L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
B- La limitation des pouvoirs du fiduciaireLe fiduciaire est le personnage central de l'opération fiduciaire. Son statut est strictement encadré puisque l'article 2015 du Code civil dresse une liste limitative des personnes pouvant jouir de la qualité de fiduciaire. La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, en vigueur à compter du 1er février 2009, vient ajouter à cette liste les membres de la profession d'avocat. Certaines incompatibilités viennent encadrer la fonction du fiduciaire. Il est nécessaire de vérifier que cette personne n'a pas subi de condamnation pénale qui sèmerait le doute sur sa capacité de gestion des biens d'autrui. Le refus d'ouvrir la fonction de fiduciaire à toute personne est louable car la gestion pour le compte d'autrui est moins répandue que dans les pays anglo-saxons. Il se justifie par le souci d'encadrer la fiducie afin qu'elle ne soit pas utilisée à des fins de blanchiment de capitaux. L'existence d'une définition de la propriété ne fait pas l'unanimité en doctrine. Les tenants de la conception classique du droit de propriété font valoir que trois attributs sont nécessaires pour le définir : l'usus, le fructus et l'abusus. De plus, la propriété se définit par des caractères qui lui sont propres : l'absolutisme, l'exclusivisme et la perpétuité99(*). En revanche, les tenants de la conception objective du droit de propriété se fondent sur l'idée d'une relation d'appartenance exclusive. Ils rejoignent ainsi l'école de Bartole dont le rôle dans la définition de la propriété est important. La propriété est « le droit de disposer complètement de la chose sans autre contrainte que ce que prohibe de faire la loi »100(*). La propriété est considérée comme le droit réel le plus complet que l'on puisse exercer sur une chose. Elle se manifeste par l'exclusivité qu'elle confère à son titulaire et par sa vocation à la perpétuité. Le propriétaire est la personne qui a la maîtrise de sa chose car elle lui appartient en propre, il peut en user, en retirer les fruits et en disposer à sa guise. Le droit de disposer des choses ou abusus est ainsi « l'expression la plus complète de son pouvoir » inconnue des autres droits réels. La propriété fiduciaire paraît bien étrangère à la définition classique de la propriété qui confère à son titulaire la faculté de tirer profit de toutes les utilités de son bien. Dans maintes hypothèses, le fiduciaire semble limité dans l'exercice de ses prérogatives. A priori, il détient l'usus, le fructus et l'abusus attachés à la propriété fiduciaire or la lettre du Code civil contredit cette affirmation. Les dispositions relatives à la fiducie ne confèrent pas au fiduciaire une propriété ordinaire. La propriété fiduciaire est donc une propriété sui generis, étrangère à la philosophie de l'article 544 du Code civil. Un auteur évoque alors à juste titre « l'esprit inversé de la propriété fiduciaire »101(*). Tout d'abord, le contrat de fiducie détermine à peine de nullité l'étendue des pouvoirs d'administration et de disposition du fiduciaire102(*). Ce dernier doit agir dans le cadre d'une mission déterminée. Par ailleurs, le constituant peut conserver l'usage ou la jouissance d'un fonds de commerce ou d'un immeuble à usage professionnel transféré dans le patrimoine fiduciaire en vertu de l'article 2018-1 du Code civil. Dès lors, comment affirmer que la fiducie est réellement un contrat translatif de propriété ? Cette disposition induit l'existence d'un démembrement de propriété qui est une atteinte aux droits du fiduciaire a priori maître des biens du patrimoine fiduciaire. Le fiduciaire joue le rôle d'un propriétaire apparent et demeure sous le joug du constituant, il a les pieds et poings liés. Le Code civil se montre particulièrement hostile à l'idée même de propriété fiduciaire. En effet, l'article 2023 du code vient limiter les pouvoirs du fiduciaire sur le patrimoine affecté concernant son opposabilité aux tiers. « Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs ». La théorie de l'apparence apparaît clairement sous couvert de cette disposition. Les tiers peuvent avoir un rôle déterminant dans l'étendue des pouvoirs du fiduciaire, bien qu'ils ne soient pas partie au contrat de fiducie. En matière de fiducie-sûreté, de telles limitations existent également. Les articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil induisent une propriété conditionnée du fiduciaire-créancier. En effet, le fiduciaire acquiert la libre disposition du bien ou du droit cédé à titre de garantie mais seulement à défaut de paiement de la dette garantie et sauf stipulation contraire du contrat de fiducie. Cela signifie a contrario que le fiduciaire n'est pas propriétaire des biens pendant la durée du contrat de fiducie. De même le futur alinéa 2 de l'article 2011 du Code civil disposerait que « le fiduciaire exerce la propriété fiduciaire selon les stipulations du contrat de fiducie », ce qui atteste l'idée d'une « propriété imparfaite »103(*). Doit-on alors réécrire l'article 544 du Code civil ? En matière de fiducie-gestion, le fiduciaire peut être déclaré propriétaire des biens qui composent le patrimoine fiduciaire. Pour cela, le constituant doit accorder sa confiance à son homologue et lui laisser gérer les biens en toute quiétude. Un rapport contractuel de soumission s'installe entre les deux parties. Cela s'explique par le fait que le constituant décide personnellement d'affecter ses biens dans un patrimoine fiduciaire, il en fixe même le contenu. Dans la plupart des cas, le fiduciaire doit accepter de voir ses prérogatives limitées, ce qui atteste l'idée d'une servitude pour cause d'utilité privée. Le fiduciaire partage en réalité la maîtrise de la chose avec le constituant pendant l'exécution du contrat de fiducie. Cette limitation des prérogatives du fiduciaire est de l'essence même de la fiducie104(*), elle est consentie. Il n'est pas propriétaire en son nom propre mais dans l'intérêt d'autrui. Certains auteurs partagent cette vision des choses. La propriété fiduciaire ne serait qu'une forme de propriété pour le compte d'autrui105(*). * 99 J-L BERGEL, M. BRUSCHI, S. CIMAMONTI, « Traité de droit civil. Les biens », 2ème édition, LGDJ, 2010, p.88 et s. F. TERRE, Ph. SIMLER, « Droit civil. Les biens », 8ème édition, Dalloz, 2010, p. 92 et s. * 100 F. ZENATI, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ 1993 p. 305. * 101B. MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », in Mélanges Liber amicorum Christian Larroumet, Economica, 2010, p.304. * 102 Article 2018 6° du Code civil. * 103 S. RAVENNE, « Les propriétés imparfaites, contribution à la théorie de la structure du droit de propriété », thèse Paris-Dauphine, 2007. * 104 L'article 2011 du Code civil précise ainsi que les fiduciaires agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. * 105 L. KACZMAREK, « Propriété fiduciaire et droits des intervenants à l'opération », D. 2009 p. 1845. Selon cet auteur, « tout est fait pour que le fiduciaire soit investi d'une apparence de propriété ... la fiducie introduit l'idée, assez révolutionnaire, de la propriété dans l'intérêt d'un tiers » ; F. DANOS, « Propriété, possession et opposabilité », Economica, Recherches juridiques, 2007, p.52-53 : « La propriété fiduciaire apparaît comme une propriété d'attente ou de transition, une pure propriété nominale, au titre de laquelle le fiduciaire ne dispose quasiment d'aucune des prérogatives dont peut se prévaloir un propriétaire traditionnel. Même qualifiée de propriété, la fiducie, au regard de la conception de la propriété en droit français apparaît en réalité plus comme un droit réel finalisé sur la chose d'autrui que comme un véritable droit de propriété ». |
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