Conclusion
A l'instar de l'idée néo-platonicienne, la magie
est Eros, chez Marcel Ficin, la magie qu'évoque Diaz à travers
une poignée de tableaux est celle de l'amour, qui transpire de ses
morceaux de nature et se trouve maintes fois allégorisée à
travers diverses formes sous le pinceau de Diaz. Le peintre puise justement
dans un univers ovidien et fait de son oeuvre une vaste métamorphose. Au
cours de cette étude c'est bien l'Amour chez Diaz qui semble donner de
façon équivalente une approche globale de son oeuvre. Pulsion
érotique à l'oeuvre dans sa démarche projective face
à la nature, où après les leçons d'Alexander Cozens
il dépose des taches avant d'en trouver un motif correspondant ;
fascination pour Eros dont il semble suivre la trace dans la vie secrète
des arbres ou dans les yeux de ses enfants pour leur mère, qui l'aide
à approcher les Idées, à la façon dont Platon le
recommandait. Amour qui rythme la vie de l'homme de sa naissance à sa
mort, amour qui alimente les conversations de tous les hommes depuis un Orient
lointain jusqu'au Grand Siècle. Clé du succès, c'est
l'intuition de ce qui plaira au public qui en fait un « magicien »,
capable de faire fortune avec une facilité déconcertante.
Faire un sujet sur Eros chez Diaz nous aurait permis de
parcourir efficacement son oeuvre, mais nous aurait posé le même
problème de méthode que l'angle de la fantaisie du peintre : quel
corpus réunir, alors que l'Amour et la fantaisie sont
précisément omniprésents ? Sur une poignée
d'oeuvres réunies autour du thème de la magie, nous avons pu non
seulement développer notre lecture globale de l'oeuvre de Diaz, mais
aussi approcher le personnage qu'il était de son vivant dans le milieu
de l'art parisien, et analyser l'insistance avec laquelle ses contemporains
l'ont appelé « magicien ».
Les Fées, dont le nom reprend le phrasé de
Nodier « La fée aux miettes », nous ont permis de balayer la
carrière et la vie de l'artiste en en mettant au jour son
caractère de conte de fées. Diaz construit lui-même un
conte, d'une façon qui parait traduire une philosophie de vie
bohème. OEuvres métaphysiques, elles symbolisent
l'oeuvre-même du peintre, en y restant insolites, placées dans un
décorum radicalement différent des bois qui d'ordinaire sont la
matrice de toutes les projections de Diaz. Fée aux fleurs,
Fée aux bijoux, Fée aux joujoux, se sont penché
toutes trois sur l'oeuvre pour lui faire des dons. Diaz analyse ce qui dans son
faire a jusqu'alors fonctionné, dans un moment de recul où la
faillite le guette. L'artiste attribue lui-même à sa
sensibilité esthétique une attention particulière à
la beauté éphémère et à la grâce, au
narcissisme, et au jeu. Partant d'une forme allégorique tirée
d'un motif conventionnel, Diaz passe par des essais allégoriques qui
annoncent une sensibilité symboliste.
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Les magiciennes de Diaz sont venues faire écho et
illustrer plus précisément la « magie »
attribuée à Diaz, sous la plume des critiques. Un usage de la
couleur audacieux et réalisant habilement une synthèse des
maîtres passés, ainsi que le programme romantique l'avait
appelé de ses voeux, font de Diaz un Bateleur. Figure du magicien, ou
autrement dit, de l'individu habile qui a réuni les conditions
nécessaires à son succès, le bateleur, qui fait des tours,
correspond bien à Diaz qui le premier explore plus profondément
les potentialités de la vente aux enchères, et tire de ses
esquisses et dessins à l'essence une deuxième et une
troisième fortune. Obéissant au principe de plaisir, Diaz trouve
une façon d'allier la facilité et la réflexion. Ses
oeuvres ont la profondeur que prend son introspection et sa méditation
sur le monde, profondeur contenue dans son attitude projective où il
sollicite son imagination. Marginal, Espagnol à la jambe de bois,
l'artiste a tôt fait d'être mêlé à la figure
d'un magicien, d'une part parce que la proximité entre
marginalité, art et magie sont liées ; d'autre part parce que
lui-même entretient une affinité avec le thème.
Lorsque Paul Mantz résume : « Diaz n'a
été trop souvent qu'un peintre singulièrement habile
à mettre des tons délicieux sur des formes
inexactes382 », il ne fait pas de rapprochement avec une
pensée axée autour des apparences, car la pensée
artistique chez Diaz est effectivement à distinguer d'une théorie
artistique. Cependant Mantz nie la volonté affirmée de Diaz
à produire ces « formes inexactes ». Le peintre ne pense pas
en amont de sa production, n'applique pas d'idée, mais conçoit
dans un mouvement à la fois intellectuel et concret que son oeuvre est
le fruit d'un geste et d'une volonté unifiés. La
désinvolture de Diaz est un principe de plaisir qui lui permet aussi de
tenir tête à l'Académie et à la peinture finie. La
« médiocrité dans toute sa nudité » est peut
être comprise dans le mécanisme qui attribue la valeur de l'art,
pour un artiste admiratif du travail de ses maîtres et de ses
contemporains, qui comprend de quels rouages mercantiles et psychologiques il
apprend à jouer.
Ces formes inexactes sont tout de même un écho
permanent dans l'oeuvre à un art qui attire l'attention vers
l'apparence, l'artifice interdisant de connaître un mystère
impénétrable tant dans l'esprit de ses personnages que dans la
matière du tableau et du monde sensible plus vaste. De multiples indices
profilent l'oeuvre de Diaz dans une relecture de l'art Renaissant qui n'est pas
seulement une imitation mais une réflexion commune sur le mythe. La
collection de Diaz, le style de sa maison à Barbizon, l'importance qu'il
accorde à Eros dans son oeuvre et aux divinités païennes
accusent la conscience qu'avait l'artiste de se replonger dans l'art de vivre
Renaissant383. L'art de mêler sa vie de famille et son atelier
lui fait revisiter la pratique de Rembrandt, membre de sa large famille de
coloristes. Prenant au sérieux l'importance du jeu, Diaz ne se limite
pas à un pastiche de la
382 Mantz, Paul, op. cit., p. 150.
383 Pour une vision globale des thématiques que l'on
connaît de la Renaissance, voir Margaret Aston (dir.), Panorama de la
Renaissance, Thames and Hudson.
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Renaissance, mais aboutit à une synthèse de
styles passés dont la désinvolture dit la modernité, et
qu'il unifie dans sa vision personnelle.
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