L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
§2- Les sûretés constituées postérieurement à la déclaration d'affectationIl convient dans un premier temps de se demander si l'entrepreneur individuel peut s'obliger au titre de son patrimoine affecté et accorder au créancier une sûreté sur son patrimoine personnel. Cette hypothèse nous invite à analyser la validité des auto-garanties en droit français (A). Dans un second temps, il convient de se demander si l'entrepreneur peut accorder un cautionnement sur son patrimoine personnel pour garantir les dettes de son patrimoine professionnel. La validité de l'auto-cautionnement fait l'objet de vives controverses doctrinales (B). A- La validité des auto-garanties ?Lorsque les sûretés sont constituées postérieurement à la déclaration d'affectation de l'entrepreneur individuel, les créanciers sont censés connaître la division de son patrimoine par les mesures de publicité. Ils subissent alors la division du patrimoine de l'entrepreneur individuel en connaissance de cause. L'entrepreneur individuel peut ainsi s'obliger au titre de son patrimoine affecté et accorder au créancier une sûreté réelle sur des biens relevant de son patrimoine affecté. Il n'y a guère de difficulté puisque la sûreté réelle est homogène459(*). La dette professionnelle est garantie par un bien relevant du patrimoine affecté. Par ailleurs, il existe une alternative originale source de questionnements. L'entrepreneur individuel peut ainsi s'obliger au titre de son patrimoine affecté et accorder au créancier soit une sûreté personnelle sur son patrimoine non affecté, soit une sûreté réelle sur des biens composant son patrimoine non affecté. En d'autres termes, peut-il engager ses biens personnels en garantie de ses dettes professionnelles ? Une telle possibilité légitime le non-respect du cloisonnement des patrimoines et devrait être écartée. Selon les mots d'un auteur, l'entrepreneur pourrait consentir des sûretés « endogènes », à l'intérieur de chacun des patrimoines personnel et professionnel. A contrario, un créancier professionnel ne devrait pas obtenir une sûreté « exogène » permettant d'atteindre les biens du patrimoine personnel460(*). A plus forte raison, « l'interdiction des garanties croisées doit prévaloir car le principe inverse ruinerait la formule EIRL pour la même raison qu'elle a provoqué la désaffection relative à l'EURL »461(*). Selon Christophe Albigès, la finalité d'une telle approche est conforme à l'objectif du législateur qui est d'assurer une séparation parfaite entre les deux patrimoines. Cela confère une priorité au droit de gage général à laquelle il ne pourrait être dérogé par un droit de gage spécial. Il semblait alors primordial de « rendre impossible qu'un entrepreneur individuel puisse consentir une sûreté réelle croisée sur un bien pris dans l'un des deux patrimoines pour conférer un droit de préférence à un créancier de l'autre patrimoine »462(*). La loi du 15 juin 2010 ne s'est en effet pas intéressée à la question. Seul l'article L 526-12 alinéa 5 du Code de commerce dispose que les créanciers ont pour seul gage général le patrimoine affecté ou non affecté. Une interprétation a contrario permettrait de rompre avec le cloisonnement des patrimoines. Il convient alors d'admettre avec réserve la constitution de sûretés spéciales sur l'autre patrimoine. L'article L 313-21 du Code monétaire et financier admet expressément cette éventualité en organisant une certaine protection de l'entrepreneur. Ainsi « à l'occasion de tout concours financier qu'il envisage de consentir à un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité professionnelle, l'établissement de crédit qui a l'intention de demander une sûreté réelle sur un bien non nécessaire à l'exploitation ou une sûreté personnelle consentie par une personne physique doit informer par écrit l'entrepreneur de la possibilité qui lui est offerte de proposer une garantie sur les biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise et indique, compte tenu du montant du concours financier sollicité, le montant de la garantie qu'il souhaite obtenir ». Pour admettre la validité de telles pratiques, OSEO et la SIAGI ont pris l'engagement d'offrir à la banque de l'EIRL une garantie pouvant atteindre 70% des crédits à la condition que le prêteur s'engage à ne retenir que les garanties sur les actifs affectés à l'activité463(*). La sanction du défaut d'information est radicale. En effet, l'établissement de crédit risque la déchéance de son droit de demander paiement de la garantie obtenue en contrepartie du concours financier. Mais il est indéniable que les sociétés de cautionnement mutuel n'accepteront de garantir les dettes du patrimoine affecté de l'entrepreneur individuel qu'à la condition d'obtenir des contre-garanties sur le patrimoine non affecté464(*). Le droit de gage général prévu à l'article L 526-12 du Code de commerce n'est finalement pas un obstacle à la conclusion d'une sûreté réelle, au nom de la liberté contractuelle. De ce fait, l'entrepreneur individuel peut librement affecter n'importe lequel de ses biens à la garantie de n'importe laquelle de ses dettes, comme il pourrait le faire afin de garantir la dette d'autrui. Il convient dès lors d'admettre la validité des auto-garanties, afin de satisfaire le besoin de crédit de l'EIRL465(*). Par conséquent, la séparation des patrimoines s'avère inefficace, car les créanciers bénéficient d'un droit de gage spécial. Selon un auteur, lorsqu'une sûreté réelle est conclue, les créanciers ne subissent pas la division du patrimoine. Le désir de protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel s'évapore466(*). * 459 F. MACORIG-VENIER, « Observations sur l'EIRL et les sûretés », BJS, 1er mars 2011, p.253, n° 3, préc. * 460 E. DUBUISSON, « Projet de loi relatif à l'EIRL, - Comprendre la technique et les enjeux », JCP N 2010, n°8, p.1115. * 461 C. CHAMPAUD et D. DANET, « Petites et moyennes sociétés et entrepreneurs à responsabilité limitée au regard des besoins de financement et des pratiques bancaires », RTD com. 2010, p.365. * 462 Ch. ALBIGES, « Sûretés et EIRL : Les sûretés réelles portant sur un bien déterminé », CDE, n°3, mai-juin 2011, ibid. * 463S. SCHILLER, « L'EIRL et les créanciers », in Dossier L'EIRL ; la nouvelle donne pour l'entrepreneur », Dr. et pat. 2011, n°202 ; Réponse ministérielle n° 80164, JOAN Q 19/10/2010, p.11390. * 464 S. SCHILLER, « Quelle perméabilité contractuelle entre le patrimoine affecté et le patrimoine non affecté ? », in Le patrimoine professionnel d'affectation : Dr. et pat. avril 2010, n° 191, p. 88-89. * 465 F. PEROCHON, « EIRL : un patrimoine peut en garantir un autre. - La validité des sûretés constituées au titre d'un patrimoine de l'EIRL en garantie des dettes de l'autre patrimoine », Rev. proc. coll. n° 2, Mars 2011, dossier 25. * 466 Ch. ALBIGES, « Sûretés et EIRL : Les sûretés réelles portant sur un bien déterminé », CDE, n°3, mai-juin 2011, ibid. |
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