Les contes et les mythes en pidgin : facteur d'éducation de l'enfant dans la société africaine traditionnelle dans la région du sud- ouest (BUEA)( Télécharger le fichier original )par Anne OBONO ESSOMBA Université de Yaoundé I - Doctorat en littérature orale et linguistique 2014 |
VII.2.3. Littérature orale et la mondialisationMettre en rapport la littérature orale pidgin et la mondialisation, c'est poser la question du devenir de l'acte de la langue pidgin dans un système mondial culturellement ceint autour de la scripturalité. C'est par extension poser la question de sa pertinence dans un monde d'échanges tous azimuts où tous les actes de la vie, bien que se faisant avec la parole, sont codifiés, réglementés, institutionnalisés, autour et avec l'écriture. Si la mondialisation se manifeste, sur le plan culturel, qui nous intéresse ici par une certaine homogénéisation des modes de consommation ( littéraire, culturelle, artistique ), que les sociologues appellent parfois par dérision la macdonalisation du monde (du nom des restaurants rapides McDonald qui se sont implantés dans pratiquement tous les pays du monde), elle régit et organise le monde et plus grave encore, on ne peut s'en passer, sous peine d'être phagocyté sur tous les domaines de la vie. Dans la mondialisation, la logique veut que l'on soit au parfum des découvertes, des innovations, de la plus petite actualité et bien souvent, tout ce qui est connaissance, sagesse, invention, découverte, théorie, pratiques les plus ordinaires se transmettant par l'écriture qui, est supposée fixer, établir et normaliser les moindres actes. Que ce soit en politique avec les actes, les décisions, les arrêtés, les lois ; que ce soit dans les associations, les pancartes publicitaires, les journaux ; que ce soit la plus simple transmission de la foi, tout se fait avec l'écriture qui est promue et vulgarisée à l'école obligatoire et reconnue comme un droit inaliénable pour tout homme de toute race. A l'école, bien que la transmission soit faite par la communication entre professeurs et élèves, tout est codifié, transmis, matérialisé par l'entremise de la seule écriture. Tout est régenté par l'écriture au point où on est taxé d'analphabète si l'on ne connaît ni écrire, ni lire, ni utiliser aujourd'hui les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Peut-on dès lors rester valablement « oral » ? Ceci, devient de plus en plus complexe lorsqu'on transporte le problème au niveau linguistique. Au niveau linguistique par exemple, et dès lors que nous portons un regard interrogateur sur les classes dites inférieures, il se pose un problème dont la récurrence semble se passer de tout commentaire. Une masse imposante de la population analphabète, exclue des rouages de la société dite des lettres ou des intellectuels, se construit et s'agrandit à mesure que la population grandit et s'ordonne tout en se ritualisant, en ce qu'il s'agit de ses normes et représentations, autour d'une langue elle-même marginale et marginalisée qui, s'empresse d'être idoine pour la naissance, le développement et la diffusion d'une culture s'érigeant ainsi autour du pidgin. Cette langue, certainement porteuse de l'histoire de cette masse populaire que l'on retrouve aujourd'hui dans toutes les cultures ou ethnies du Cameroun, s'articule, se développe, s'enrichit et ex croît à travers une oralité primaire qui ne semble n'être pas seconde, car elle ne semble n'avoir de sa présence qu'autour d'une oralité. Et même si sa scripturalisation est possible, elle ne peut que prendre forme autour d'une forme figurée particulièrement saisissable dans les prémaquettes ou les manuscrits de chanteurs de la trempe de Koppo ou de Lapiro de Mbanga, virtuoses rappeurs camerounais dont la plume et les paroles virulentes ouvrent et préparent la révolution idéologique et politique au Cameroun. Il est vrai que, comme l'a si bien dit Oe Kenzaburo, prix Nobel de littérature de 1994, « Ecrire c'est marcher sur une corde raide »26(*)., écrire c'est transcrire une pensée vivante en une pensée statique, fixe, sans vie comme un robot ne réfléchissant pas et retranscrivant l'exactitude des informations qu'on lui a donnée. Pour paraphraser Mohamadou Kane (1992 :126) : l'écriture nous a offert la possibilité de fixer la pensée, de la dépasser, de la diffuser. Fixer sa pensée devient la condition sine qua non pour agresser le temps, pour lui faire violence, pour perpétrer les actes culturels collectifs. Le Cameroun connaît aujourd'hui avec le développement de la scolarisation, les moyens, de s'adapter, de s'accommoder à la mondialisation. Mais, pourtant, il existe aujourd'hui au Cameroun, une bonne frange de la population, analphabète traditionnel (de l'écriture) et analphabète moderne (méconnaissance des NTIC). Cette frange de la population encore ancrée dans la tradition de l'oralité devient déphasée, perdue dans un monde qui ne lui fait pas de cadeaux. Les questions de développement, la course à la recherche, au bien-être social et culturel sont les points focaux sur lesquels il faut décider, voir même engager des stratégies de célébration d'une nouvelle culture de la scripturalité en Afrique où, la matérialisation au moyen de l'écriture de nos actes de vies collectifs culturels. Et ceci, passe par la matérialisation et l'enseignement de nos langues. Dans notre cas, cela passe par un éclairage sur une méconnaissance entretenue et instrumentalisée : c'est qu'il existe une littérature orale pidgin qui s'exprime au travers d'une multiplicité de genres tant profanes que sacrés et d'une incommensurable richesse culturelle et humaine. Les conséquences de la non-adaptation sur le plan de nos sociétés africaines sont impressionnantes : il existe encore une élite savante (scolaire) au Cameroun et bien plus, la population analphabète ne peut s'intégrer dans la culture critique des oeuvres littéraires alors que la population dans les sociétés orales possédaient un droit de regard dans la critique. L'information ne passe pas à cause de l'analphabétisme des populations ; certains ne s'intéressent même pas à la chose politique parce que l'élite lettrée mystifie l'acte du pouvoir, ce qui crée des frustrations au sein de la frange n'ayant suivi aucune « Education » ; l'élite « éduquée » est déracinée et perdue dans un monde en pleine marche. Ainsi, bien qu'éduquée l'élite est extravertie, creusant volontairement un fossé entre lui et le peuple analphabète. Le Cameroun en conséquence, est absent de la scène mondiale, incapable de développer des stratégies de ré médiation et d'adaptation alors qu'une foule d'opportunités tant humaines, culturelles que linguistiques27(*). s'offre à lui et peut servir à lui donner une identité et une personnalité. S'il est vrai que la logique d'adaptation s'avère une chose des plus impérieuses, une préoccupation de tous les instants, ne pouvons-nous pas penser cette adaptation ? Doit-on comme, nous l'avons fait et continuons de le faire s'adapter d'une manière irréfléchie ? Ne devons nous pas penser notre adaptation à la mondialisation de manière à célébrer notre spécificité ? De manière à avoir quelque chose de particulier à offrir au rendez-vous terrestre du donner et du recevoir ? La logique de dépassement impose que l'on embrasse la modernité, que l'on embrasse la scripturalité, que l'on vienne à la mondialisation, au rendez-vous du donner et du recevoir en gardant ce qui, fait notre être-au-monde, notre spécificité, notre identité culturelle. S'il est vrai que l'Afrique ou le Cameroun a connu l'écriture comme nous l'avons évoqué, elle a néanmoins privilégié l'oralité dans ses rapports avec sa société et son univers. En un certain sens l'oralité est et constitue un corps de valeurs traditionnelles aux africains et la renier, pour une simple question d'adaptation n'a et ne saurait avoir de sens. Avant toute chose, comme l'a dit Kwamé Nkrumah (2005 :11) « Va. Cherche ton peuple. Aime-le. Apprends de lui. Fais des projets avec lui. Commence par ce qu'il sait. Construit sur ce qu'il est et ce qu'il a.». C'est avant tout, rester identique à soi-même, c'est avant tout cultiver la spécificité dans la généralité, c'est avant tout poursuivre cette partie de nous même à chaque moment de notre existence qui se sauve, qui prévient des pièges dans lesquels tombent les nations oublieuses de leurs cultures. Le Cameroun fait partie de cette triste réalité et se doit tout en intégrant la mondialisation de rester, « oral ». A la question, peut-on rester valablement être « oral » à l'ère de la mondialisation ? Nous répondons par une affirmation. Nous pouvons, rester « oral », c'est-à-dire spécifique à un modèle de vie que nous avons longtemps experimenté. Cependant, l'ayant longtemps expérimenté, nous connaissons les limites de l'oralité, nous pouvons donc nous servir des expériences des autres, de leur vécu, pour modeler la partie de nous-mêmes qui peut nous apporter malheur. Par exemple, parlant de malheur, les Africains ont vu pendant l'oralité la non efficacité de la transmission des actes collectifs culturels d'une génération à une autre à cause de la faiblisse de la mémoire individuelle et collective confrontée à l'usure du temps et de l'histoire. Même si, tout était fait, pour récréer des événements, pour en faire des réactualisations, des relectures, tous ces événements recrées ont souvent pour objet de dénaturer le texte original jusqu'à la mutation de ce texte en un texte qui ne constitue alors, qu'une pâle version, parfois, méconnaissable au milieu d'une panoplie d'autres versions parfois concurrentielles. C'est pour perfectionner l'oralité, pour la parfaire que nous devons chercher dans la mondialisation, dans la scripturalité qui est un de ces corollaires le plus prestigieux, les moyens de fixer ce qu'il faudra transmettre, ce qu'il faudra conserver, perpétrer, sauvegarder, conserver, pérenniser dans l'optique d'une plus grande efficacité et surtout, pour plus de prégnance dans la vie présente et future des générations à venir. C'est dans cette optique que Mohamadou Kane en confrontant le rapport entre Francophonie et l'oralité, a loué l'émergence de la trempe d'écrivains africains qui sont allés à la francophonie sans jamais perdre le contact avec l'oralité. Il a cité pour exemple Birago Diop et Bernard Dadié qui, se sont donnés pour impérieuse mission : « de renouveler le conte Africain, de le faire vivre dans un contexte de modernisation...Il va s'en dire que l'écriture ouvre de nouvelles perspectives à ce genre traditionnel..»(M. Kane, 1992 :128) Nous pouvons donc, vivre à l'ère de la mondialisation tout en restant « oral » et le présent travail essaie autant que faire ce peu de montrer qu'une langue considérée comme marginale, le pidgin, et que l'on reconnaît comme essentiellement orale peut se révéler de sa présence, de sa littérarité et de son esthétique au travers d'une scripturalisation bien négociée et en conformité avec les cultures populaires qui le génèrent. * 26 Propos tiré de l'Encyclopédie Encarta, voir Supra. * 27 Les langues comme le Wolof, le Fufuldé, le Swahili et le Pidgin dans notre c as en sont des exemples paplpables. |
|