Partie I. Les Fées : du conte à
l'autobiographie d'artiste
La plupart des commentateurs dans la presse de l'époque
placent l'oeuvre de Diaz dans le domaine du merveilleux ; ils parlent de «
féérie », de visions hallucinatoires, lorsqu'ils
n'évoquent pas seulement le soleil, la chair, l'amour qui transpire de
son univers. En 1860 Zacharie Astruc écrit ainsi que « sa belle
vision plane toujours dans les régions
féériques50 », laissant entendre qu'il en a
été ainsi depuis que Diaz a fixé cette manière.
Théophile Gautier, partisan de l'onirisme dans l'art
pour l'art, l'avertissait cependant en 1855 contre l'obstination dans ses
chimères, prenant un tour trop hermétique,
répétitif : « M. Diaz vit dans un petit monde
enchanté (...) seulement, que M. Diaz se méfie des cercles
tracés par la danse des esprits51 ». Il consacre
également des lignes assassines52 aux Dernières
larmes, un sujet neuf et très différent de sa manière
habituelle, mais encore plus incompréhensible, tandis qu'il s'enflamme
pour les fairies de Noel Paton (ill. 1), qu'il nomme le «
Michel-Ange de la féérie53 ». Gautier est sans
doute plus facilement séduit par la narrativité onirique des
fairies victoriennes, issues de la tradition de Blake, Reynolds et
Füssli54, alors que Diaz doit à Prud'hon « le
mystérieux plaisir (...) dans la contemplation de ces scènes dont
les sujets sont sans explication » et que Delacroix avait
admiré55.
Résolument hermétiques, les fées de Diaz,
peintes entre 1858 et 1866 ont beaucoup moins à voir avec le petit
peuple et les fairies, qu'avec les marraines issues des contes de
Charles Perrault. La Fée dans son activité de marraine,
correspond à son étymologie dérivée de « fatum
», elle a une ascendance directe avec les Parques, déesses de la
Destinée56. Les êtres de contes populaires rejoignent
ceux des mythes relayés dans la culture antique. Excepté Le
lutin, Effet de clair de lune57
(c. 1861), et Ondine58 (c. 1863) figurant
à des catalogues de vente (annexe 1 et 2.b), l'oeuvre de Diaz
50 Astruc, Zacharie, « Diaz », Le salon intime :
exposition au boulevard des Italiens, Paris, Poulet-Massis et de Broise,
1860, p. 72.
51 Gautier, Théophile, Les beaux-arts en Europe,
1855, Paris, Michel Lévy, 1855, p. 33.
52 Idem., p. 31.
53 Voir Girard , Marie-Hélène, « Magie et
Peinture : le « Michel Ange de la féérie »,
Théophile Gautier et Sir Noel Paton », Bernard-Griffiths, Simone et
Bricault, Céline (dir.), op. cit., p. 285-303.
54 Pour une comparaison avec le genre dérivé de
Blake, Reynolds et Füssli, voir Wood, Christopher, Fairies in
victorian art, Woodbridge, Antique collector's club, 2000. Chez Dadd par
exemple qui propose une figure proche des nymphes, que l'on pourrait comparer
à la féérie de Diaz, l'artiste insiste sur la petitesse de
la fée.
55 Delacroix, dans la Revue des Deux Mondes, 1846,
cité par Lévis-Godechot, Nicole, La jeunesse de Pierre-Paul
Prud'hon, recherche d'iconographie et de symbolique, Paris,
Léonce Laget, 1997, p. 3.
56 La Fata est l'autre nom de la Parque, les trois
Parques étant aussi dénommées Tria Fatae. Pour
une documentation assez exhaustive sur différentes occurrences de la
figure de la fée dans le folklore et la littérature, voir Rager,
Catherine, « Fées », Dictionnaire des fées et du
peuple invisible dans l'occident païen, Turhout, Brepols, 2003, p.
309-320.
57 N° 14 de la vente du 4 avril 1861, Tableaux
études par M. Diaz, exp. Francis Petit. Il ne figure pas dans le
catalogue raisonné.
58 N° 14 de la vente du 11 avril 1863, exp. Francis Petit,
vendu 420 F.
14
est presque pour moitié occupée par la
mythologie latine, comme les Nymphes, dont sont dérivées les
Fées séductrices dans le folklore59. Diaz ne nomme
« Fée > que de rares personnages dans son oeuvre, dont trois
sont manifestement des fées protectrices dont l'activité est de
donner. Ces trois sujets, comme trois bonnes fées : la Fée
aux joujoux (1858), la Fée aux bijoux (1857 et 1860) et la
Fée aux fleurs (deux versions en 1866), ancrent la
sensibilité de l'artiste dans l'imaginaire féérique
hérité du XVIIIe siècle, lui-même puisant
dans de profondes racines. Avec ces trois fées nous pourrons aborder
dans le vif la façon dont l'artiste sait retirer du succès comme
s'il avait un « don ». C'est en fait une mise en scène de ses
propres « dons > que nous découvrons avec ces sujets. Mais avant
d'entrer précisément dans la description de la vie de Diaz
à travers ces marraines fées de l'oeuvre, un sujet du même
titre à la fois traité comme paysage dans une toile et comme
scène de genre dans une autre nous permettra de resituer la place des
scènes de genre dans l'oeuvre de l'artiste à la vocation de
paysagiste. La mare aux Fées, peuplée cette fois-ci de
ces fées qui dérivent des nymphes, dévoile
qu'au-delà des perceptions, vivent des êtres d'esprit ; ainsi
l'étude bascule du monde visible à l'occulté, du
réalisme pictural à l'imaginaire teinté de fantastique.
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