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L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé

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par Romain Coquet
Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012
  

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B- L'existence d'un démembrement de la propriété fiduciaire

Certains auteurs se sont penchés sur la nature des droits respectifs des acteurs du contrat de fiducie. L'hésitation est permise même si la doctrine majoritaire considère que le bénéficiaire ne jouit que d'un droit personnel sur les biens concernés par l'opération, et non d'un droit réel. Michel Grimaldi penche de son côté en faveur d'une conception hybride de la propriété fiduciaire120(*). Inspiré par cet avis doctrinal, le rapport Marini énonce que le fiduciaire acquiert la propriété fiduciaire des biens, c'est-à-dire qu'il acquiert non la propriété de l'article 544 du Code civil, mais une propriété d'un nouveau type, une propriété avec charge. En définitive, le fiduciaire bénéficierait de la propriété juridique des biens alors que le bénéficiaire bénéficierait de la propriété économique des mêmes biens121(*). Cette distinction est de nature à altérer « profondément la nature de la fiducie que le législateur avait, en 2007, choisi de construire par le biais d'une dissociation des patrimoines mais sans toucher au droit de propriété, là où désormais, il croit devoir réaliser un démembrement de propriété »122(*). La solution serait d'admettre la réception du trust en droit français par l'intermédiaire de la fiducie. Dès lors que l'on assimile la fiducie à un démembrement de la propriété, il n'y a plus d'obstacles à l'accueil du trust, mais telle n'est pas pour l'heure l'idéologie française.

Ce nouveau texte n'est pas exempt de critiques d'un point de vue juridique. En premier lieu, ce texte n'était pas suffisamment précis et manquait de certitude juridique dans la mesure où les tribunaux auraient pu admettre l'existence d'un droit réel au profit du bénéficiaire de la fiducie. Dès lors, il était possible que les juges admettent que la propriété fiduciaire est pleine et entière et que le bénéficiaire ne dispose que d'un simple droit de créance à l'égard du fiduciaire. En second lieu, ce texte consacre une nouvelle forme de propriété dont l'objectif est de reconnaître en droit français deux formes distinctes de propriété sur un même bien. Cette dualité des droits porte gravement atteinte à la conception classique du droit de propriété. Enfin, il faut considérer que le texte aboutissait à faire du bénéficiaire de la fiducie le véritable propriétaire des biens. Le fiduciaire ne serait titulaire que d'un droit réel accessoire sur ces mêmes biens123(*). Selon ces deux auteurs, il en résulte deux difficultés concomitantes. Tout d'abord, la législation relative à la fiducie serait devenue contradictoire dans la mesure où il serait devenu difficile d'expliquer en quoi le fiduciaire est à la tête d'un patrimoine d'affectation. Par ailleurs, la position des fiducies-sûretés s'en serait trouvée fragilisée car en la matière le fiduciaire-créancier est un véritable propriétaire. En cas de procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur, le créancier serait sacrifié si l'on admettait que le bénéficiaire est le propriétaire des biens placés en fiducie.

Le mystère continue de planer sur le point de savoir qui est le véritable propriétaire des biens relevant du contrat de fiducie. La réponse est en partie donnée par la jurisprudence. Lorsque les attributs de la propriété sont démembrés et exercés par deux sujets de droit différents, le propriétaire est toujours celui des deux qui a vocation à recouvrer in fine une plénitude de prérogatives sur le bien124(*). Par conséquent, le nu-propriétaire demeure le seul véritable propriétaire. Selon les professeurs Aynès et Crocq, « peu importe que, temporairement, il n'ait aucun pouvoir sur le bien. Il n'en est pas moins propriétaire car lui seul a vocation, à la fin de l'usufruit, à recouvrer la plénitude des prérogatives sur le bien ». Ces deux auteurs transposent cette solution à la fiducie pour critiquer la notion de propriété fiduciaire. « Contrairement à ce qu'affirmait l'article 2011 du code civil, le fiduciaire ne pouvait pas être qualifié de propriétaire car, dénué de la plénitude de prérogatives sur le bien pendant la durée de la fiducie, il ne la recouvrait pas à la fin de la fiducie, l'objet de la fiducie devant être transféré au bénéficiaire. En revanche, le bénéficiaire, lui, pouvait être qualifié de propriétaire puisque, titulaire d'un droit réel sur le bien pendant la durée de la fiducie, il avait vocation, à la fin de la fiducie, comme un nu-propriétaire, à recouvrer la plénitude des prérogatives sur ce bien »125(*).

Pour le Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 16 sont déclarées contraires à la Constitution au motif qu'elles « ne présentent aucun lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans la proposition de loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises »126(*). Cet article constituait en réalité un « cavalier législatif » contraire à la règle de « l'entonnoir » et devait alors être censuré127(*). Le Conseil Constitutionnel ne s'oppose pas à l'idée d'accueillir la finance islamique en droit français. En réalité, il prononce « la censure technique d'un article technique »128(*). Aujourd'hui, il existe deux structures juridiques permettant l'émission de sukuk fondées sur des outils de droit français. L'émission de sukuk peut en premier lieu reposer sur une combinaison de la titrisation et de la fiducie. Dans ce cas, l'emprunteur économique cède au fonds commun de titrisation les créances nées ou à naître dont il est titulaire envers certains débiteurs. Dans la mesure où le fonds n'a pas la personnalité morale, les parts souscrites par les porteurs de sukuk confèrent à ces derniers un droit de copropriété sur les actifs129(*). Il semble ainsi qu'une telle structure constitue une alternative envisageable au plan juridique et conforme aux exigences de la Charia qui prévoient que les porteurs de sukuk soient titulaires d'un droit réel sur les actifs. Mais cette solution impliquerait sans doute de poser des conditions strictes à définir qui devront être remplies afin de bénéficier d'un régime fiscal dérogatoire130(*).

Toutefois, la création d'un fonds commun de titrisation est insuffisante car la cession de créances à un tel fonds permet de transférer la valeur économique de l'actif aux investisseurs. D'où l'idée d'adjoindre à la cession de créances le transfert de la propriété juridique des actifs sous-jacents au fiduciaire qui les détient pour le compte du fonds. Les parts émises par le fonds sont ainsi représentatives directement de la propriété économique de l'actif et indirectement de la propriété juridique de l'actif détenu par le fiduciaire pour le compte du fonds commun de titrisation131(*). L'émission de sukuk peut en second lieu reposer sur l'émission de titres de dettes dont le principal et la rémunération sont indexés sur l'actif financé. En définitive, il convient de relativiser les effets de la finance islamique car le démembrement du droit de propriété n'est pas étranger au droit français. Les effets secondaires sont à craindre, notamment pour le créancier qui n'est pas déclaré propriétaire en raison de la dualité des droits. Or « le bouleversement est réel et d'autant plus perturbant que le démembrement considéré n'est rien de plus qu'une construction doctrinale parfaitement inconnue du droit civil, qu'il est gênant de consacrer de manière subreptice à l'occasion d'un débat purement technique aux enjeux aussi minces »132(*).

* 120 M. GRIMALDI, « La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre », Defrénois 1991, art. 35085, n° 58, p.50 : « Le bénéficiaire est assurément titulaire d'un droit personnel, en ce qu'il est créancier des obligations dont est tenu le fiduciaire. Mais il semble l'être aussi d'un droit réel, dans la mesure où la loi l'autorise à revendiquer, le moment venu, les biens entre les mains des tiers acquéreurs de mauvaise foi, lui conférant ainsi un droit de suite, qui est la marque du droit réel ».

* 121 Rapport n° 442 fait au nom de la commission des finances du Sénat par le rapporteur Marini, p.83.

* 122 F-X LUCAS, « La fiducie au pays de l'or noir », Editorial, BJS, 01/10/2009, n° 10, p.825.

* 123 J. BERTRAN DE BALANDA et F. BOURABIA, « Fiducie et finance islamique », Dr. et pat. 2010, n° 192, Dossier Quel avenir pour la fiducie ?préc.

* 124CassCiv 3ème, 28/01/2009, n° 08-12649 : « Sauf stipulation d'une réserve d'usufruit, la promesse de vente de la nue-propriété d'un bien grevé d'usufruit a nécessairement pour objet, en cas d'extinction de l'usufruit, la pleine propriété de ce bien ».

* 125 L. AYNES et P. CROCQ, « La fiducie préservée des audaces du législateur », D. 2009 p.2559.

* 126 Cons. const. 14 octobre 2009, décision n° 2009-589 DC.

* 127 Les cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier n° 28, Commentaire de la décision n° 2009-589 DC du 14 octobre 2009.

* 128 G. SAINT-MARC, avocat au cabinet Gide LoyretteNouel, président de la commission finance islamique de Paris Europlace, Les Echos, 15 octobre 2009 ; A. LIENHARD, « Fiducie et finance islamique : censure formelle du Conseil constitutionnel », D. 2009 p.2412.

* 129 Article L 214-42-1 du Code monétaire et financier.

* 130 J. BERTRAN DE BALANDA et F. BOURABIA, « Fiducie et finance islamique », ibid.

* 131 G. SAINT-MARC, « Emission de sukuk en droit français : l'apport de la fiducie », in La fiducie dans tous ses états, colloque organisé le 15 avril 2010 par l'Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, 2010, p.84.

* 132 F-X LUCAS, « La fiducie au pays de l'or noir », Editorial, Bulletin Joly sociétés, 01/10/2009, n° 10, p.825.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote