VII.1.2. Langue pidgin :
manifestation du vécu camerounais
L'analyse de Herder a permis de dévoiler au monde que
la langue tout comme la littérature exprime une vision
particulière de nation qui la parle. C'est ainsi que la langue pidgin
est la manifestation de l'histoire du Cameroun.
Lors de nos enquêtes, le Chief Endeley de Buea (une
notabilité établie dans la région), nous a dit que le
pidgin est né depuis la période précoloniale. Il s'est
répandu et s'est intensifié avec l'occupation allemande, anglaise
et française. Il est né du voeu des camerounais qui ne pouvaient
pas s'entendre à cause de la multiplicité de langues, du secret
désir de ne pas se faire entendre par le maître colon et
aussi du refus de l'assimilation.
C'est dire que, le pidgin est né du tumulte et de la
révolte des camerounais de tous bords dans les plantations
d'hévéa et de bananes, les constructions de routes, chemins de
fer et les travaux forcés. Ce pidgin exprime le drame historique du
peuple camerounais engagé dans la lutte acharnée contre la
culture européenne et sa domination.
Le pidgin évoque le vécu quotidien du peuple
majoritairement jeune qui refuse la marginalisation, la phagocytose, la
pauvreté et l'exclusion. C'est une tranche d'âge qui
réclame à travers cette langue une place et un statut social.
VII.2. LA LITTERATURE ORALE EN
PIDGIN ET LA MONDIALISATION
Il y a des sujets qui transportent les hommes vers les cimes
de leurs cultures profondes. Il y a d'autres qui tout en imposant une logique
d'immersion dans la culture profonde des hommes, posent dans une logique
constructive, des interrogations présentes. Le sujet de l'oralité
fait partie de cette dernière logique et ouvre un pan de voile à
une situation qui, loin d'avoir cessé d'être actuelle, inscrit
l'homme dans son passé et impose une vision futuriste impliquant
elle-même, les questions de ses redéfinitions et de ses
révisions.
Si l'oralité est, en tant que principe de vie,
primauté, prévalence d'un système social basé sur
la transmission orale (et de toutes les activités sous-jacentes) de la
pensée et des actes culturels collectifs au détriment d'une
écriture, elle a, symbolisé et matérialisé
l'essentiel du vécu du monde et bien particulièrement celui des
peuples africains en général et camerounais en particulier. Il
s'agit ici, de dire, si la littérature orale pidgin a une place à
l'ère de la mondialisation ? Autrement dit, peut-on faire du pidgin
une langue capable de s'adapter à cette nouvelle vision du monde surtout
lorsque nous savons que la vie sociale, culturelle, commerciale, est faite
avec et autour de cette langue ; au combien stratégique devant le
fait colonial qui se parlait dès lors de bouches à oreilles, de
générations en générations ? Bien plus,
à l'heure des échanges tous azimuts, à l'heure où
l'on parle de civilisation de l'universelle, à l'heure où la
planète tout entière est engagée au rendez-vous du donner
et du recevoir, pouvons nous parler pidgin et vivre son oralité,
exprimée à travers ses genres une richesse qui n'a d'égal
que la foule des expériences qu'elle donne à percevoir.
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