I.2.1.2.L'origine et
l'expansion du pidgin english au cameroun
Le visiteur qui entre pour la première fois au Cameroun
est surpris par la mosaïque de peuples et de langues quelle que soit la
région d'atterrissage. Le Cameroun a une civilisation millénaire
de peuples divers, qui au gré de l'histoire, se sont retrouvés au
sein d'une nation aux frontières fluctuantes. Dans cet univers, il est
aisé d'imaginer la difficulté que pose l'usage d'une langue
commune à tous, tant la langue en elle-même reflète les
diversités identitaires.
Dans ce pays, les peuples ont généralement
refusé, et farouchement, quand cela était nécessaire,
d'abandonner leur identité linguistique et culturelle au profit d'une
autre. On comprend pourquoi le Cameroun apparaît comme l'un des rares
pays dont l'identité nationale, linguistique et culturelle, repose sur
des langues étrangères à savoir, le Français et
l'Anglais.
Cette situation cache mal les efforts entrepris au cours du
temps pour réunir les Camerounais au sein d'une seule langue locale.
Pourtant, si ces entreprises ont échoué, on pourrait les imputer
au fait qu'elles n'ont pas mis en valeur les opportunités qui se sont
présentées par le biais du pidgin.
Idiome, transformation, mauvais anglais, langue par
excellence, les qualificatifs et les travaux sur le PE parlé au Cameroun
ne manquent pas. Mbassi Manga (1973), Echu (2003), Chumbow et als. (1995) et
d'autres à l'instar de Todd (1982) ont décrypté et
décodé les particularités linguistiques de ce
« parler » à la camerounaise. Ils en ont aussi
élaboré la structure et la fonctionnalité sociale. Dans
cette partie, nous allons monter comment est né le CPE au Cameroun. En
réalité, pour comprendre la genèse de cette langue dans ce
pays, il faut d'abord parler de l'histoire du Cameroun.
Ø Histoire du Cameroun
Parler de la genèse du pidgin, c'est évoquer
l'histoire du Cameroun avec le monde extérieur. D'après
l'histoire du Cameroun, l'année 1472 marque le premier contact entre ce
pays et l'Europe, le Portugal notamment. En fait, les habitants du littoral
camerounais établirent des contacts avec d'importants commerçants
et explorateurs portugais, suédois et hollandais .(Mbangwana
2004:79). C'était la période du commerce des épices, des
esclaves et de l'or. Schneider révèle que le portugais et ses
dérivés étaient pendant cette période en usage
constant comme langues commerciales le long et au-delà des
côtes camerounaises où ils s'établirent. Ce fut le premier
contact entre les langues camerounaises et les langues venues d'ailleurs. Le
Portugais va laisser des traces et une influence linguistique certaine.
L'influence du portugais va ainsi durer environ deux siècles.
C'est au XVIIIe siècle que l'influence
linguistique portugaise sera secondée par l'anglais. Les britanniques
possédaient des comptoirs le long de la côte et établirent
un contact direct avec la population pour leur engagement dans la lutte pour
l'abolition de l'esclavage. Les commerçants et les abolitionnistes
utilisaient donc dans leur inter action un anglais à forte dominance
pidgin, c'est-à-dire un anglais primaire, voire informel,
mélangé aux langues locales à dessein en vue de favoriser
une communication effective et efficiente. L'extension de leur l'influence va
ainsi contribuer à éradiquer l'héritage linguistique
portugais généré deux siècles plutôt
(Mbangwana ibid. : 80).
Dans notre tentative de définir le pidgin, nous avons
laissé entendre qu'il est un mélange, une mixture, une mise en
commun de plusieurs langues en vue de créer un contexte de communication
élargie et une compréhension mutuelle interethnique voire
inter-nations.
Aussi sommes-nous en droit de penser que le parler que nous
appelons aujourd'hui pidgin est tributaire ou émane des missions
d'explorations doublées de visées commerciales d'où la
forte présence d'idiomes portugais, anglais et allemands en son sein.
Pour être tout à fait complet, faisons une brève
illustration :
Portugais
|
CPE
|
Anglais
|
Français
|
Escola
|
Sku, skulu
|
School
|
Ecole
|
Tobako
|
Tobako
|
Tobacco
|
Tabac
|
Piqueno
|
Pikin
|
Child
|
Enfant
|
Crioulo
|
Krio
|
Creole
|
Créole
|
Camerões
|
Kamerun
|
Cameroon
|
Cameroun
|
passav
|
pass
|
pass
|
avancer
|
sabar
|
sabi
|
To know
|
connaitre
|
Conference (speech)
|
palava
|
conference
|
conférence
|
Légende: CPE: Cameroon Pidgin
English.
La disposition lexicale observable sur ce tableau
démontre à suffisance l'origine et l'évolution des mots
appartenant aux langues étrangères qui, en association aux
langues locales, composent le pidgin. En résumé, entre 1400 et
1800, portugais et anglais vont contribuer à la naissance et à
l'extension d'un parler tout nouveau pour mieux contribuer à la
réussite de leurs ambitions commerciales, évangéliques
et «humanitaires».
Wolff (2001 :15) précise à ce sujet qu'on
retrouve au Cameroun, et ce depuis des siècles, les trois groupes
d'interférences linguistiques propres à l'Afrique. Ce sont les
groupes Nihilo saharien, l'Afro-asiatique et le Niger-Congo. Ces groupes sont
partagés du nord au sud du pays et dans toute sa largeur. Ils se
déclinent en de nombreux sous-groupes et en plus de 250 langues et
dialectes locaux. Par conséquent, le moins qu'on puisse affirmer est que
dans ce pays, c'est à dire au Cameroun, il y a forcément des
créations linguistiques créolisées, car ces peuples ont
une tradition centenaire de rapports conflictuels ou pacifiques, et partant,
des formes de communications linguistiques propres. L'émergence du CPE
dans un contexte linguistique aussi riche induit, de ce fait, une forme de
créolisation.
Seulement, l'expression en elle-même suppose que le CPE
soit une déformation de l'anglais, au même titre que la plupart
des autres pidgins. Cet avis (Schneider 1960) laisse penser que les premiers
usages du pidgin remonteraient à l'époque coloniale anglaise et
allemande au Cameroun. Echu (2003 : 4) indique que, tout au plus à
partir du XVIIIe siècle, les colonies allemandes
présentent au Cameroun se sont servies du CPE pour communiquer avec les
populations locales, tout autant que les Anglais en compétition pour
l'établissement d'un protectorat, après les années
1850.
Il est vrai que l'usage du CPE est déjà
établi à ce moment de l'histoire du Cameroun. Mais la
présence des missionnaires américains et britanniques et celle
des explorateurs date d'époques encore plus éloignées.
Comment communiquaient-ils ? Et comment les peuples camerounais des
côtes ont-ils pu apprendre des rudiments d'anglais sans en
« déformer » au moins quelques expressions ?
C'est pourquoi d'autres spécialistes font remonter l'usage du pidgin
beaucoup plus loin dans le temps. Chumbow (1995), par exemple, a
découvert, dans le cadre de ses recherches portant sur les premiers
usages du CPE, que les premières formes étaient teintées
de portugais. La présence portugaise remonte à 1472comme nous
l'avons souligne plus haut, (Mveng 1985), et des rapports commerciaux furent
établis à partir de cette année. On peut donc faire
remonter les premiers usages du pidgin camerounais, ou encore de sa
créolisation et de sa mise en forme au XVe
siècle.Même si le CPE proprement dit, favorisé par les
mobilités évangélisatrices et les explorateurs, s'est mis
progressivement en place à partir des XVIIe et
XVIIIe siècles qu'en est-il de son évolution ?
Ø La naissance du Cameroun Pidgin
English
Ce que les chercheurs appellent aujourd'hui CPE à
jadis connu d'autres patronymes « Cameroon
Créole » (Schneider, 1960),
« Wes-Kos » (Schneider, 1963),
« West African Pidgin English » (Schneider, 1967),
« Cameroon Pidgin (CamP) » (Todd, 1982), et
« Kamtok » (Ngome, 1986).D'autres érudits
ont parlé de « Bush english »,
« bad english » et « broken
english » pour qualifier cette langue. Certains ont même
conclu que la grande expansion de cette langue est la conséquence des
autres variétés de ce pidgin qui s'est retrouvé au
Cameroun tels que le Pidgin English du Nigéria, le Pidgin English du
Ghana, qui sont aussi des formes simplifiées de l'Anglais
utilisée par la plupart de populations illettrées. Le nom
« Cameroon Pidgin English » a depuis
quelques décennies gagné en autocratie (Féral 1978,
Menang, 1979), ce qui justement amènent la plupart des linguistes qui
avaient encore du recul à trouver un nouveau terrain de recherches et
surtout à orienter leur étude sur cette langue. De même,
l'adoption de sa terminologie rend relativement sa définition plus
facile surtout dans le contexte camerounais et ceci en rapport avec d'autres
langues qui sont présents dans le pays.
La naissance du CPE date depuis le 18è siècle
lorsque les missionnaires et les commerçants Anglais débarquent
sur les cotes West Africains. C'est une langue qui a été
développée afin de garantir un échange effectif et
permettre une inter action dans le domaine du commerce et de
l'évangélisation. Après l'abolition de l'esclavage au
début du 19è siècle, cette langue se repend sur toute la
région côtière. Elle est utilisée par des anciens
esclaves affranchis qui s'installèrent sur l'ile de Fernando Pô,
au Liberia et en Sierra Léone, et plus tard ces esclaves se
déplacèrent sur les cotes camerounaises et fondirent leur base
sur la ville de Victoria, connu à ce jour sous le nom de Limbe pour
servir de mains d'oeuvres dans les plantations de la CDC (Cameroon Development
Corporation).
La construction des chemins de fer et des routes par les
camerounais venus de tout bord fut à l'origine de l'impulsion de cette
langue. La présence des travailleurs de divers horizons linguistiques
dans les plantations de banane et d'hévéa a été un
élément vital pour la propagation dans ces différents
camps.Les travailleurs venaient de différents cieux, n'ayant aucune
langue de base commune, le PE s'offrit donc comme la langue par excellence
capable de combler les manquements en matière de communication. Ce qui
signifie que durant toute la période allemande (1884-1916), le CPE
était la langue la plus utilisée par les maitres et par les
travailleurs.
Toutefois, durant l'occupation franco- britannique au Cameroun
(1916), le CPE connu une nouvelle aire dans son histoire. C'est dans la
partie anglophone du pays que cette langue prend son envol, elle se voit une
fois de plus enrichi par le vocabulaire des langues locales et de l'anglais.
Bien plus, avec la naissance de la République Fédérale du
Cameroun le 1er Octobre 1961, le CPE connait également
l'influence de la langue française, influences auxquelles s'ajoutent
les langues locales de la partie francophone du Cameroun. L'on constate ainsi
que dans la moitié des années 60, 85° /° du
vocabulaire du CPE est issu de l'Anglais, 13°/°, des langues
indigènes et 2°/° des autres langues y compris le
français et le portugais (Schneider, 1966 :5). Au début des
années 70, la courbe change complètement, 80°/° du
lexique du CPE est à forte coloration anglaise, 14°/° des
langues locales, 5°/° du français, 1°/° des autres
langues (Mbassi Manga, 1973). Ce changement drastique prend son s'explication
dans l'évolution politique du pays, puisque le pays par de L'Etat
Fédéral à un Etat Unitaire. Ce changement de statut fait
en sorte que les camerounais de tous bord (anglophones et francophones) ont
cette liberté d'aller et de venir à l'intérieur du pays,
emportant ainsi dans leurs bagages la langue pidgin.
Le pidgin qui était la lingua franca des anglophones
devient une langue aux dimensions nationales. On constate ainsi que, que ce
soit en zone rurale ou en zone urbaine, le CPE est utilisé dans les
églises, les places du marché, les gares routières et les
gares voyageurs, dans les rues et dans d'autres situations informelles.
Tout compte fait, ce « no man's
language » continue d'être présent dans la vie
quotidienne des camerounais, servant ainsi de pont entre les camerounais de
différents couches ethniques. Bien que les ethnologues (2002) estiment
le nombre de ses locuteurs à 2 million, cette estimation semble ne pas
être convaincante surtout si l'on prend en compte les locuteurs
francophones et étrangers dont les nigérians et les
ghanéens qui sont éparpillés dans toute l'étendue
du territoire national.
Tout comme le français, le CPE est l'une des langues
de communication qui couvre pratiquement toute l'étendu du territoire,
cette langue permet une inter action entre les européens et la
population indigène, et de même une inter communication entre les
populations issues de différents groupes ethniques surtout dans le
domaine social, économique, religieux.
Cependant, nous avons constaté sur le terrain que cette
langue à plusieurs variétés.Autrement dit, le vocabulaire
de cette langue épouse la coloration langagière de son
milieu .C'est ainsi que, en ce qui concerne les variétés du
CPE, Féral (1980 :5) dira à cet effet que, il y a 2
variétés principales de cette langue : celle parlée
par les anglophones et celle parlée par les francophones.
Par contre, Todd (1982) ne sera pas de cet avis. Elle
distingue plutôt 5 variétés du CPE : Bamenda Camp,
Bororo Camp, Coastal camp, Camp des Francophones, Camp liturgique. De tout ce
qui précède, l'on dira que il ya 4 variétés de
CPE : celle parlée dans les Grass field, c'est-à-dire
qu'elle est parlée dans la province du Nord West, la
variété des Bororo, la variété de la côte
parlée par les habitants du Sud-Ouestet du Littoral et la
variété des francophones parlée par les francophones.
Ø Constructions et usages du
Pidgin English
Comme nous avons démontré plus haut, les
influences linguistiques propres aux langues que sont l'anglais, le
français, le portugais et les dialectes camerounais ont influencé
le corpus du CPE. Aujourd'hui, le CPE est généralement
découpé en deux, voire en trois sous-groupes. Certains parlent du
PE anglophone et du PE francophone (Echu 1999). D'autres proposent de diviser
le pidgin anglophone en deux, celui du Nord-Ouest et celui du Sud-ouest
camerounais. Ces avis et ces dichotomies ne sont pas dénués
d'intérêt, car ils partent d'une analyse pertinente du corpus
pidgin et de sa construction.
En effet, le pidgin parlé dans la région
anglophone du Cameroun contient de nombreuses expressions puisées dans
les langues locales de la région, telles que le Bakwéri et le
Bafut. L'influence de la langue yoruba du Nigeria tout proche est aussi un
élément prégnant de ce type de pidgin. En revanche, le
pidgin parlé dans les villes francophones est très
différent. Celui-ci est teinté d'expressions propres aux langues
côtières apparentées au Bakwéri anglophone, mais
surtout, à d'autres langues de l'hinterland camerounais : l'Eton,
les langues Bamiléké et, principalement le Duala.
On comprend donc pourquoi la construction du pidgin-english
est généralement fonction des langues qui cohabitent avec elle.
Mbassi Manga (1973) affirme qu'en 1970, 80% du pidgin parlé au Cameroun
était anglicisé, 14% de son corpus venait des langues locales, et
1% du français, de l'allemand et d'autres langues. Or, dix ans plus
tôt, le ratio était de 85% pour l'anglais et 13% pour les langues
locales (Echu 2003 :11). Cette légère évolution
indique que le CPE est une langue fluctuante. En tentant d'établir un
corpus et une construction, nous sommes conscients que certaines expressions ne
reflètent pas forcément le CPE des années 1970 et 1980.
Cependant, l'on constate que les variétés de CPE
sont mutuellement intelligibles pour les locuteurs, qu'ils soient anglophones
(APE, Anglophone Pidgin-English) ou francophones (FPE, Francophone
Pidgin-English) et ceci quelle que soit la variété et la
région de prédilection. Au-delà des particularismes
liés aux langues locales, il y a deux fonds communs qui portent
l'empreinte de l'histoire et font de cette langue un passeport au
Cameroun : les expressions en anglais et en allemand qui ont
été « déformées » et
ajoutées au lexique. Les régions francophones et anglophones ont
toutes deux connu l'occupation allemande, et de nombreuses expressions en
pidgin sont d'abord tirées de cette langue.
Par conséquent, les spécificités propres
aux différentes régions ne sont pas des obstacles à la
communication. Elles s'apparenteraient davantage à une langue
parlée avec deux accents différents.
Exemple de quelques emprunts en allemand qui ressortent dans
les expressions suivantes :
A
Chouane : allemand : Schwein
Ex : See me that chouane ! (Regarde-moi ce
cochon !)
B
Comanda: allemand: Kommander
Ex: I go see my commanda. (Je me rends chez mon chef/
mari/commandant.)
Ces deux expressions sont des exemples de ce que la langue
allemande a légué au CPE.
Par ailleurs, il faut noter que l'occupation allemande de 1884
à 1916 a été particulièrement difficile pour les
populations côtières du Cameroun qui devaient jongler avec une
langue difficile, et une réputation de dureté et d'ardeur au
travail propre aux ressortissants du Reich. Mveng (1985) révèle
que nombre de camerounais ont déserté les chantiers allemands, et
certains sont morts d'épuisement, suite aux traitements inhumains dont
ils furent l'objet. Par conséquent, dans la représentation
populaire, peu de choses portent autant l'empreinte de la force et de la
dureté que l'expression Njaman (German, allemand). Le terme est
utilisé pour parler d'une personne sans compassion, intransigeante et
inhumaine. Chouane exprime une injure, récurrente sur les
chantiers allemands, à l'endroit des travailleurs. Ces termes indiquent
que la construction du CPE ne se dissocie pas des expériences
historiques vécues par les Camerounais. L'expérience allemande en
particulier a laissé des souvenirs amers qui sont passés dans le
pidgin camerounais.
Bien plus, l'Anglais a plus que toute autre langue
laissé son empreinte dans le corpus du CPE camerounais. Quelques
expressions courantes sont tirées de cette langue :
A
Baalock : De bad luck. Signifie mauvais oeil,
malchance.
B
Bènam : De bend, se baisser.
C
Bushman : De bochiman. L'idée selon laquelle les
peuples du Kalahari seraient des sauvages non civilisés a
persisté jusqu'à très récemment. En partant de bush
« brousse » et man « homme », le PE
désigne dans le même sens, un individu ignorant des coutumes
occidentales. L'expression synonyme exacte en français est villageois,
un « camerounisme » qui part de l'idée que ceux qui
vivent en campagne sont moins civilisés que ceux qui vivent dans les
grandes villes.
D
Docta : De doctor. Terme très courant dans le
Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun.
E
Op-eye : De open eye `ouvrir l'oeil', c'est-à-dire
intimider en ouvrant grand ses yeux. Terme très courant dans le FPE, qui
est passé finalement dans le français parlé au
Cameroun.
F
Mouf : De move, c'est-à-dire bouge, fiche le camp.
C'est une injure très courante.
G
Ndock : De duck, canard. Le pidgin-english
ndock signifie en réalité gourmand. Mais pour en
exprimer la force, on utilise l'image d'un canard sans cesse en train de
fouiller avec son bec dans la vase. Pour qui a vu faire les canards surtout au
Cameroun, la comparaison et l'interprétation coulent de source.
Ces expressions ne sont qu'une fraction des expressions
anglaises utilisées en pidgin camerounais. Elles couvrent des domaines
aussi variés et divers que la gastronomie, les relations sociales et les
représentations culturelles. D'autres expressions empruntent aux langues
locales camerounaises et sont généralement comprises des
utilisateurs du P.E. Echu (2003) en fait même un large relevé de
ces emprunts dans son article.
Malgré les emprunts nombreux et les expressions
créées de toutes pièces, il est admis que le PE
parlé au Cameroun est une langue à part entière. Kouega
(2001) a démontré que le PE camerounais remplissait de
très nombreuses fonctions dans pratiquement tous les domaines de la vie,
tant pour les anglophones que pour les francophones qui l'utilisent. Pour lui,
le pidgin n'est pas une simple troncation de mots anglais, mais un ensemble
très structuré, quoique souple et relativement aisé
à construire. Féral (1978 :5) va dans le même sens
quand elle fait savoir que : « Ce qu'on appelle
pidgin-english au Cameroun est, en vérité, une langue qui a un
éventail fonctionnel beaucoup plus large que celui qu'on attribue
généralement aux autres pidgins. ».
Bien plus, Mbangwana cité par Atechi
.(2006 :11-14), constate que le Cameroun est l'un des pays
d'Afrique qui a une situation linguistique très complexe et qui
expérimente l'effet des interférences linguistiques et du contact
des langues. Une complexité linguistique qui lui a valu le surnom d'e
«Afrique en miniature». Ceci résulte du fait que
presque toutes les tribus africaines se retrouvent au Cameroun, de même
que trois des quatre grandes familles linguistiques du continent. La
complexité linguistique tient aussi du fait que le pays regorge
plusieurs langues locales dont le nombre exact n'est pas
déterminé.
Selon les différentes statistiques et d'après
les chercheurs : Chia (1983 :19-32) Dieu et
al.(1991 :2)et Mbufong.(2001 :67) parlent de
183 langues. Mbangwana affirme plutôt qu'il existe 247 langues. En
dépit des différences, Koenig et al cité par Kouega
(2001 :11-22) sont unaniment et pensent que le Cameroun compte 47 langues
en deux langues officielles qui sont l4nglais et le Français et un
certain nombre de langues véhiculaires. Parlant de ces langues
vehiculaires, E.Biloa (2006 :32) dira à cet effet que :
There is general agreement on the number of regional
out-group languages. There are Arab choa spoken in North and Adamawa provinces,
Mongo Ewondo spoken in the Center and South provinces, and Pidgin English is
dominant in the western and littoral provinces as well as the two adjoining
Anglophone provinces namely North West and South west.
Autrement dit, les chercheurs s'accordent sur les
langues véhiculaires qui existent au Cameroun : l'arabe choa est
parlé dans la région du Grand Nord ; le Mongo Ewondo, lui,
est dominant dans les régions du Centre, l'Est et du Sud ; le
pidgin quant à lui couvre les régions de l'Ouest, du Littoral et
les régions anglophones à savoir le Nord-ouest et le
Sud-ouest.
Selon les observations faites sur le terrain, nous constatons
que les camerounais d'obédience anglophone n'ont jamais accepté
l'utilisation du français. Ceci se voit à travers leur laxisme
à l'utiliser comme langue de communication. Tandis que les francophones
montrent une antipathie quant à l'apprentissage de l'anglais et traitent
même ceux qui en font usage « d'anglofools ».
Au travers de ce constat, il est clair qu'aucune de ces
langues, qu'elle soit officielle ou locale ne renferme un caractère
national. Seul le pidgin semble avoir un caractère national comme nous
le fait remarquer Mbangwana (op.cit. 23-44) :
Pidgin English spread in leaps and bounds in the English
speaking part out the country, from the coastal region to the grassfield
hinterland with about three million inhabitants. Pidgin English also expanded
in the French speaking part of Cameroon with more than eleven million
inhabitants. Up to 61.8% of urban dwellers in the French speaking zone speak
this language and the question one may pose is how does this wide used of
Pidgin come about in an area whose prime language is
French?.
Autrement dit, le PE s'étend à travers
l'étendue du territoire, c'est-à-dire de la région
côtière jusqu'au grassfield ayant une population parlante qui
s'étend à plus de trois millions d'habitants. Ce Pidgin English
est aussi répandu dans la zone francophone avec un taux de plus de onze
millions d'habitants. La question qu'on pourrait se poser est celle de savoir
d'où provient cette forte expansion du pidgin dans la zone
francophone ?
Pour répondre à cette question, Trudgill
cité par Mbangwana (Idem : 23-44) nous révèle
que :
les bamilékés ont fortement contribué
à étendre le pidgin et à le maintenir dans les villes ...
pour trois raisons principales : leur
hétérogénéité linguistique qui les fait
très souvent avoir recours au pidgin alors qu'ils sont entre eux, que ce
soit à l'intérieur de leur région ou à
l'extérieur ; la forte densité démographique de leur
province et leur occupation principalement commerçante les a
poussés à immigrer vers les grandes villes en dehors de leur
région et de ce fait à «exporter» le
pidgin.
Toutefois, Nkemleke constate qu'avec la colonisation, le
Cameroun a hérité d'une situation linguistique complexe et
problématique. Ceci pourrait être l'une des raisons pour
lesquelles jusqu'à présent, le Cameroun n'est pas capable de
développer une langue nationale qui servira de marque pour
l'identité camerounaise.
En plus des langues officielles, locales et le pidgin, il ya
aussi le camfranglais qui vient confirmer cette complexité linguistique
du Cameroun. C'est une langue utilisée beaucoup plus par les jeunes et
qui est composée du français, de l'anglais, des langues locales
et du pidgin comme l'affirment Kouega et Echu.
Ø Localisation du pidgin
D'entrée de jeu, l'on pourrait dire que la
définition du pidgin apporte des éclaircissements suffisants sur
les régions où le pidgin est le plus utilisé à
l'intérieur du triangle national. Au Cameroun, l'on a toujours
attaché la dénomination «Pidgin» au vocable
« English ». Mbassi Manga que reprend Mbangwana
nous fait comprendre que le contenu lexical du pidgin est composé
à 80% d'un vocabulaire de source anglaise, 14% de langue
indigène, 5% du lexique français, 0,07% d'autres langues ou
sources. Cette prédominance lexicale et grammaticale de l'anglais
explique l'attribution de cette langue au camerounais d'obédience
anglophone. C'est pour dire que le pidgin est prioritairement parlé dans
les régions du sud-ouest et du nord-ouest. Soulignons au passage que
cette répartition géographique ne tient plus la route.
Comme nous le fait remarquer Mbangwana en 2004, le pidgin est
parlé par plus de onze (11) millions d'habitants dans la zone
francophone. Plus de 61.8 °/° de la population urbaine dans la zone
francophone parle cette langue. De fait, le pidgin au Cameroun n'est plus
uniquement l'affaire d'une région, mais de toute la nation dans la
mesure où il est possible de le retrouver dans tous les centres urbains
où des personnes issues de ces centres différents se
retrouvent.
La différence de niveau d'éducation et le souci
d'efficacité dans les multiples opérations effectuées
amènent les gens à utiliser le pidgin dans les centres urbains.
De fait, le pidgin n'est plus l'affaire des zones anglophones, mais de toute la
nation même si les pourcentages pour ce qui est de la source de son
vocabulaire et le nombre d'usagers accordent la primauté aux
anglophones.
Bien plus, Alobwede (1998) considère le pidgin
comme « the only language in Cameroon which expresses Cameroonian
realities without provoking vertical or horizontal hostilities». En
français simple nous dirons que, le pidgin est la seule langue selon
Alebwedo qui exprime les réalités camerounaises. Il convient de
noter que la prédominance du français dans l'échiquier
linguistique Camerounais ne va pas sans influencer l'évolution du
pidgin.
En clair, le pidgin intègre progressivement de nombreux
mots français en son sein, ce qui fait que la dénomination pidgin
english ne mérite plus d'être maintenue. Le pidgin camerounais
n'est pas l'anglais, mais la somme instable et évolutive de l'ensemble
des langues repérables au Cameroun.
Pour nous résumer, nous admettons que
jusqu'aujourd'hui, le pidgin demeure certes beaucoup plus parlé dans les
zones anglophones, dans le littoral et à l'ouest du pays, mais il
s'étend progressivement au point de devenir une langue à la
dimension nationale. La localisation du pidgin ne connaît plus de bornes
à l'intérieur du territoire national. Il est parlé aussi
bien par les anglophones et les francophones, les scolarisés ou non, les
jeunes et les vieux tant en zones urbaines qu'en zones rurales. Cependant, bien
qu'étant une langue qui a su gagné du terrain selon certains
auteurs, les avis et les attitudes à propos de cette langue restent
individuels.
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