouvriers de la base, excepté quelques-uns espéraient faire fortune.

La troisième étape du voyage In Amenas, le groupe découvrait à la place des méharis rien « [...]que les masses poussives des grands camions ocres [...]» 36

Ce qui confirmait le désenchantement de Mourad et Boualem tombés tous les deux dans la dérision.

L'étape suivante, Djanet : cette fois-ci, le trajet est différent, il se fait en empruntant la piste où « De temps à autre, ils rencontraient des trains de grands pneus, [...] pour l'aplanir »37.

El Adeb est la dernière station qui mène au sud. Ce lieu constitue un nouveau départ pour Mourad et ses compagnons. Dès leur arrivée à une heure tardive, le chef de la base les invita à diner à la cantine. Un guide accompagnera le groupe où ils rejoindront le camp de Maraval. Le guide c'est Amayas, Touareg, l'utile et le chaleureux. Les protagonistes s'en servent pour

34 Mammeri 2005, p. 58

35 Mammeri 2005, p. 58 52 Mammeri 2005, p. 58 37Mammeri 2005, p. 59

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s'orienter sur la piste et pour approfondir leurs connaissances sur le désert, et révélant aussi au lecteur la manière d'y arriver. Le narrateur fait intervenir Amalia :

Avec Amayas il n'y avait pas de risque, dit Amalia, il connait la région dune par dune, mais au camp de Maraval, il connaissait aussi tout le monde37

Cette étape est peuplée de rencontres. Celle des hommes des zéribas que Boualam préférait leur tenir compagnie dans l'espoir de les endoctriner. Celle de la visite d'Amalia et de Mourad au camp Maraval. Seuls Souad, Serge et Boualam s'adonnaient aux commentaires. Pour Serge, Amalia et Mourad représente la guerre d'indépendance. Souad ne l'entendait pas de cette oreille. Elle voit leur disparition derrière les dunes douteuse. Boualam, quant à lui soupçonnait Amalia d'être un agent de la CIA. Celle des enfants qui surgissent de derrière la dune, de lekbir le flutiste, et Ba Hamou. Avec eux et jusqu'à l'aube, le groupe veille en compagnie de « L'air des Amaria.»38 , et du thé préparé par Amayas.

La voix douce de la flute luttait contre le vent qui dans les bourrasques, la couvrait entièrement. Puis Lekbir s'arrêta, il ouvrit les yeux, regarda Ba Halem en souriant, et, reprenant la flute, commença un autre air, très différent de ce qu'il avait joué jusque-là. [...] L'air de Lekbir se met à marteler la nuit avec des notes dures ; [...]. Ba Hamou soudain laissa s'affaisser sa tête, ses épaules, ses bras, comme s'il avait reçu un coup dans la poitrine. Ses traits se crispèrent, il se mit à frissonner, puis il poussa un cri strident et sauta au milieu du cercle. Souad cria avec lui. Ba Hamou fit face à Lekbir et, le dos voûté vers lui, se mit à s'agiter frénétiquement. Ses bras, ses épaules, les battements sourds de ses pieds sur le sol suivaient la moindre inflexion de la musique, le corps de Ba Hamou suivait docilement, comme le naja fasciné par la baguette du charmeur39

38 Mammeri 2005, p. 66

39 Mammeri 2005, p. 66-67

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Ce lieu est différent de ceux déjà visités par les protagonistes. Le narrateur attire l'attention du lecteur que personne ne résiste visiblement à l'air des Amaria joué par lekbir. En effet, un sentiment d'exaltation s'est emparé des membres du groupe, et qui a dégénère en duel à l'épée entre Boualam et Amayas parce que:

La musique leur faisait oubliée leurs soucis, leurs maladies. Ils ont failli s'entretuer. Tous ceux qui descendent au Sahara, à un moment ou à un autre, attrapent la folie du désert40

El Adeb s'avère être un lieu topographique mythique. C'est en déplaçant ses personnages vers ce lieu que l'auteur réussit à surprendre le lecteur des effets du désert. Suite à l'évènement déjà survenu, et tôt le matin, Mourad fait part à Serge de ses reproches, et qu'il aurait dû mettre en garde ses compagnons. Car la folie du désert est une maladie qui donne une impression étrange. Serge, lui, attribut cette mutation du corps aux éléments naturels tels que l'air, les vents alors que Amayas, lui, parle de djinns. Souad est de cet avis. Le seul élément nouveau apporté ici est que le désert manifeste ses effets, par rapport aux humains qui l'habitent tels Amayas, Lekbir et Ba Hamou, et ceux qui le traversent aussi comme Mourad et ses compagnons.

La reprise de la traversée par le groupe se fait le lendemain, en empruntant la piste pour se rendre à Djanet. La rencontre d'un Touareg détacha les membres du groupe du mutisme qui les engloutissaient depuis qu'ils s'enfonçaient dans l'erg. Ils ne parviennent à destination qu'au début de la nuit. Durant cette étape, l'espace est dominé par une constante qui indique un seul repère géographique : « [...] des touffes de tahlés de plus en plus denses, dont certains bordaient la piste »41.

Le jour suivant, ils se rendirent au chef-lieu de la daïra des Ajjer. Selon un axe vertical, Mourad et ses compagnons se trouvent ainsi réuni dans le bureau climatisée du chef. Le café leur est servi par un jeune noir qui laissa pénétrer de l'air chaud par la porte d'entrée. Ainsi le désert traditionnel se trouve sous les auspices du désert pétrolier et administratif. Telle est la connotation politique qu'on peut entrevoir dans le choix de ce site par l'auteur dans la trame

40 Mammeri 2005, p. 69-70

41 Mammeri 2005, p. 70

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narrative. L'objet de la visite est la rencontre des nomades. Cependant, cette action s'avère difficile selon le sous-préfet,

-Il y en a, mais ou les trouver ? Voilà deux ans que je leur cours après pour les soigner, les instruire ou seulement leur donner une carte d'identité, les compter. Autant courir après le vent42

Après une longue discussion avec les membres de l'équipe des journalistes, il rajoute :

La semaine dernière les enfants se sont sauvés de l'internat. Nous avons repéré la direction qu'ils ont prise : c'est probablement celle de leur campement. Nous avons envoyé les gendarmes les récupérer. S'ils ne les ont pas retrouvés d'ici deux ou trois jours, les enfants vont mourir de soif [...].D'une façon générale ils n'aiment pas l'école43

Toutefois l'auteur se montre préoccupé par le problème des nomades. Le chef de la daïra tente de les sédentariser mais en vain. Suite au débat engagé avec le sous-préfet, les protagonistes se rendent à l'école. Il parait que c'est le lieu propice pour être en contact direct avec les nomades. Le narrateur nous dit que l'établissement présente les mêmes caractéristiques que ceux bâties au nord. Notons qu'ici le sud rejoint le nord et qu'ils se définissent l'un par rapport à l'autre. Au cours de cette visite, les élèves affichent une attitude anxieuse à l'égard des visiteurs. Le maitre exposait un cours d'histoire aux élèves. La présence du sous-préfet et de Mourad et ses compagnons les gênaient certainement. Bloqués, ils ne répondaient pas à la question du maitre. Les enfants nomades manifestent leur hostilité à l'égard de toute intégration. Insaisissables, ils refusent les bancs de l'école, désirent tous devenir chauffeurs pour concrétiser l'idéal de liberté qui les anime :

[...] chauffeur, bon, dit le maitre, mais expliquez-vous, pourquoi chauffeur ? Ahitaghel leva le doigt. Oui toi dit le maitre. Parce qu'on va ou on veut [...]44

42 Mammeri 2005, p. 71

43 Mammeri 2005, p. 73

44 Mammeri 2005, p. 77

30

Après cette visite, le déplacement se poursuit le lendemain matin en direction de la Sébiha, un lieu de rassemblement où ils assistèrent à une fête Touaregs haute en couleurs et en bruits, nous dit le narrateur. Ce spectacle obéit aux règles et coutumes guerrière d'une ethnie, encore actuelle de sa population. Serge et Amalia gardaient en guise de souvenirs des images inexplicables pour les lecteurs de Plaisir de France. Sur le plan verticalité, seule une crête surplombait l'oued et la piste devenue poussiéreuse. De retour à Djanet, Amayas, Fendou, et le jeune haratine accompagnaient le groupe de journalistes.

-En se détachant de Djanet et en empruntant durant deux jours la piste qui mène à Tamanrasset, Mourad est associé sans cesse à une forte fièvre. Au dispensaire de la ville, le médecin eut la sagesse de le garder pour quelque temps. Amayas saisit cette opportunité pour entreprendre une visite à la mère d'Ahitaghel, du côté de Timiawine, non loin des frontières libyennes. Entre-temps :

Il passa la matinée à fait le tour des boutiques pour acheter du thé, du sucre, des parfums, des étoffes, puis monta dans le camion de la lutte antiacridienne, qui partait sur Tin-Zaouatin45

Quant aux autres, ils profitèrent pour visiter Tam et l'Asekrem. D'ailleurs, c'est l'espace urbain qui domine cette étape du voyage. A travers le parcours narratif du récit, l'Histoire de l'errance des Touaregs nous est contée par le Patron de l'hôtel du Hoggar. En effet, du temps de la colonisation, l'administration a tenté par tous les moyens de sédentariser les coureurs de vent mais: « Les nomades prenaient les denrées, circonvenaient les chefs et se jouaient des généalogies »46.

Ce jour-là, Mourad avait quitté le dispensaire, il parait que la fièvre l'avait abandonné et il pouvait d'un moment à l'autre reprendre le voyage avec le groupe. De retour à Tam, Amayas était métamorphosé. La mère d'Ahitaghel vivait du tendé des frontières comme toutes ses semblables. Timiawine est un lieu fréquenté par les ouvriers des mines et du pétrole. Ainsi l'argent du pétrole offre le plaisir aux uns et la survie aux autres.

-Poursuivant leur périple, l'équipe entame une piste semblable à celle déjà parcourue qui les mène à In Salah, le lieu de leur ultime campement :

45 Mammeri 2005, p. 93

46 Mammeri 2005, p. 94

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Les lits de camp étaient éparpillés sur le fond plat de l'oued, auquel les bagages jetés au hasard donnaient une allure de souk47

Dans sa tente, Mourad ne trouve pas le sommeil. Il prit la direction de la montagne qui effaçait l'horizon. Ce déplacement nocturne de Mourad, sur le chemin caillouteux, est lié au rêve et à un aspect naturel du lieu, en relation avec le Corps. Seul le narrateur a su nous décrire la scène qu'a vécue le héros. Plus tard, il est retrouvé et récupéré par Amayas, l'homme du désert. Ce lieu auquel l'auteur associe son personnage évoque le rêve ou la quête des origines.

-l'étape suivante et la dernière, Timimoune. Le narrateur nous invite à découvrir la belle histoire de Ba Salem, le cultivateur de tournesols et symbole de la culture orale. Poète. Admirateur et chanteur d'ahellils, de fêtes Touaregs. Depuis la mort de sa femme Ouda, il cessa d'aller aux ahellils. Sa mort au pied du tombeau d'un saint, nommé Sidi Otman, annonce la disparition d'une société. Les membres du groupe n'ont pas raté l'occasion d'assister à Massine puis à Sidi Hadj Belkacem à la fête des saints et du Mouloud. Timimoune, le lieu où se rassemblaient les vendeurs qui affluaient de partout, la plus part venaient du nord. Les Ksouriens paradaient jusqu'à une heure tardive de la nuit. Le lendemain, ils se rendirent à la zaouia. Une plaine dominée par des mamelons de sable. C'est de là que commence la marche vers le mausolée de Sidi Hadj Belkacem, où des populations entières se retrouvent.

De retour à Ghardaia, les voyageurs rencontrent quelques désagréments en cour de route, des problèmes mécaniques avec la première Land. Mourad et Amalia furent secourus par un taxi vert et jaune qui allait dans leur direction. Ils se séparèrent à l'aérodrome de Ghardaïa ou Amalia devait prendre l'avion pour Alger, une heure après. Quant à Mourad, il rentre à Alger dans le même taxi.

C'est sur cet épisode que s'achève le voyage effectué par l'équipe des journalistes. Mourad prend le chemin du renoncement. Boualam regagnant Alger, noie ses doutes dans l'alcool. Les autres sortent indemne de cette traversée.

47 Mammeri 2005, p. 97

32

1-2 Lieux, valeurs et symboles :

Si l'auteur inscrit les étapes du voyage dans des lieux réels, il nous autorise ainsi de suivre les personnages à travers le désert. En investissant ces mêmes lieux de valeurs autres que celles qui leurs sont historiquement attribuées, dans ce cas seulement il fait preuve de créativité. L'espace participe à l'action et influence la diégèse, il est perçu comme actant dans la théorie de Mitterrand. Dans cette partie de notre étude, nous voudrions :

Reconstituer dans l'oeuvre romanesque à la fois la répartition exacte des lieux et le système de valeurs qui recouvre cette répartition48

Le voyage au désert nous fait vivre les déplacements des personnages selon un double plan : d'abord horizontal et qui englobe les déplacements du Nord au Sud et d'Est en Ouest, ensuite selon un axe vertical qui implique les repères géographiques naturels-comme les dunes et les palmeraies, les montagnes, les ergs et les regs, et urbains tels les constructions publics : chef-lieu de daïra, dispensaire, hôtel et auxquelles nous joignons les sites de pétroles. Les directions recensées sur le plan horizontal se rapportent à un espace défini : la route goudronnée, la piste. Le périple n'est amorcé qu'à partir de Ghardaia, lieu géographique qui engendre chez Mourad un sentiment de déception. Ce fut aussi le point de départ d'une visite à Hassi-Messaoud, le premier vrai site de pétrole situé au Sud-Est. Ce déplacement n'amène pas le bien recherché : la déception s'empare non seulement de Mourad, mais aussi de Boualem. Après, ils se rendent à In Amenas, lieu de dérision pour Boualem, ensuite El Adeb, le dernier lieu où on peut trouver du pétrole. C'est dans ce lieu que fut la première rencontre avec les Touaregs. A cet endroit ou pour rejoindre l'équipe de Maraval, il faut passer par la piste. Amayas se charge de les y conduire. Le lieu est à une heure de marche à pied, le temps de bien sentir le désert. En se déplaçant vers ce lieu, les protagonistes vivent le désert tel qu'il se présente à eux. Suite à l'évènement survenu, ils passent la nuit sous les tentes. Si les protagonistes se rendent dans ce lieu, c'est qu'il renferme des informations sur le mode de vie des Touregs. A Djanet Mourad et ses compagnons désirent voir les nomades, ils sont accueillis par le sous-préfet de la daïra des Ajjers. Dans une de ses narrations, il dit : «Qu'il faut arracher les Touregs à leurs violents »49. Les protagonistes, à l'issue de leur visite à l'école, accèdent à une forme de vérité. L'état tente de sédentariser les enfants nomades.

48 Mitterrand 1980, p. 197

49 Mammeri 2005, p.72

33

Encore plus que cela est révélé, ils sont persécuter, tués même par les gendarmes, comme le frère d'Ahitaghel. La situation est celle d'une minorité victime des instruments de l'appareil de l'état. Pour les enfants nomades, l'école est une véritable prison, un lieu qui les prive de leur liberté. Encore loin dans leur périple, l'équipe des journalistes s'arrête à Tamanrasset. Le narrateur mentionne que le drame surgit du désert pétrolier et institutionnel, situations qu'Amalia énonce clairement à Mourad « La réalité est à l'image de l'apologue rédigé par ce dernier» 50

D'autres endroits situés au Sud-Ouest ont été visités. Ils évoquent le rêve ou une quête d'un niveau personnel. Pour le savoir, il suffit de signaler la piste d'In Salah, la nuit passée dans la montagne, l'écho de l'appel proférer par Mourad. Timimoune rappelle la civilisation du désert. Les cérémonies et les pèlerinages offrent aux visiteurs des sables des images captivantes, véritable démonstration qu'une civilisation détenant ses coutumes et rythmes particuliers y trouva autrefois sa place. De toutes ses pérégrinations, Mourad allait enfin voir Ba Salem, le chanteur de l'ahéllil. Timimoune semble lui apporter un certain réconfort. Mais avec la mort du poète, Mourad cesse d'être séduit par le désert de ses propres croyances. Il perd la conscience de ses racines.

Certaines des images verticales construites apparaissant dans le texte narré, constituent des symboles encore plus solides par la relation dont ils font l'objet. Les guérites et l'Atlas sont mentionnés en relation avec la Guerre de Libération dont nous avons précédemment parlé. Les constructions humaines tels les sites de pétrole à Hassi Messaoud remplacent les formations naturelles : les dunes, les ergs et tentent de remplacer ou de camoufler une Algérie profonde presque en voie de disparition (et ce, aux points de vue géographique et sociologique). La narration met en évidence la fragilité et le caractère éphémère des formations naturelles verticales pour montrer la solidité des constructions humaines verticales. Les déplacements du nord au sud modifient pour leur part les états d'âme des protagonistes; tandis que l'axe vertical tend à démontrer la suprématie des constructions verticales humaines sur les formes naturelles, à masquer la faiblesse de l'Algérie. Ainsi la mise en scène spatiale a pour but d'influencer la diégèse, mais aussi de présenter une image de l'Algérie des indépendances dans notre texte.

50 Mammeri 2005, p.95

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