L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
B- La transmission du patrimoine affectéLe cloisonnement des patrimoines est provisoire car le patrimoine affecté est susceptible d'être transmis à une personne physique ou morale. A l'origine, l'existence d'une personnalité morale facilitait la transmission mais dans le cadre de l'EIRL, elle est indifférente. L'EIRL peut être qualifiée d'universalité de droit, c'est-à-dire un ensemble de biens affectés à la poursuite d'un même objectif483(*). La transmission des biens affectés ne pose pas de problème puisque l'entrepreneur individuel est propriétaire de ces biens et décide de leur sort. En cas de décès de l'entrepreneur individuel, « la déclaration d'affectation cesse de produire ses effets ». Il appartiendra à un héritier, à un ayant droit ou à toute personne mandatée à cet effet de faire porter la mention du décès sur un registre spécial. Les créanciers auxquels l'affectation était opposable conservent pour droit de gage général celui qui était le leur au moment du décès484(*). Toutefois, en vertu de l'article L 526-16 du Code de commerce, « l'affectation ne cesse pas dès lors que l'un des héritiers ou ayants droit de l'entrepreneur individuel décédé, sous réserve du respect des dispositions successorales, manifeste son intention de poursuivre l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté ». La personne qui a l'intention de poursuivre l'activité professionnelle doit en faire porter la mention au registre auquel a été effectué le dépôt de la déclaration dans un délai de trois mois à compter de la date du décès. De plus, la reprise du patrimoine affecté est subordonnée au dépôt d'une déclaration de reprise au registre prévu à cet effet. Cette déclaration de reprise peut être la source de conflits successoraux parfois difficiles à résoudre485(*). L'article L 526-17 alinéa 1er du Code de commerce détermine la faculté de transmission du patrimoine affecté. En effet, « l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l'intégralité de son patrimoine affecté et en transférer la propriété ». La cession à une personne physique entraîne sa reprise avec maintien de l'affectation dans le patrimoine du cessionnaire ou du donataire. Elle peut s'opérer au profit d'une personne ayant déjà opté pour le statut d'EIRL. Dans ce cas, la transmission peut conserver l'affectation du patrimoine transmis. Depuis le 1er janvier 2013, une personne peut être à la tête de plusieurs patrimoines affectés. Le patrimoine cédé pourra dans cette hypothèse conserver son individualité. En outre, la transmission peut s'opérer au profit d'une personne n'ayant pas opté pour le statut d'EIRL. Le transfert entraîne alors une perte de l'affectation. La transmission donne lieu au dépôt par le cédant ou le donateur d'une déclaration de transfert au registre spécial et fait l'objet d'une publicité. La reprise n'est opposable aux tiers que suite à l'accomplissement de ces formalités486(*). De même, la transmission à titre gratuit entre vifs entraîne sa reprise avec maintien de l'affectation dans le patrimoine du donataire. En revanche, la cession du patrimoine affecté à une personne morale ou son apport en société entraîne transfert de propriété dans le patrimoine du cessionnaire ou de la société, sans maintien de l'affectation. La solution est donc différente puisque les biens du patrimoine affecté se retrouvent englobés dans le patrimoine de la personne morale487(*). L'assiette du droit de gage se retrouve élargie mais en contrepartie, une concurrence s'installe entre les différents créanciers. Au regard de l'article R 526-13 du Code de commerce, l'opération doit être publiée dans le mois de sa date à la diligence du cédant, du donateur ou de l'apporteur, sous forme d'avis au BODACC. La déclaration ou l'avis sont accompagnés d'un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine affecté. Les effets à l'égard des créanciers du patrimoine affecté sont prévus à l'article L 526-17 III du Code de commerce. Cet article précise que « le cessionnaire le donataire ou le bénéficiaire de l'apport est débiteur des créanciers de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée à la place de celui-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard ». En présence d'un contrat conclu intuitus personae, le contrat est conclu en considération de la personne. Le créancier se voit ainsi imposer un nouveau débiteur qu'il n'a pas agréé. Selon un auteur, « la réflexion peut alors s'élargir et porter sur la possibilité d'établir des relations contractuelles entre les différents patrimoines ». Par exemple il est concevable qu'un même bien puisse être utilisé dans l'exercice d'une autre activité et que cette situation soit formalisée par un contrat de location qui donnera lieu à des flux financiers constatés en comptabilité488(*). La transmission du patrimoine affecté brise définitivement la théorie de l'unité du patrimoine car une personne peut céder l'un de ses patrimoines. Il convient toutefois de relativiser les choses puisque la personne sera toujours à la tête d'un patrimoine personnel déclaré inaliénable. Le transfert du patrimoine affecté s'oppose à la cession de fonds de commerce qui n'entraîne que le transfert d'éléments d'actifs. Si un prêt a été consenti au cédant pour financer son activité, il demeure à charge malgré la cession. A contrario, la cession du patrimoine affecté englobe l'actif et le passif. Elle induit alors le transfert des prêts affectés à l'activité. La cession du patrimoine affecté est empreinte de souplesse, elle est plus simple à organiser que celle du fonds de commerce et permet d'échapper aux formalités des articles L 141-1 à L 141-22 du Code de commerce. De même, l'opposition à la cession de patrimoine est moins dangereuse pour le cessionnaire, car elle ne débouche que sur une inopposabilité du transfert de patrimoine, alors que l'opposition au paiement du prix d'un fonds de commerce l'expose à payer deux fois le prix. En dépit de cette innovation majeure, le professeur Barbieri affirme avec pessimisme que « le statut d'EIRL ne nous paraît pas actuellement soutenir une comparaison sérieuse avec le statut d'associé, moins complexe et plus riche de potentialités »489(*). Le professeur Lucas affirme à son tour que « ce dispositif d'affectation patrimoniale n'est ni plus simple à faire fonctionner qu'une EURL ni plus protecteur du patrimoine privé de l'entrepreneur ». Néanmoins, il conçoit que cette nouvelle technique d'affectation patrimoniale soit source d'optimisation fiscale car les entrepreneurs individuels ont le choix d'opter pour l'impôt sur les sociétés. Selon cet auteur, l'innovation réside dans la cession de patrimoine qui ouvre des « perspectives propices en matière de transmission d'entreprises »490(*). L'article L 526-17 III du Code de commerce prévoit enfin la faculté pour certains créanciers de former opposition. Ainsi, les créanciers professionnels de l'entrepreneur individuel dont la créance est antérieure à la date de la publicité exigée en cas de transfert peuvent faire opposition dans tous les cas. Les créanciers auxquels la déclaration est inopposable et dont les droits sont nés antérieurement au dépôt de la déclaration d'affectation peuvent également former opposition à la transmission du patrimoine affecté. Cela signifie que les créanciers personnels sont privés du droit de former opposition. Le juge a plusieurs alternatives : il peut rejeter l'opposition, ordonner la constitution de garanties ou le remboursement des créances. En cas de non-respect des règles, la transmission du patrimoine affecté est inopposable aux créanciers dont l'opposition a été admise. * 483 Th. REVET, « « Rapport introductif au dossier « L'EIRL : la nouvelle donne pour l'entrepreneur », Dr. et pat. avril 2011, n°202 p.44, ibid. * 484 Article L 526-15 du Code civil. * 485 D. HOUTCIEFF, « Entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) », Répertoire de droit commercial, Dalloz, janvier 2012. * 486 Article L 526-17, II. Code de commerce. * 487 D. LEGEAIS, « Le gage des créanciers dans l'EIRL », préc. * 488 M-H MONSERIE-BON, « Brèves réflexions sur les contrats et l'EIRL », Bull. Joly ED, 1er mars 2011 n° 1, p.65 * 489 J-F BARBIERI, « EIRL, un statut opportun pour l'entrepreneur et ses partenaires ? », BJS, 1er mars 2011 n° 3, p.227. * 490 F-X LUCAS, « Quel régime pour l'EIRL en difficulté ? », BJS, 1er janvier 2011 n° 1, p.1. |
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