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Impact du réchauffement climatique sur la distribution spatiale des ressources halieutiques le long du littoral français: observations et scénarios

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par Sylvain Lenoir
Université Lille 1 Science - Doctorat 2011
  

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1.3. Propagation du réchauffement climatique le long du réseau trophique

L'hypothèse d'un effet « junk-food » (Wanless et al., 2005 ; Österblom et al., 2008) est un concept régulièrement utilisé pour expliquer les déclins observés de populations d'organismes du milieu marin, lors de la survenue de profonds changements dans la qualité de leurs ressources alimentaires (Harris & Wanless, 1997 ; Romano et al., 2006 ; Österblom et al., 2008). En cas d'indisponibilité de proies de bonne qualité, les espèces sont dans l'obligation soit, d'augmenter leurs efforts et leurs dépenses d'énergie à la recherche de nourriture, soit d'utiliser une ou plusieurs ressources disponibles, de qualité pas forcément équivalente (Whitfield, 2008). La restructuration de l'écosystème peut être causée par des changements biogéographiques et phénologiques, induits par le climat (Weijerman et al., 2005 ; Alheit, 2007). En mer du Nord, l'impact du changement de régime des années 1980 s'est répercuté et amplifié le long du réseau trophique, des producteurs primaires, en passant par les consommateurs supérieurs, impactant même les détritivores (Reid, 2005 ; Kirby & Beaugrand, 2009). Ces changements ont contribué par exemple à la diminution du taux de survie des larves de morue de l'Atlantique, expliquant en partie l'importante chute de la biomasse des reproducteurs observée en mer du Nord (Beaugrand et al., 2003). Dans le Pacifique Nord, entre l'Alaska et la Russie, les otaries de Steller (Eumetopias jubatus Schreber, 1776) ont du faire face à un changement dans la disponibilité et la diversité de leurs proies, modulé par la variabilité climatique (Francis et al., 1998 ; Lehodey et al., 2006). Elles ont pu changer leur régime alimentaire composé habituellement de harengs et de lançons pour un régime basé sur le lieu et la goberge, beaucoup plus faibles en qualité énergétique, mais en abondance bien supérieure (Rosen & Trites, 2000). La plasticité du régime et le comportement alimentaire des espèces vont conditionner leur résilience à cet effet « junk-food » (Grémillet et al., 2008 ; Österblom et al., 2008).

Durant ces 40 dernières années, les oiseaux marins de la mer du Nord ont connu des chutes dans leur succès de reproduction. Cette chute est en partie reliée à un changement de dominance des proies (Frederiksen et al., 2005 ; Wanless et al., .2005). Le lançon nordique et le sprat européen, espèces consommées préférentiellement par les oiseaux, tels que le guillemot de Troïl (Uria aalge, P) ou la mouette tridactyle (Rissa tridactyla, L) en mer du Nord, ont connu depuis 2004 d'importantes variations de leur abondance ou de leur qualité énergétique individuelle (Wanless et al., 2005, 2007). En parallèle, l'entélure, espèce à la valeur énergétique très faible (Harris et al., 2007, 2008), a vu sa population augmenter (Kirby et al., 2006 ; Fleischer et al., 2007 ; van Damme & Couperus, 2008) et est, donc, de plus en plus observé dans les captures des oiseaux. Les mouettes tridactyles, appartenant à de nombreuses colonies d'Angleterre et d'Écosse, qui ont nourri leurs poussins avec l'entélure ont connu un succès reproducteur très faible en 2005 et 2006 (Mavor et al., 2006, 2008 ; Harris et al., 2007, 2008). De nombreux poussins nourris avec de l'entélure ont été retrouvés morts au nid, soit étouffés par une proie qu'ils ont été incapables de gober dans son intégralité, soit de malnutrition n'ayant pas d'autres proies proposées par les adultes.

Au cours de cette thèse, le nouveau modèle NPPEN a été utilisé pour évaluer si des changements biogéographiques des espèces communément consommées par les oiseaux marins, pouvaient expliquer le patron de disponibilité des proies observé en mer du Nord. Les résultats montrent qu'effectivement, la mer du Nord en se réchauffant ne peut plus répondre aux exigences de la niche écologique du lançon nordique, centrée autour de 8 et 12°C (Figs. IV.2a,b et IV.3a). Il en résulte une chute de l'abondance du lançon nordique. En parallèle, est observée une augmentation de la présence du sprat européen et de l'entélure, aux niches thermiques centrées entre 8 et 15°C (Figs. IV.1, IV.2a,b et IV.3a). Ces changements ont pu être retrouvés par modélisation grâce au NPPEN. Le modèle montre une chute de la probabilité de présence moyenne du lançon nordique en mer du Nord, de 0,7 à 0,5 entre 1995 et 2006. Durant la même période, les probabilités de présence moyennes de l'entélure et du sprat européen sont passées de 0,5 à 0,8 (Fig. IV.2).

Si le réchauffement de la mer du Nord se poursuit, la température va progressivement sortir des limites du préférendum thermique du lançon nordique (13°C). L'abondance de ce poisson en mer du Nord, selon les prédictions effectuées par le modèle NPPEN, risque de poursuivre sa chute (Fig. IV.3b), conduisant à une disparition du lançon nordique des eaux de la mer du Nord (Fig. IV.2a). L'alternative « sprat européen » pourra rester valable jusqu'au milieu du siècle, à condition que les individus retrouvent une valeur énergétique suffisante (Fig. IV.3b). L'arrivée d'espèces comme l'anchois et la sardine européens, par la façade Atlantique, pourrait constituer une ressource de substitution, si la plasticité du régime alimentaire des oiseaux le permet (Grémillet et al., 2008). Dans le Pacifique, les Guillemots de Troïl ont trouvé une alternative à la raréfaction, induite par l'augmentation des températures durant l'évènement El-Niño de 1992-1993, de leurs proies habituelles représentées par plusieurs espèces du genre Sebastes (Sebastes spp), en se nourrissant d'anchois californiens (Oedekoven et al., 2001). En revanche, la possibilité qu'auront la sardine et l'anchois européens à s'établir en mer du Nord est très faible (Fig. IV.2 et IV.3). En effet, leurs préférendums thermiques sont centrés autour de 18 et 20°C (Fig. IV.1c et d), ces températures ne seront pas atteintes en mer du Nord durant ce siècle. L'éventualité d'un déplacement des populations d'oiseaux vers le nord, pour suivre la ressource, et donc de rester dans un environnement favorable, fait l'objet de recherches (Peterson et al., 2002 ; Huntley et al., 2008 ; Gregory et al., 2009). Cette possibilité semble être fonction de la vitesse de réaction des oiseaux marins aux changements induits par le climat sur leurs habitats habituels (Devictor et al., 2008).

L'application du modèle d'habitat NPPEN sur les proies des oiseaux marins permet de visualiser les changements possibles dans la biogéographie d'espèces de niveaux trophiques différents et les désynchronisations de ces changements entre proies et prédateurs. Nos projections dépendent de l'intensité du réchauffement. Un réchauffement plus fort du type A1FI ("Fossil Intensive" ; IPCC, 2007b) pourra conduire à des altérations plus fortes et surprenantes de la trophodynamique de l'écosystème de la mer du Nord. À l'avenir les modèles d'habitat pourront permettre de comprendre et prévoir ces changements ainsi que leurs conséquences sur l'écosystème marin. Le cas de la morue de l'Atlantique, espèce à fort intérêt commercial, évoqué auparavant, est un exemple qui montre l'importance d'outils capables de prédire les conséquences des changements biogéographiques qui ont lieu au sein de l'écosystème marin pour les professionnels de la pêche.

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