Partie II. Le « magicien » au
kaléidoscope de La Magicienne
Accoudée au noeud d'un arbre centenaire, dont le tronc
se tord comme une colonne d'église baroque ou un serpent énorme,
la silhouette diaphane se tient nonchalamment en face du spectateur qui ne sait
si elle est ange ou démon. Débraillée comme les survivants
des Massacres de Scio (ill. 13), dont Diaz a une huile d'après
Delacroix169, la magicienne que l'on reconnait à sa longue
baguette plonge le spectateur dans un « Orient » lascif et
merveilleux. Le regard de la créature se pose hors champ, dans le sens
des rayons du soleil qui tombent en diagonale. La forêt enchantée
de couleurs extraordinaires, turquoise, rubis, émeraude et or, exerce
une fascination sur l'oeil que le spectateur pourrait attribuer à la
magicienne.
Isolée dans l'OEuvre, La Magicienne du
musée d'Orsay (repr. IX) est la seule figure de sorcière qui aie
un accessoire fantastique. Avec la Scène d'Incantation (repr.
X), c'est également la seule jeune fille à détenir des
pouvoirs surnaturels chez Diaz. Le catalogue raisonné et le musée
d'Orsay divergent sur la datation : n° 2075 au catalogue, le tableau non
daté aurait appartenu au comte de Narbonne, qui s'en serait
séparé lors d'une vente en 1851 (n°15), tandis que le
musée d'Orsay date l'oeuvre d'environs 1860 et ne trace l'historique
qu'à partir de 1909 dans la collection d'Alfred Chauchard170.
La description des tableaux dans les comptes rendus de Salons confortent
l'idée que La Magicienne d'Orsay, seule à détenir
une baguette, est l'envoi de Diaz au Salon de 1846171. Thoré
ne laisse pas de doute à se faire : « La Magicienne, avec sa
baguette, n'a rien à faire pour évoquer les prodiges. N'est-elle
pas déjà en plein monde enchanté172 ? ».
La Scène d'Incantation, quant à elle, connue par la
gravure, daterait de 1852. Les deux figures renvoient à l'iconographie
romantique de la magie, quasiment
169 Les Massacres de Scio, d'après Delacroix, 53
x 63 cm., figure au Catalogue des tableaux et objets d'art provenant de
l'atelier de M. Diaz, Francis Petit expert, Paris, Hôtel Drouot, 4
et 5 avril 1861, p. 1.
170 Le catalogue raisonné consacre encore un numéro
à une Magicienne, elle aussi vendue à la vente du comte
de Narbonne de 1851, sous le même numéro 15, et sans autre
précisions. Dans le catalogue monumental se serait donc glissé
quelques erreurs, ce qui ne peut être blâmé. Figure encore
au n° 2080 La Diseuse de bonne aventure, datée d'environs
1845-1846, version à l'huile sur toile d'une huile sur carton connue
sous le nom de L'Horoscope dans la gravure. Cette notice mentionne
« peut-être Une Magicienne au Salon de 1846 ». Mais pourquoi ne
pas faire la même supposition pour la toile que l'on dénomme
précisément « La » Magicienne, et qui
daterait justement d'avant 1851 ? Qui plus est, le comte de Narbonne
détenait aussi une version du Maléfice, sujet
exposé en 1844 et qui ouvre la fortune du motif de la magicienne chez
Diaz. Le Maléfice du Salon de 1844 pose aussi un
problème d'identification, ce qui sera développé à
son sujet. Il parait cependant fort probable que le comte de Narbonne ait voulu
se procurer les deux originaux des Salons de 1844 et 1846.
171 Voir le Journal des artistes, 5 avril 1846, p.
114 ; Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le Salon de
1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 105-118 ; Champfleury, Salon
de 1846, op. cit., p. 39 s.
172 Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le
Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.
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exclusivement réservée à l'initiative des
femmes, qui s'explique par la nature de ce pouvoir, qui est lié au
désir173.
L'émergence de types de genres comme le savant,
l'astrologue, ou l'Oriental, dans l'école hollandaise du
XVIIe siècle, exprimant une forme de
vanité174, est repris par l'artiste qui s'éloigne
cependant radicalement de l'iconographie générale des
sorcières175 : sabbat, préparations magiques, attirail
ésotérique sont évacués. Abandonnant les
accessoires qu'utilisaient Jan de Velde (ill. 14) ou David
Teniers176 (ill. 15) dont l'oeuvre est très répandue
en France depuis le XVIIIe siècle, les enchanteresses de Diaz
évoquent le pouvoir du charme. Chez Gillis Congent (ill.16) on trouve
une posture comparable à celle de l'incantatrice et son cercle de feu,
mais la puissance de cette dernière est attestée par la
réaction des observateurs alentour et non par l'apparition de
fantasmagories. Comme dans la littérature romantique, la figure de la
sorcière se superpose à celle de la princesse orientale ou de la
fée177, et son pouvoir est avant tout d'asseoir une emprise
sur le spectateur masculin178. Au sein de son oeuvre, La
Magicienne et l'incantatrice, débraillées, renvoient
à la façon dont il décrit ses bohémiennes, qu'il
est le premier artiste à investir avec tant de passion179.
Les deux sujets renvoient à l'iconographie de
Circé, et incitent à mesurer l'importance des lectures d'Ovide
chez Diaz. Sa collection comporte des exemplaires des Métamorphoses
d'Ovide, de Roland furieux de l'Arioste et d'une version
vulgarisée et illustrée d'Ovide par Desmoulin180,
où Circé apparait dans un cercle de feu, motif rare en peinture,
qui rappelle la Scène d'Incantation. Les deux sujets,
rapprochés par le charme évocateur du protagoniste central, sont
donc effectivement liés par l'iconographie de Circé. La
Magicienne renvoie plus à la version qu'a pu en faire Paulus
Bor (ill. 17) que celle de Corrège (ill. 18), que Diaz avait pourtant pu
voir dans un Album de David Téniers au Cabinet des Estampes.
173 Giné-Janer, Marta, « Villiers : de la femme
magicienne à la magie féminine », dans Brenard-Griffiths
Simone et Guichardet, Images de la magie, fées, enchanteurs et
merveilleux dans imaginaire du XIXe siècle, colloque 1990, p.
80.
174 Duby Georges et Laclotte Michel (dir.), Cornette Joëlle
et Mérot Alain, Le XVIIe siècle, Paris,
Seuil, 1999, p. 362.
175 Sur l'iconographie des sorcières, voir le catalogue
d'exposition de la BNF, Les Sorcières, Paris, Bnf, 1973.
176 David Teniers II, Witche's Scene, 1640s. h/p, 64,2 x
48,5 cm. Kunsthalle Hamburg.
Incantation Scene, early 1650s. oil on cooper, 36,8 x
50,8 cm. Collection of the New York Historical Society.
177 Dubost, Francis, « La magicienne amoureuse dans le
récit médiéval », dans Moreau, Alain, et Turpin,
Jean-Claude, La magie, actes du colloque international de Montpellier,
25-27 mars 2000, t. 3, Du monde latin au monde contemporain,
Montpellier, Université Montpellier 3, 2000, p., p. 151.
178 Durand-Le Guern, Isabelle, « sorcières
médiévales romantiques », dans Brenard-Griffiths, Simone et
Bricault, Céline, op. cit., p. 134.
179 Cette certitude repose sur une étude taxinomique des
figures de bohémiennes peintes et gravées en France entre 1830 et
1855 effectuée dans le cadre d'un Master 1, soutenu en septembre 2011
à l'Université de Paris 1. Tant l'effeuillage des livrets de
Salons que l'analyse des peintures comparées aux productions sur le
même thème révèle la singularité de Narcisse
Diaz.
180 Dans le Catalogue des livres composant la
bibliothèque de feu Diaz de la Pena, vente le vendredi 26 janvier
1877, Hôtel des commissaires-priseurs, rue Drouot, Charles Pillet
commissaire-priseur, Paris, Labitte, 1877 figurent : Arioste, Roland
furieux, avec fig. ; trad. nouv. Par le comte de Tressan, Paris, Laporte,
s.d., 4. Vol, in-8, dem.-rel. mar. Exemplaire en grand papier in-4° avec
figures de Cochin ; Demoustier, Lettres à Émilie sur la
Mythologie, 1817, fig. de Désenne ; Ovide, Les
Métamorphoses, trad. Abbé Barnier, Paris, 1767, 4 vol.
Figures d'Eisen, Boucher, Gravelot et Monnet.
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La Magicienne donne un bon exemple de la « couleur
magique » que chaque commentateur a tour à tour
évoqué. Elle met en abîme avec sa baguette, la magie du
pinceau. Les Goncourt évoqueront « la baguette magique de
Diaz181 », et Houssaye « une palette magique
préparée pour des pinceaux de fées182 ».
Le motif met en équivalence charme et pouvoir surnaturel, ce qui incite
à chercher si l'axiome se vérifie chez Diaz, et à la
réflexion sur les liens tissés entre l'art et la magie au
XIXe siècle. Faisant écho au « magicien »
que le milieu de l'art a désigné en la personne de Diaz,
l'analyse continuera autour des regards portés sur l'artiste, dont celui
de Diaz sur lui-même.
Chapitre 1. La « magie » de Diaz : un usage
de la couleur salué par l'école romantique
« Il est des noms d'artistes qui, à peine
prononcés, éveillent dans l'esprit des images et font entrevoir
en une vision soudaine, des magnificences de couleur. Le nom de Diaz est un de
ceux-là. Ces quatre lettres sonores ont un pouvoir magique. (...) Comme
tous les maîtres, Diaz se reconnaît au premier coup d'oeil : son
signe particulier est le rayon de soleil qui traverse son oeuvre183.
»
C'est ainsi que Roger Ballu s'est exprimé dans une
notice accompagnant le catalogue de la dispersion des biens de 1877, pour faire
à Diaz un épitaphe digne de l'émotion que le peintre avait
suscité le long de sa carrière. Le « pouvoir magique »
de son nom évoque sa couleur. Ballu résume intuitivement un des
tenants du succès de Diaz : son origine évocatrice qui rejaillit
sur la valeur d'une couleur éclatante.
Si la peinture de Diaz évoque une féérie
de conte de fées aux spectateurs, c'est donc tout de même moins
par les sujets que traite le peintre que par son usage de la couleur. La
Magicienne, tableau unique et non daté dans le catalogue
raisonné, n'est pas un thème favori de l'artiste, qui n'a pas
besoin de donner forme à des êtres surnaturels pour
dépeindre un monde enchanté. Ce tableau du musée d'Orsay
nous renseigne par contre particulièrement bien sur la matière
picturale de l'artiste et met en abîme le charme du
coloriste.
La Magicienne dans sa pose suggestive, se contente
d'avoir l'attribut d'une magicienne : une baguette ; sans quoi on pourrait la
confondre avec une des bohémiennes débraillées du peintre.
Mais la magie qui se dégage du tableau est bien celle de la couleur, et
d'un empâtement qui suggère un
181 Goncourt, Edmond et Jules, Manette Salomon, t. 2,
Paris, Lacroix, 1868.
182 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse,
histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New
York, C. Lassalle, 1866, p. 84.
183 Ballu, Roger, « Diaz. Les artistes contemporains »,
Gazette des Beaux-Arts, 1er mars 1877, 1, p. 290.
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mystère propre à la matière et à
l'illusion. La baguette pourrait être la mise en abîme du pinceau
de l'artiste, utilisé par le peintre pour donner corps à ses
projections mentales, et en tirer profit comme par magie.
Section 1. « De l'Espagnol inspiré tout
caprice est sacré ! »
La Magicienne du musée d'Orsay,
vraisemblablement l'envoi intitulé Une Magicienne, n° 541
au Salon de 1846, évoque le négligé nonchalant des
bohémiennes de la Descente envoyée deux ans plus
tôt, en 1844, qui figurent parmi ses sujets les plus originaux pour
l'époque et ancrent sa propre esthétique dans une
sensibilité non sans rapport avec l'Espagne. C'est lors du Salon de 1846
que le peintre se fait connaître sous son nom complet « de la
Peña184 ». Le tableau est caractéristique de la
façon dont Diaz décline ce que l'oeil français retient de
la peinture espagnole : la couleur qui magnifie le noir, la sensualité,
en abandonnant les références directes à l'Espagne. Ses
premiers envois, ignorés, sont en effet bien plus en lien avec l'Espagne
que ne le sont ceux qui feront son succès en tant que peintre espagnol !
En 1834, parmi ses cinq envois figure une Vue prise aux environ de
Saragosse (n° 549), et en 1835 sur trois envois il a produit
Médina Coeli (n° 612), un sujet de l'Histoire espagnole,
et des Baigneuses espagnoles sur le bord d'une rivière (n°
613). Peut-être encouragé amicalement à développer
un talent artistique en accord avec sa nationalité d'origine, le peintre
essaye sans succès185 d'insister sur les espagnolades, puis
change de tactique. Ce n'est pas le sujet espagnol, mais le «
tempérament » de coloriste accolé à un nom espagnol,
« Diaz de la Peña », qui déclenche la reconnaissance
d'un peintre espagnol en France.
Au même Salon, un critique voit d'un mauvais oeil la
façon dont Charpentier fait le portrait de Diaz « trop
espagnol-posada », comme s'il se méfiait de l'effet de mode
espagnole qui laisse tout passer au peintre :
« M. Charpentier pouvait jeter un peu de poésie
(...) sur ce harnachement de peintre chez soi qui est d'un prosaïque, non
pas vulgaire, mais trop espagnol-posada. Après tout, comme le disait le
poète Desplaces :
C'est qu'ainsi l'a voulu l'Espagnol inspiré !
Mauvaise inspiration !
...Du peintre Diaz tout caprice est
sacré186. »
184 Thoré, Théophile, Salon de 1846,
Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.
185 Il n'y a guère que les rapins de
L'Indépendant qui félicitent le peintre pour ses sujets
espagnols dans sa première manière, voir Anonyme, «
Beaux-arts. Salon de 1835. Douzième article »,
L'Indépendant, 19 avril 1835, p. 1.
186 Champfleury, « Salon de 1846 », OEuvres
posthumes de Champfleury : salons de 1846-1851, préf. Jules
Troubat, Paris, Lemerre, 1894, p. 39.
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Si Diaz n'avait pas eu son nom espagnol, c'est-à-dire
un nom de coloriste qui l'autorisait à rompre avec une manière
« française », on ne l'aurait pas reconnu ; tout comme la
Magicienne qu'il peint a besoin d'un attribut attaché à
son nom pour être reconnue. Sans sa baguette, la magicienne n'est pas
reconnaissable dans ce tableau par la narration de la scène, comme si
Diaz renonçait à celle qu'il avait essayée au Salon de
1835. Diaz semble avoir conscience de l'impact de simples pensées,
relayant dans le quotidien la force de mythes, sur un parcours individuel.
Dans l'esprit du milieu du XIXe siècle, les
nations ont des caractères tant physiques pour les individus que
plastiques ou techniques pour les arts qui en ressortent. L'Espagne
étant connue pour ses coloristes, il existerait une « couleur
espagnole187 », et selon Paul Mantz, Diaz en devenant coloriste
« obéissait à la fatalité de ses origines
espagnoles188 ». Émile Deschanel prend Diaz pour exemple
dans sa Physiologie des écrivains et des artistes, pour
illustrer l'influence d'un caractère national189. Ceux qui le
connaissent relèvent toujours son origine espagnole pour expliquer d'un
bloc le tempérament de l'artiste et de sa peinture, ce que Diaz reprend
à son compte, peut-être parce qu'il s'est senti lui-même
sans équivoque appartenir à une large famille de coloristes
dès ses premières années de formation. De Velázquez
et de Goya Diaz retient surtout la tradition picaresque,
antihéroïque190 que lui passeront tous les
commentateurs.
Mais il est spectaculaire et très instructif du point
de vue de l'analyse de constater qu'en son temps, la même peinture aurait
été reçue différemment et n'aurait pas atteint le
même succès si le peintre n'avait pas porté un nom
espagnol. Lorsqu'il décide d'envoyer au Salon avec son nom complet, Diaz
de la Peña au lieu de Diaz, le succès frappe à sa
porte191. L'impression sur le public et les commentateurs est bien
plus saisissante, comme s'il avait donné une clé de
compréhension de son travail de coloriste qui en assurerait la
qualité. Pourtant, ce n'est pas l'imitation de la peinture espagnole qui
donne les clés de la réussite : Édouard Manet sera au
contraire descendu en flèche par la critique, parce qu'il emprunte
à Goya notamment une manière, qu'il y puise au lieu d'affiner son
propre caractère, qui ne peut être que
français192. C'est ainsi que raisonne la scène
artistique, qui scrute le caractère de la peinture. Mais Diaz, en tant
qu'Espagnol, a raison d'abuser de la couleur espagnole de son
tempérament, c'est une des raisons pour lesquelles sa peinture plait, en
tant qu'objet authentique.
187 Joyeux, Béatrice, « Art moderne et
cosmopolitisme à la fin du XIXe siècle. Un art sans
frontières ? », Hypothèses, 2002/1, p.195.
188 Mantz, Paul, « Diaz », Le Musée
Universel, octobre 1876 - mars 1877, 1er semestre 1877, t. IX,
n° 210, p. 134.
189 Deschanel, Émile, Physiologie des
écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle, Paris,
Hachette, 1864, p. 255256.
190 Duby, Georges, et Laclotte, Michel, op. cit., p.
370.
191 Thoré , Théophile, Salon de 1846,
Paris, Alliance des arts, 146, p. 116.
192 Idem, p. 194.
50
C'est ainsi que présente V. Fournel le peintre Narcisse
Diaz, « ou plutôt Don Virgilio-Narcisso Diaz de la Peña
», ajoutant après sa mort un titre de noblesse, « (...) sa
peinture, vraie, peinture d'hidalgo, lumineuse et ronflante, était en
harmonie avec son origine et avec son nom193. » Gautier aussi,
auteur du Voyage en Espagne, et promoteur du charme sensuel et
féérique de la bohémienne, se souviendra de « Ruy
Narciso Diaz de la Peña, ce magicien de la palette194 ».
Sensier, plutôt que de comparer son faire avec celui de Goya, lui trouve
les mêmes caprices lorsqu'il se remémore comment «
Diaz excitait le bon rire de Rousseau par ses caprices inattendus, comme les
explosions humoristiques de Goya195 » ; Houssaye se contente de
dire de lui qu'il est le « petit-fils de Murillo196 ».
Les excès de tempérament tant dans la peinture
de Diaz que dans son attitude sont attribués à son origine
espagnole tant par les commentateurs que par l'artiste lui-même, qui
aurait eu l'habitude de dire : « Ma brutalité d'expression c'est
mon Espagne197 ! ». Diaz est pourtant natif de Bordeaux et ne
connait l'Espagne que par ses lectures et dans son sentiment intime sur lequel
il est difficile de spéculer. Élevé en France, il connait
sans doute d'autant mieux les clichés français au sujet de
l'Espagne et peut jouer des attentes de son public. Les plus récents
historiens d'art qui se sont penchés sur Diaz ont cherché du
côté de la psychologie de l'homme, en posant la question des
facteurs culturels, pour expliquer ce que la peinture en elle-même laisse
d'équivoque. « Faut-il imputer à ses origines hispaniques sa
fierté naturelle, son besoin d'être admiré et son
inépuisable ardeur ? Quoi qu'il en soit ce caractère naturel est
renforcé par l'adversité qui frappe si tôt le jeune
garçon198 », écrit Pierre Miquel. Il parait
pourtant possible de voir chez Diaz un jeu de ces codes et même de sa
propre biographie.
Fort de ce tempérament espagnol, il coïncide
parfaitement avec ce que l'on attend d'un artiste. Il est même artiste
à l'excès ; ainsi à propos de l'amour-propre des artistes,
Horace de Viel-Castel rapporte une anecdote au sujet de Diaz qui occupe toute
une page :
« Ainsi Diaz commençant un tableau, s'enthousiasme,
s'enflamme et se livre au monologue suivant : "Allez donc, Mossieu Ingres,
allez donc voir si vous êtes fichu pour cirer mes bottes !..."
Il donne un coup de pinceau.
"Enfoncé le père du gris, jamais vous ne
trouverez une figure comme celle-là !"
193 Fournel, V., « Narcisse Diaz », Les Artistes
français contemporains, Tours, Alfred Mame et fils, 1884, p.
239-240.
194 Gautier, Théophile, Souvenirs de
théâtre, d'art et de critique, Paris, E. Fasquelle, 1904, p.
298.
195 Alfred Sensier, cité par André Billy, Les beaux
jours de Barbizon, p. 67.
196 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse,
histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New
York, C. Lassalle, 1866, p. 86.
197 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 13
198 Idem., p. 11.
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Second coup de pinceau.
"Hein, quels contours ! quelle suavité ! quelle
harmonie ! allez donc, vieux cornichon au vert de gris, allez donc prendre des
leçons chez Diaz !199 " »
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