Partie Pratique
23
Chapitre n°1 : Le voyage
La Traversée, quatrième et dernier
roman de Mouloud Mammeri, se situe juste après l'indépendance,
quelque temps après les évènements du printemps
berbère du 20 avril 1980. L'occurrence de divers aspects du
désert dans le texte justifie l'intérêt qu'accorde l'auteur
pour certains aspects topographiques. Le désert Mammerien est
décrit par le parcours qu'effectue Mourad et ses compagnons, à
travers leur périple dans le grand-sud. Un mois est la durée
consacrée à ce voyage. En plus de Mourad, le groupe se compose de
journalistes ; personnages de cultures et d'opinions assez différentes.
Boualam nouveau chevalier d'Allah est le disciple d'un certain Djamel
Stambouli. La jeune Souad, secrétaire du groupe tout au long de
l'expédition. Serge, un ancien communiste, qui a le sens du dialogue.
Amalia (alias Aimée Delaunay) a été amenée à
aider le FLN, journaliste qui vient effectuer un reportage sur le
pétrole du Sahara pour la revue Plaisir de France .C'est un
trajet circulaire dont voici l'itinéraire :
Voici l'itinéraire : Ghardaïa, Ouargla, Hassi
Messaoud, un tour à In Amenas, puis Djanet. Au retour vous prenez une
route différente : Tamanrasset, In Salah, Timimoune, El Golea 29
Sont incorporées à cet espace topographique :
une descente sur Laghouat, une escale à Ghardaïa, un pique sur
Ouargla, une visite à Hassi-Messaoud et In Amenas, enfin un arrêt
à Djanet et à Tamanrasset. In Salah, Timimoune et El Goléa
constitue le trajet retour vers Alger. Cet espace est fondé sur des
lieux réels situé au grand Sud algérien.
1-1 Les étapes de la narration :
Avant d'entamer le voyage, Mourad se comporte comme un
personnage écrivain. L'article qu'il rédige est un récit
linéaire. Une caravane devancée par des héros traverse
l'espace du désert pour atteindre l'oasis. Au fur et à mesure que
la caravane progresse, les héros sont éliminés et
remplacer par des épigones, une fois le but atteint, c'est à dire
l'oasis. Nous remarquons que tout le texte est bâti autour de symboles
que le lecteur doit décrypter. Ce récit, véritable
épopée et antérieur à la diégèse,
sert d'ancrage au trajet qu'effectuent Mourad et ses compagnons dans le
désert et annonce surtout le chemin de renoncement que doit suivre le
héros.
29 Mammeri 2005, p. 33
24
Les différentes étapes du voyage qu'effectuent
Mourad et ses compagnons s'inscrivent dans les parcours du présent
narratif. Elles sont au nombre de neuf. Bien distinctes, chacune d'elles
étant liée à un contexte différent.
-La première étape du voyage est une descente qui
mène le groupe d'Alger à Ghardaïa en passant par Laghouat.
En longeant la route à travers la plaine fertile de la Mitidja, le
narrateur nous livre sous l'oeil d'Amalia, des images assez
représentatives de : l'Histoire de la Colonisation.
Elle laissa défiler les champs plats de la Mitidja,
tirées au cordeau, les fermes à tuiles rondes, ou se voyaient
encore les margelles vermoulues de puits désaffectés. Elle
s'interdit de trouver belle la coupure abrupte et sinueuse des gorges de la
Chiffa, qui les fit pénétrer dans l'Atlas. Elle s'étonna
seulement de voir toujours debout les guérites construites par
l'armée contre les maquisards. Ils commencèrent à
percevoir le désert qu'après Laghouat, au vide épais que
les lands devaient déchirer devant elles pour avancer. Malgré
leurs prévisions ils n'arrivèrent au-dessus des ravins du Mzab
qu'à la nuit tombante 30
Une pareille description de la géographie historique de
la Mitidja est un choix délibéré de la part de l'auteur.
Les sites relevés ont appartenu aux colons avant de passer aux
Algériens. Un prétexte pour associer Amalia, aux origines
françaises, à l'image mythique du passé. Le voyage se
poursuit pour les protagonistes et le déplacement se fait du nord au
sud. En s'introduisant dans l' Atlas, le passé rejoint le présent
encore de nouveau. Le narrateur mentionne à l'attention du lecteur, la
présence de guérites dressées par l'armée
coloniale, pour faire obstacles aux représailles des moudjahidines.
L'Atlas, un repère géographique, indique non seulement la
verticalité du lieu, mais aussi une barrière difficile à
franchir ou à contourner pour l'armée française, sans
parler des maquisards qu'il fallait combattre. L'épopée de la
guerre de libération puise son invincibilité dans ces montagnes.
A travers ces bribes d'Histoire, le trajet se poursuit avec rapidité et
sans aucun arrêt comme si les protagonistes devaient arriver à
tout prix à destination. Le désert n'apparait qu'une fois
Laghouat franchie. L'auteur ne donne aucun détail sur les sites
rencontrés, sauf qu'au vide
30 Mammeri 2005, p. 56
25
épais du désert. La vallée du Mzab n'est
atteinte qu'à la tombée de la nuit. Suite à cette halte,
et sur une idée de Mourad, le groupe descend à «
L'hôtel Transatlantique »31.
L'hôtel où descend le groupe, est dominé
par des images qui évoquent la verticalité du lieu. Pour Mourad,
l'oasis qui lui était si chère jadis, est devenue un lieu de
transit pour les pétroliers. Seule une narration soutenue en fait une
description,
La porte basse et cintrée de bois massif avait
gardé son heurtoir. Le bassin de la cour continuait de refléter
à l'envers l'éventail des palmiers susurrant sous la brise. A
trois mètres le jet d'eau renonçait à escalader le ciel et
s'effritait vite en grêles grains de lumière, qui dansaient avant
de choir sur la surface lisse, ou il faisait le même bruit de pas nus sur
un sol dallé. [...]Presque toutes les tables étaient prises par
les pétroliers, qui remontaient vers le nord pour leur congé,
après la période règlementaire passée dans les
bases du sud. Les éclats de voix couvraient la masse à peine
distincte de musique des années trente diffusée par un
tourne-disque32
Le narrateur nous dévoile aussi l'état
psychologique dans lequel se trouve Mourad. Il renonce à la promenade
nocturne dans la palmeraie. Amalia s'est fait accompagner par Serge pour une
randonnée nocturne. En regagnant sa chambre, Mourad n'arrivait pas
à trouver le sommeil :
Mourad était contrarié. [...].Les murs de sa
chambre étaient tendus d'étoffes rouges. Mourad s'étendit
tout habillé sur le lit, rouge aussi 33
La couleur rouge auquel recourt le narrateur pour
décrire la chambre, est une marque qui exprime l'ampleur de la blessure
de Mourad causée par l'état de délabrement de l'ombreuse
oasis.
31 Mammeri 2005, p. 56
32 Mammeri 2005, p. 56
33 Mammeri 2005, p. 57
26
-La Seconde étape du voyage conduit les protagonistes
de Ghardaïa à Hassi-Messaoud en passant par Ouargla, «
C'est l'antichambre du désert pétrolier
»34.
Le déplacement se fait vers le Sud-Est, cette fois le
groupe s'arrête au premier site de pétrole : Hassi-Messaoud.
L'auteur ne donne pas de détails sur le site, mais exprime sa
sensibilité, il note :
[...] Hassi-Messaoud était pour Boualem une insulte
au désert prophétique. Pendant qu'Amalia, Serge et quelque fois
Mourad couraient à travers la base, lui se mêlait au manoeuvres
des chantiers dans l'espoir que derrière le déguisement ridicule
de leurs bleus de travail, il allait rencontrer, étouffée mais
brulante encore, l'étincelle de vérité. Il ne tarda pas
à déchanter35
Apparemment, c'est l'espace industriel qui prédomine
dans cette étape du voyage. Le narrateur fait remarquer que tous les
ouvriers de la base, excepté quelques-uns espéraient faire
fortune.
La troisième étape du voyage In Amenas, le
groupe découvrait à la place des méharis rien «
[...]que les masses poussives des grands camions ocres [...]»
36
Ce qui confirmait le désenchantement de Mourad et Boualem
tombés tous les deux dans la dérision.
L'étape suivante, Djanet : cette fois-ci, le trajet est
différent, il se fait en empruntant la piste où « De
temps à autre, ils rencontraient des trains de grands pneus, [...] pour
l'aplanir »37.
El Adeb est la dernière station qui mène au sud.
Ce lieu constitue un nouveau départ pour Mourad et ses compagnons.
Dès leur arrivée à une heure tardive, le chef de la base
les invita à diner à la cantine. Un guide accompagnera le groupe
où ils rejoindront le camp de Maraval. Le guide c'est Amayas, Touareg,
l'utile et le chaleureux. Les protagonistes s'en servent pour
34 Mammeri 2005, p. 58
35 Mammeri 2005, p. 58 52 Mammeri 2005, p.
58 37Mammeri 2005, p. 59
27
s'orienter sur la piste et pour approfondir leurs
connaissances sur le désert, et révélant aussi au lecteur
la manière d'y arriver. Le narrateur fait intervenir Amalia :
Avec Amayas il n'y avait pas de risque, dit Amalia, il
connait la région dune par dune, mais au camp de Maraval, il connaissait
aussi tout le monde37
Cette étape est peuplée de rencontres. Celle des
hommes des zéribas que Boualam préférait leur tenir
compagnie dans l'espoir de les endoctriner. Celle de la visite d'Amalia et de
Mourad au camp Maraval. Seuls Souad, Serge et Boualam s'adonnaient aux
commentaires. Pour Serge, Amalia et Mourad représente la guerre
d'indépendance. Souad ne l'entendait pas de cette oreille. Elle voit
leur disparition derrière les dunes douteuse. Boualam, quant à
lui soupçonnait Amalia d'être un agent de la CIA. Celle des
enfants qui surgissent de derrière la dune, de lekbir le flutiste, et Ba
Hamou. Avec eux et jusqu'à l'aube, le groupe veille en compagnie de
« L'air des Amaria.»38 , et du thé
préparé par Amayas.
La voix douce de la flute luttait contre le vent qui dans
les bourrasques, la couvrait entièrement. Puis Lekbir s'arrêta, il
ouvrit les yeux, regarda Ba Halem en souriant, et, reprenant la flute,
commença un autre air, très différent de ce qu'il avait
joué jusque-là. [...] L'air de Lekbir se met à marteler la
nuit avec des notes dures ; [...]. Ba Hamou soudain laissa s'affaisser sa
tête, ses épaules, ses bras, comme s'il avait reçu un coup
dans la poitrine. Ses traits se crispèrent, il se mit à
frissonner, puis il poussa un cri strident et sauta au milieu du cercle. Souad
cria avec lui. Ba Hamou fit face à Lekbir et, le dos voûté
vers lui, se mit à s'agiter frénétiquement. Ses bras, ses
épaules, les battements sourds de ses pieds sur le sol suivaient la
moindre inflexion de la musique, le corps de Ba Hamou suivait docilement, comme
le naja fasciné par la baguette du charmeur39
38 Mammeri 2005, p. 66
39 Mammeri 2005, p. 66-67
28
Ce lieu est différent de ceux déjà
visités par les protagonistes. Le narrateur attire l'attention du
lecteur que personne ne résiste visiblement à l'air des Amaria
joué par lekbir. En effet, un sentiment d'exaltation s'est emparé
des membres du groupe, et qui a dégénère en duel à
l'épée entre Boualam et Amayas parce que:
La musique leur faisait oubliée leurs soucis, leurs
maladies. Ils ont failli s'entretuer. Tous ceux qui
descendent au Sahara, à un moment ou à un autre, attrapent la
folie du désert40
El Adeb s'avère être un lieu topographique
mythique. C'est en déplaçant ses personnages vers ce lieu que
l'auteur réussit à surprendre le lecteur des effets du
désert. Suite à l'évènement déjà
survenu, et tôt le matin, Mourad fait part à Serge de ses
reproches, et qu'il aurait dû mettre en garde ses compagnons. Car la
folie du désert est une maladie qui donne une impression étrange.
Serge, lui, attribut cette mutation du corps aux éléments
naturels tels que l'air, les vents alors que Amayas, lui, parle de djinns.
Souad est de cet avis. Le seul élément nouveau apporté ici
est que le désert manifeste ses effets, par rapport aux humains qui
l'habitent tels Amayas, Lekbir et Ba Hamou, et ceux qui le traversent aussi
comme Mourad et ses compagnons.
La reprise de la traversée par le groupe se fait le
lendemain, en empruntant la piste pour se rendre à Djanet. La rencontre
d'un Touareg détacha les membres du groupe du mutisme qui les
engloutissaient depuis qu'ils s'enfonçaient dans l'erg. Ils ne
parviennent à destination qu'au début de la nuit. Durant cette
étape, l'espace est dominé par une constante qui indique un seul
repère géographique : « [...] des touffes de
tahlés de plus en plus denses, dont certains bordaient la piste
»41.
Le jour suivant, ils se rendirent au chef-lieu de la
daïra des Ajjer. Selon un axe vertical, Mourad et ses compagnons se
trouvent ainsi réuni dans le bureau climatisée du chef. Le
café leur est servi par un jeune noir qui laissa pénétrer
de l'air chaud par la porte d'entrée. Ainsi le désert
traditionnel se trouve sous les auspices du désert pétrolier et
administratif. Telle est la connotation politique qu'on peut entrevoir dans le
choix de ce site par l'auteur dans la trame
40 Mammeri 2005, p. 69-70
41 Mammeri 2005, p. 70
29
narrative. L'objet de la visite est la rencontre des nomades.
Cependant, cette action s'avère difficile selon le
sous-préfet,
-Il y en a, mais ou les trouver ? Voilà deux ans
que je leur cours après pour les soigner, les instruire ou seulement
leur donner une carte d'identité, les compter. Autant courir
après le vent42
Après une longue discussion avec les membres de
l'équipe des journalistes, il rajoute :
La semaine dernière les enfants se sont
sauvés de l'internat. Nous avons repéré la direction
qu'ils ont prise : c'est probablement celle de leur campement. Nous avons
envoyé les gendarmes les récupérer. S'ils ne les ont pas
retrouvés d'ici deux ou trois jours, les enfants vont mourir de soif
[...].D'une façon générale ils n'aiment pas
l'école43
Toutefois l'auteur se montre préoccupé par le
problème des nomades. Le chef de la daïra tente de les
sédentariser mais en vain. Suite au débat engagé avec le
sous-préfet, les protagonistes se rendent à l'école. Il
parait que c'est le lieu propice pour être en contact direct avec les
nomades. Le narrateur nous dit que l'établissement présente les
mêmes caractéristiques que ceux bâties au nord. Notons
qu'ici le sud rejoint le nord et qu'ils se définissent l'un par rapport
à l'autre. Au cours de cette visite, les élèves affichent
une attitude anxieuse à l'égard des visiteurs. Le maitre exposait
un cours d'histoire aux élèves. La présence du
sous-préfet et de Mourad et ses compagnons les gênaient
certainement. Bloqués, ils ne répondaient pas à la
question du maitre. Les enfants nomades manifestent leur hostilité
à l'égard de toute intégration. Insaisissables, ils
refusent les bancs de l'école, désirent tous devenir chauffeurs
pour concrétiser l'idéal de liberté qui les anime :
[...] chauffeur, bon, dit le maitre, mais expliquez-vous,
pourquoi chauffeur ? Ahitaghel leva le doigt. Oui toi dit le maitre. Parce
qu'on va ou on veut [...]44
42 Mammeri 2005, p. 71
43 Mammeri 2005, p. 73
44 Mammeri 2005, p. 77
30
Après cette visite, le déplacement se poursuit
le lendemain matin en direction de la Sébiha, un lieu de rassemblement
où ils assistèrent à une fête Touaregs haute en
couleurs et en bruits, nous dit le narrateur. Ce spectacle obéit aux
règles et coutumes guerrière d'une ethnie, encore actuelle de sa
population. Serge et Amalia gardaient en guise de souvenirs des images
inexplicables pour les lecteurs de Plaisir de France. Sur le plan
verticalité, seule une crête surplombait l'oued et la piste
devenue poussiéreuse. De retour à Djanet, Amayas, Fendou, et le
jeune haratine accompagnaient le groupe de journalistes.
-En se détachant de Djanet et en empruntant durant deux
jours la piste qui mène à Tamanrasset, Mourad est associé
sans cesse à une forte fièvre. Au dispensaire de la ville, le
médecin eut la sagesse de le garder pour quelque temps. Amayas saisit
cette opportunité pour entreprendre une visite à la mère
d'Ahitaghel, du côté de Timiawine, non loin des frontières
libyennes. Entre-temps :
Il passa la matinée à fait le tour des
boutiques pour acheter du thé, du sucre, des parfums, des
étoffes, puis monta dans le camion de la lutte antiacridienne, qui
partait sur Tin-Zaouatin45
Quant aux autres, ils profitèrent pour visiter Tam et
l'Asekrem. D'ailleurs, c'est l'espace urbain qui domine cette étape du
voyage. A travers le parcours narratif du récit, l'Histoire de l'errance
des Touaregs nous est contée par le Patron de l'hôtel du Hoggar.
En effet, du temps de la colonisation, l'administration a tenté par tous
les moyens de sédentariser les coureurs de vent mais: « Les
nomades prenaient les denrées, circonvenaient les chefs et se jouaient
des généalogies »46.
Ce jour-là, Mourad avait quitté le dispensaire,
il parait que la fièvre l'avait abandonné et il pouvait d'un
moment à l'autre reprendre le voyage avec le groupe. De retour à
Tam, Amayas était métamorphosé. La mère d'Ahitaghel
vivait du tendé des frontières comme toutes ses semblables.
Timiawine est un lieu fréquenté par les ouvriers des mines et du
pétrole. Ainsi l'argent du pétrole offre le plaisir aux uns et la
survie aux autres.
-Poursuivant leur périple, l'équipe entame une
piste semblable à celle déjà parcourue qui les mène
à In Salah, le lieu de leur ultime campement :
45 Mammeri 2005, p. 93
46 Mammeri 2005, p. 94
31
Les lits de camp étaient éparpillés
sur le fond plat de l'oued, auquel les bagages jetés au hasard donnaient
une allure de souk47
Dans sa tente, Mourad ne trouve pas le sommeil. Il prit la
direction de la montagne qui effaçait l'horizon. Ce déplacement
nocturne de Mourad, sur le chemin caillouteux, est lié au rêve et
à un aspect naturel du lieu, en relation avec le Corps. Seul le
narrateur a su nous décrire la scène qu'a vécue le
héros. Plus tard, il est retrouvé et
récupéré par Amayas, l'homme du désert. Ce lieu
auquel l'auteur associe son personnage évoque le rêve ou la
quête des origines.
-l'étape suivante et la dernière, Timimoune. Le
narrateur nous invite à découvrir la belle histoire de Ba Salem,
le cultivateur de tournesols et symbole de la culture orale. Poète.
Admirateur et chanteur d'ahellils, de fêtes Touaregs. Depuis la mort de
sa femme Ouda, il cessa d'aller aux ahellils. Sa mort au pied du tombeau d'un
saint, nommé Sidi Otman, annonce la disparition d'une
société. Les membres du groupe n'ont pas raté l'occasion
d'assister à Massine puis à Sidi Hadj Belkacem à la
fête des saints et du Mouloud. Timimoune, le lieu où se
rassemblaient les vendeurs qui affluaient de partout, la plus part venaient du
nord. Les Ksouriens paradaient jusqu'à une heure tardive de la nuit. Le
lendemain, ils se rendirent à la zaouia. Une plaine dominée par
des mamelons de sable. C'est de là que commence la marche vers le
mausolée de Sidi Hadj Belkacem, où des populations
entières se retrouvent.
De retour à Ghardaia, les voyageurs rencontrent
quelques désagréments en cour de route, des problèmes
mécaniques avec la première Land. Mourad et Amalia furent
secourus par un taxi vert et jaune qui allait dans leur direction. Ils se
séparèrent à l'aérodrome de Ghardaïa ou Amalia
devait prendre l'avion pour Alger, une heure après. Quant à
Mourad, il rentre à Alger dans le même taxi.
C'est sur cet épisode que s'achève le voyage
effectué par l'équipe des journalistes. Mourad prend le chemin du
renoncement. Boualam regagnant Alger, noie ses doutes dans l'alcool. Les autres
sortent indemne de cette traversée.
47 Mammeri 2005, p. 97
32
1-2 Lieux, valeurs et symboles :
Si l'auteur inscrit les étapes du voyage dans des lieux
réels, il nous autorise ainsi de suivre les personnages à travers
le désert. En investissant ces mêmes lieux de valeurs autres que
celles qui leurs sont historiquement attribuées, dans ce cas seulement
il fait preuve de créativité. L'espace participe à
l'action et influence la diégèse, il est perçu comme
actant dans la théorie de Mitterrand. Dans cette partie de notre
étude, nous voudrions :
Reconstituer dans l'oeuvre romanesque à la fois la
répartition exacte des lieux et le système de valeurs qui
recouvre cette répartition48
Le voyage au désert nous fait vivre les
déplacements des personnages selon un double plan : d'abord horizontal
et qui englobe les déplacements du Nord au Sud et d'Est en Ouest,
ensuite selon un axe vertical qui implique les repères
géographiques naturels-comme les dunes et les palmeraies, les montagnes,
les ergs et les regs, et urbains tels les constructions publics : chef-lieu de
daïra, dispensaire, hôtel et auxquelles nous joignons les sites de
pétroles. Les directions recensées sur le plan horizontal se
rapportent à un espace défini : la route goudronnée, la
piste. Le périple n'est amorcé qu'à partir de Ghardaia,
lieu géographique qui engendre chez Mourad un sentiment de
déception. Ce fut aussi le point de départ d'une visite à
Hassi-Messaoud, le premier vrai site de pétrole situé au Sud-Est.
Ce déplacement n'amène pas le bien recherché : la
déception s'empare non seulement de Mourad, mais aussi de Boualem.
Après, ils se rendent à In Amenas, lieu de dérision pour
Boualem, ensuite El Adeb, le dernier lieu où on peut trouver du
pétrole. C'est dans ce lieu que fut la première rencontre avec
les Touaregs. A cet endroit ou pour rejoindre l'équipe de Maraval, il
faut passer par la piste. Amayas se charge de les y conduire. Le lieu est
à une heure de marche à pied, le temps de bien sentir le
désert. En se déplaçant vers ce lieu, les protagonistes
vivent le désert tel qu'il se présente à eux. Suite
à l'évènement survenu, ils passent la nuit sous les
tentes. Si les protagonistes se rendent dans ce lieu, c'est qu'il renferme des
informations sur le mode de vie des Touregs. A Djanet Mourad et ses compagnons
désirent voir les nomades, ils sont accueillis par le sous-préfet
de la daïra des Ajjers. Dans une de ses narrations, il dit :
«Qu'il faut arracher les Touregs à leurs violents
»49. Les protagonistes, à l'issue de leur visite
à l'école, accèdent à une forme de
vérité. L'état tente de sédentariser les enfants
nomades.
48 Mitterrand 1980, p. 197
49 Mammeri 2005, p.72
33
Encore plus que cela est révélé, ils sont
persécuter, tués même par les gendarmes, comme le
frère d'Ahitaghel. La situation est celle d'une minorité victime
des instruments de l'appareil de l'état. Pour les enfants nomades,
l'école est une véritable prison, un lieu qui les prive de leur
liberté. Encore loin dans leur périple, l'équipe des
journalistes s'arrête à Tamanrasset. Le narrateur mentionne que le
drame surgit du désert pétrolier et institutionnel, situations
qu'Amalia énonce clairement à Mourad « La
réalité est à l'image de l'apologue rédigé
par ce dernier» 50
D'autres endroits situés au Sud-Ouest ont
été visités. Ils évoquent le rêve ou une
quête d'un niveau personnel. Pour le savoir, il suffit de signaler la
piste d'In Salah, la nuit passée dans la montagne, l'écho de
l'appel proférer par Mourad. Timimoune rappelle la civilisation du
désert. Les cérémonies et les pèlerinages offrent
aux visiteurs des sables des images captivantes, véritable
démonstration qu'une civilisation détenant ses coutumes et
rythmes particuliers y trouva autrefois sa place. De toutes ses
pérégrinations, Mourad allait enfin voir Ba Salem, le chanteur de
l'ahéllil. Timimoune semble lui apporter un certain réconfort.
Mais avec la mort du poète, Mourad cesse d'être séduit par
le désert de ses propres croyances. Il perd la conscience de ses
racines.
Certaines des images verticales construites apparaissant dans
le texte narré, constituent des symboles encore plus solides par la
relation dont ils font l'objet. Les guérites et l'Atlas sont
mentionnés en relation avec la Guerre de Libération dont nous
avons précédemment parlé. Les constructions humaines tels
les sites de pétrole à Hassi Messaoud remplacent les formations
naturelles : les dunes, les ergs et tentent de remplacer ou de camoufler une
Algérie profonde presque en voie de disparition (et ce, aux points de
vue géographique et sociologique). La narration met en évidence
la fragilité et le caractère éphémère des
formations naturelles verticales pour montrer la solidité des
constructions humaines verticales. Les déplacements du nord au sud
modifient pour leur part les états d'âme des protagonistes; tandis
que l'axe vertical tend à démontrer la suprématie des
constructions verticales humaines sur les formes naturelles, à masquer
la faiblesse de l'Algérie. Ainsi la mise en scène spatiale a pour
but d'influencer la diégèse, mais aussi de présenter une
image de l'Algérie des indépendances dans notre texte.
50 Mammeri 2005, p.95
34
|