CONCLUSION GENERALE
Au terme de notre travail de recherche qui a porté sur
la question de la mise en oeuvre de l'APC dans les ENI, il ressort que les
défis qui entravent la qualité de l'éducation et de la
formation au Niger se résument, principalement, en termes
d'efficacité, d'efficience et d'équité.
Efficacité d'abord, parce que le système
n'arrive pas à assurer la pleine réussite scolaire des
élèves.
Efficience ensuite, parce que la participation des parents
d'élèves au financement de l'éducation s'accroît de
plus en plus même si les résultats scolaires ne sont pas ceux qui
sont attendus. En effet, les nouveaux mécanismes de financement de
l'école par les parents mis en place à travers les comités
de gestion des établissements scolaires (COGES) ne semblent pas apporter
les solutions adéquates, au vu des problèmes de matériel
pédagogique, de salles de classe et de mobilier qui continuent à
se poser dans les écoles.
La question à ce niveau est de voir comment le
système éducatif du pays, sur la base des fonds qui sont
engagés, peut accroître la réussite scolaire des enfants,
en les dotant de compétences utiles pour eux et pour le pays.
Equité enfin, parce que la justice sociale tant
prônée par les acteurs et les intervenants du domaine de
l'éducation n'est pas encore une réalité au Niger. Sur la
question du genre, jusque-là, les disparités entre les filles et
les garçons sont considérables quant à l'accès des
enfants à l'école, leur maintien et leur réussite. Par
exemple, en se référant aux statistiques du Ministère de
l'enseignement primaire36, on constate que le taux brut de
scolarisation est de 87,8 % pour les garçons contre 70,7 % pour les
filles.
Selon les mêmes statistiques, des disparités
existent aussi en matière de scolarisation entre zones urbaines et zones
rurales. En zones urbaines, le taux brut de scolarisation a atteint
jusqu'à 108,2 % alors qu'il est seulement de 71,4 % en zones rurales.
Il y a aussi la question de l'éducation inclusive qui
se pose de plus en plus avec beaucoup d'acuité car le constat est que
beaucoup d'enfants handicapés sont laissés en marge du
système éducatif.
Au vu de tous ces problèmes, le pays a opté pour
la refondation des curricula en mettant l'accent sur les programmes de
formation initiale. Ainsi, l'APC a été choisie comme approche
pédagogique pour la formation des futurs enseignants. Dans le but
d'appréhender
36 Ministère de l'éducation
nationale, de l'alphabétisation et de la promotion des langues
nationales : statistiques de l'éducation de base, annuaires
2011-2012, P.22
108
cette problématique de mise en oeuvre des programmes de
formation des élèves-maîtres, la question principale
à laquelle nous nous sommes intéressés est de savoir :
Quelles sont les contraintes réelles du processus de mise en oeuvre de
l'approche par compétences dans les Ecoles Normales d'Instituteurs du
Niger ?
Justement, pour apporter de réponses claires à
cette question, une hypothèse générale comportant trois
composantes a été formulée :
Les contraintes de la mise en oeuvre de l'approche par
compétences (APC) dans les écoles normales d'instituteurs (ENI)
tiennent à la conjugaison de trois (3) facteurs principaux :
Hypothèse 1 : les contraintes de la mise
en oeuvre des programmes selon l'APC tiennent à une insuffisance de
ressources financières, matérielles et humaines dans les
écoles normales.
Hypothèse 2 : les difficultés de
l'application de l'APC sur le terrain de stage par les
élèves-maîtres sont dues à un environnement
pédagogique défavorable qui prévaut dans les écoles
primaires.
Hypothèse 3 : les contraintes de la
mise en oeuvre de l'APC dans les ENI s'expliquent par une insuffisance dans le
suivi et l'évaluation de la réforme.
Dans le cadre de la recherche d'informations relativement aux
hypothèses ci-dessus énumérées, notre
démarche méthodologique a été essentiellement
qualitative. Dans ce sens, les techniques ayant servi à atteindre nos
objectifs sont la recherche documentaire, l'observation directe de
séances de leçons présentées par quelques
stagiaires, les entretiens semi-directifs auprès de l'échantillon
retenu, constitué des responsables administratifs des ENI et du
Ministère, des encadreurs, des enseignants des écoles primaires
et des élèves-maîtres.
Ce recueil d'informations a été rendu possible
par les outils que sont la grille d'observation, le guide d'entretien et
quelques matériels à savoir le magnétoscope et la
caméra.
Après traitement des informations recueillies à
travers l'analyse de contenu, les résultats suivants ont
été obtenus :
109
? Il ressort tout d'abord, que les ressources de la mise en
oeuvre des programmes de formation sont insuffisantes. Cette insuffisance
concerne tant les ressources humaines que financières et
matérielles.
En effet, les ENI souffrent d'un manque de personnel
d'encadrement ayant la qualification requise pour exécuter valablement
la mission d'encadrement. A ce niveau, nous savons que ce personnel n'a pas la
formation qui le destine à la tâche d'encadrement dans les ENI
car, si les inspecteurs de l'enseignement du premier degré et les
conseillers pédagogiques ont une formation pour exécuter les
tâches pédagogiques dans les services d'inspection de
l'enseignement du premier degré, les chargés d'enseignement eux,
ont, une formation universitaire qui ne les destine pas forcément
à l'encadrement. C'est une fois sur le terrain que ces encadreurs
acquièrent l'expérience qui leur permet de faire face aux
difficultés quotidiennes de formation des
élèves-maîtres.
Du côté des ressources financières, il
existe aussi des insuffisances. Pour leur fonctionnement, les ENI ne
reçoivent, au titre de la subvention trimestrielle, que trois millions
(3 000 000) de FCFA chacune.
Pour qui connaît l'effectif des
élèves-maîtres et l'ampleur des activités dans ces
écoles notamment celles qui concernent les différents stages,
cette subvention est très insignifiante. Alors, c'est la qualité
de l'encadrement des élèves qui est affectée.
Enfin, les ressources matérielles manquent aussi. Il
s'agit des moyens logistiques pour le transport des
élèves-maîtres et des encadreurs, des bibliothèques
qui sont carrément transformées en salles de classe pour contenir
le flot des élèves et de tout le matériel
pédagogique nécessaire à la mise en oeuvre des programmes
selon l'APC.
? Ensuite, en ce qui concerne l'environnement
pédagogique des écoles primaires, il n'est pas du tout favorable
à la mise en oeuvre des programmes selon l'APC. En
réalité, il n'offre pas aux stagiaires les conditions
nécessaires pour joindre la théorie à la pratique une fois
qu'ils sont en situation de stage. Pour preuves, les enseignants qui les
accueillent dans le cadre de ce stage ne sont pas outillés par rapport
à cette nouvelle démarche, le référentiel des
compétences des écoles primaires n'est pas encore en vigueur et
les manuels de référence sur l'APC ne sont pas disponibles. On
comprend donc aisément les raisons pour lesquelles, même en
situation de stage, les élèves-maîtres hésitent
à dispenser leurs leçons selon cette approche. Cela a
été confirmé aussi par les séances d'observation
que nous avions effectuées.
110
? Enfin, le suivi et l'évaluation constituent
également des contraintes majeures par rapport à la mise en
oeuvre de la réforme selon l'APC dans les ENI. Pour le suivi interne
exercé par le directeur des Etudes, les insuffisances s'expliquent non
seulement par le fait que les prérogatives du directeur des
études ne sont pas clairement définies par les textes en rapport
à cette mission, mais également par le fait qu'il n'a pas la
formation requise pour exercer ce suivi dans certains domaines qui ne cadrent
pas avec sa spécialité. Toute l'insuffisance se trouve donc
à ce niveau car comment un directeur des études qui a une
formation dans le domaine de l'enseignement primaire peut objectivement suivre
un encadreur intervenant dans un domaine transversal comme la sociologie par
exemple ? Ou bien comment un directeur des études ayant une formation
universitaire générale peut suivre les encadreurs dans le domaine
de la didactique des disciplines ?
Il y a aussi la question du temps qui fait défaut car
en dehors des tâches pédagogiques, les tâches
administratives qu'il doit exécuter sont énormes.
Le problème de l'incessante mobilité des
directeurs des études n'est pas à négliger non plus.
Lorsqu'un directeur des études est nommé, sa durée dans le
poste est courte, ce qui fait que les expériences ne sont toujours pas
capitalisées.
En fait, c'est un poste qui n'est pas encore stabilisé
car par négligence de la part du Ministère de tutelle qui met
beaucoup de retard dans les affectations, certaines écoles normales ont
connu de longues périodes sans directeurs des études, se
contentant juste d'intérimaires pour gérer les
activités.
Concernant le suivi exercé par le Ministère, il
est tout simplement qualifié d'inefficace et cela pour plusieurs
raisons. D'abord, pour beaucoup d'encadreurs, la plus-value de cette importante
activité n'est pas effective. Ils estiment aussi que la fréquence
de ce suivi est très réduite. Ensuite, ils pensent que le
personnel chargé de le faire n'a pas la qualification requise pour une
telle mission. En effet, c'est la question du profil et de l'expérience
qui revient sans cesse. Pour le profil, on ne constate aucune différence
entre le personnel en charge du suivi et les encadreurs. Ils sont tous, soit
des chargés d'enseignement, des inspecteurs ou des conseillers
pédagogiques. Alors il y a parfois des situations où il se pose
de réelles difficultés. C'est lorsqu'un encadreur est suivi par
un accompagnateur qui ne partage pas la même spécialité ou
le même domaine que lui. C'est à ce niveau que les contestations
sont les plus fréquentes.
Pour l'expérience, la majorité des encadreurs a
accumulé beaucoup d'années d'encadrement dans les ENI,
contrairement à certains cadres de la Direction de la
111
Formation Initiale et Continue qui font juste leurs premiers
pas au niveau de cette Direction.
Enfin, la question de l'évaluation de la réforme
n'est même pas à l'ordre du jour car tous les responsables
interrogés dans le cadre de cette étude ont soutenu qu'aucune
évaluation n'est encore menée dans ce sens et cela en
dépit des multiples problèmes qui se posent.
C'est fort de tous ces constats qui confirment toutes les
trois (3) hypothèses formulées dans le cadre cette recherche, que
nous avons fait quelques propositions de solutions qui tournent autour de la
formation et de la redéfinition du statut des encadreurs et des cadres
des Directions en charge des réformes ; de la nécessité de
mettre fin au caractère expérimental des programmes selon l'APC
pour soit les adopter ou bien les remplacer par d'autres ; du relèvement
de la durée de la formation dans les ENI, de l'allocation aux ENI de
subventions conséquentes leur permettant de faire face aux charges de
fonctionnement ; de la dotation des ENI et des écoles d'accueil des
stagiaires de matériel pédagogique à même de
permettre une mise en oeuvre adéquate des programmes selon l'APC ; de
l'accroissement de la responsabilité de l'Etat sur les questions
éducatives et du suivi et de l'évaluation des réformes
mises en oeuvre.
Toutefois, nous ne considérons pas qu'il s'agit
là de toutes les solutions aux problèmes touchant la question
traitée car la mise en oeuvre d'une approche pédagogique est,
comme toute réforme, un travail de longue haleine. Dans un monde
caractérisé par des grandes mutations, les réformes
à mettre en oeuvre ne doivent plus être figées. Elles
doivent au contraire s'adapter aux besoins, aux exigences et à la marche
de la société. C'est peut-être dans ce sens que JONNAERT
Ph. et al. (2009)37 prônent le développement d'un
nouveau paradigme pour l'éducation. Il s'agit de l'Approche
Située (APS). Par approche située ou approche par les situations,
nous entendons cette variante de l'APC qui part du contexte et des situations
et classes de situations pour aboutir au développement des
compétences des apprenants. Pour JOENNART Ph., adopter l'APS, c'est donc
nécessairement chercher une nouvelle approche curriculaire qui permet
d'introduire un ensemble de situations de vie propres aux apprenants dans les
programmes d'études et dans l'enseignement et
37 JONNAERT P., ETTAYEBI M., DEFISE R.
(2009). Curriculum et compétences, un cadre
opérationnel, Bruxelles, De Boeck Université, p.75
112
l'apprentissage pour que les apprenants développent des
compétences. C'est dans cette voie que le Niger est désormais
engagé.
Mais enfin, nous devons rappeler qu'aucune réforme,
présente ou à venir, ne constitue un remède miracle aux
problèmes de la qualité de l'éducation ; son succès
dépend surtout de la manière dont elle est appliquée, de
la qualité des moyens mis à la disposition des enseignants pour
l'accomplissement de leurs missions et du suivi-évaluation
régulier pour apporter au fur et à mesure les corrections et
améliorations nécessaires.
113
|