CHAPITRE II : ARGUMENTS HOSTILES A LA GPA
A. L'ARGUMENT JURIDIQUE MAJEUR
Le maintien de la prohibition de la gestation pour autrui est
inscrit à l'article 16 et suivant du Code civil depuis la loi de
bioéthique de 1994, constitue une spécificité du droit
français. L'indisponibilité du corps humain est le fait qu'une
personne n'est pas propriétaire de son corps, et que nul autre ne l'est,
ce principe juridique est lié à la dignité de la personne
humaine.
L'article 16 fait une distinction entre la personne et
l'être humain, puisqu'il garanti la dignité de la personne, et le
respect de l'être humain. Puis, l'article 16-1 du Code Civil semble, au
niveau terminologique, rapprocher l'être humain du corps humain,
puisqu'on leur rattache le terme de « respect ». Par ailleurs,
l'article 16-1 introduit la notion d'inviolabilité du corps,
c'est-à-dire que l'être humain est en principe
protégé contre les atteintes à son corps par le droit
civil et le droit pénal, et la notion d'extra patrimonialité,
c'est-à-dire que le corps humain est en dehors du patrimoine, incessible
et intransmissible.
On ne peut utiliser le corps humain à des fins
purement techniques et un enfant n'est pas un objet qui pourrait faire partie
du commerce juridique. C'est l'argument du Conseil d'Etat qui dénonce
cette marchandisation de l'être humain. L'argument semble assez imparable
car si on accepte la GPA, alors on accepte que l'être humaine entre dans
le commerce juridique et on accepte alors la vente d'êtres
humains. On peut reprendre ainsi les termes de Kant : « les
choses ont un prix, la personne une dignité ».
La route serait ouverte à de nouvelles formes
d'esclavage. La femme entrerait dans une sorte de « cheptellisation
», l'enfant serait considéré comme un « bien
».
B. SUR LE PLAN MEDICAL ET PSYCHOLOGIQUE
On ne peut exclure les risques inhérents à toute
grossesse, fausse couche, grossesse extra-utérine, de césarienne,
de complications liées au risque d'anesthésie à l'issue
d'une césarienne, au diabète, à l'hypertension
artérielle, à l'hystérectomie, voire à une
hémorragie de la délivrance entraînant le
décès. De plus la gestatrice devra subir avant la conception, des
traitements hormonaux pour préparer sa matrice à recevoir
l'embryon. Ces traitements ne sont pas sans incidence sur sa santé.
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Quant aux risques psychiques, ils sont bien présents
pour la mère porteuse particulièrement au moment de la naissance
de l'enfant lorsque celui-ci lui est enlevé. Il est indéniable
que les liens qui se sont tissées entre la mère et l'enfant, les
fantasmes et les projections de la mère gestatrice qui a porté et
nourri un foetus pendant neuf mois et a eu avec lui des échanges
variés, tant physiologiques que psychologiques ne peuvent
s'évanouir comme par magie. Donc pour amoindrir ces complications, il
faudrait que la mère porteuse se persuade que l'enfant qu'elle porte en
son sein n'est pas le sien. L'un des principaux dangers de cette dissociation
du somatique et du psychique est un avortement provoqué.
Une étude86 permet d'affirmer que les
cellules foetales restent présentes dans le sang maternel au moins vingt
sept ans après la naissance. Chaque grossesse laisse dans le corps de la
mère le patrimoine génétique de l'enfant qu'elle a mis au
monde. Ce qui prouve que la femme n'est pas un « sac ».
Dans l'hypothèse de légalisation le contrat
entre parents commanditaires et gestatrice, seront stipulées des clauses
où la mère porteuse devra s'abstenir de tout comportement de
nature à mettre en danger la vie de l'enfant ou sa santé.
Risquera-t-elle de voir sa responsabilité engagée si elle
contracte une maladie, si elle exerce une activité sportive ou adopte un
comportement potentiellement dangereux pour l'enfant, par exemple boire de
l'alcool, fumer etc. Ce sont des illustrations des nombreux problèmes
que peut faire naître la gestation pour autrui et de l'asservissement
auquel se trouve réduit celle qui porte un enfant pour le compte d'une
autre. Les termes probablement imparfaits en matière d'information sur
le déroulement imprévisible de la grossesse et par la perspective
attractive de rémunération sont des arguments qui renforcent
l'hypothèse que le consentement de la gestatrice serait probablement
feinté.
L'argumentaire se fonde sur l'idée que le consentement
de la gestatrice est affaibli dès lors que la liberté de choisir
la GPA ou d'y renoncer est freinée par un besoin matériel vital.
Le risque d'exploitation des femmes les plus vulnérables, les plus
démunies est évident.
86 Myriam Szejer, pédopsychiatre et
psychanalyste à la maternité Antoine-Béclère.
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Il faut réfléchir également aux
conséquences de la GPA sur la famille de la mère porteuse.
Comment vont réagir ses propres enfants ? Comment pourront-ils concevoir
que leur mère donne « leur petit frère ou petite soeur
» à une autre famille.
Comment leur expliquer que leur père n'est pas le
père de l'enfant, et que leur mère n'est pas la mère. Mais
cet enfant c'est son enfant ? Et nous, nous sommes aussi ses enfants, va-t-elle
nous donner ? Des tourments apparaîtront dans la tête de la fratrie
et auront obligatoirement des conséquences sur leur développement
mental. Les risques psychologiques se retrouvent à toutes les
étapes de la GPA pour la gestatrice et pour ses proches.
Il est intéressant de se poser la question qui
seront les mères porteuses, des femmes sans emploi à faibles
revenus ou de riches rentières nageant dans le bonheur ?
Souvent les partisans pour la GPA associent cette pratique au
don d'organe entre vivants. Dans le cas des greffes, les risques pris pour le
donneur le sont au nom d'une nécessité impérative pour le
receveur. Dans le cas de la gestation pour autrui, la balance entre les risques
pris par le donneur et les bénéfices escomptés pour le
receveur pose davantage de questions.
On peut constater que les arguments changent en fonction des
besoins. Lors de la mise en place de l'AMP avec le don de gamètes, les
arguments utilisés se fondaient sur le lien affectif et gestationnel,
à valoriser par rapport au lien génétique. On peut donc se
demander comment l'argument inverse peut dès lors être soutenu.
L'argument privilégié étant cette fois le lien
génétique (on utilise les gamètes des futurs parents et on
minimise le lien entre foetus et la mère porteuse), comment ne pas
s'interroger sur ces arguments qui changent au gré des besoins
simplement parce que les gamètes sont devenus accessibles. La
fréquence toujours plus élevée de l'utilisation de
l'ICSI87 dans la pratique de l'AMP va également dans ce sens,
malgré les risques inhérents également à cette
pratique88.
87 injection intra-cytoplasmique de
spermatozoïde
88 René Frydman, la Rehcerche, n°420 p56
juin 2008
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L'enfant ne doit pas être oublié, d'abord
dès sa vie intra-utérine, on a vu les impacts sur la mère
porteuse, il est important de rappeler les sensations du foetus. Le foetus a
pendant longtemps été considéré comme un être
dénué de capacités perceptives. Les progrès de la
science ont permis d'observer intra-utéro le comportement du
bébé. Il perçoit tous les stimuli sensoriels dans son
environnement. Les sonorités comme, les battements cardiaques et
placentaires, les rythmes respiratoires, la voix maternelle et autres bruits
comme les borborygmes intestinaux.
Il est aussi sensible aux impacts émotionnels de la
mère, le langage, les chants. Ainsi le bébé à la
naissance est attiré par la voix de sa mère. Au-delà des
rythmes langagiers et musicaux, le bébé a mémorisé
in utéro ceux de la marche, de la respiration de sa mère. Toutes
ces sonorités perçues à l'intérieur du corps de sa
mère lui permettront à sa venue au monde une transition plus
aisée. Le descriptif de sa perception intra-utérine est loin
d'être exhaustive.
Les enfants ne sont pas exemptés des dangers de la GPA,
peuvent survenir des problèmes de prématurité, un placenta
prævia89, un faible poids voire même très faible
poids (moins de 1800 g), un cordon mal placé entraînant une
anoxie90, ou d'autres pathologies survenant à la naissance ou
après la naissance (pathologies neurologiques).
Il est incontestable que de sa vie intra-utérine
découlera ses traits de caractères et son comportement, cette
influence se ressentira également dans son développement
psychosocial. Comment pourra-t-il intégrer qu'il a été
conçu pour être abandonné. Le conflit rencontré par
un adolescent conçu par GPA risque d'être d'autant plus violent
que l'enfant ne pourra pas, contrairement aux enfants abandonnés,
considérer que la femme qui l'a porté l'a remis à ses
parents intentionnels par amour91.
Les partisans de la GPA insistent sur le fait que la
gestatrice ne « traite » pas sa grossesse pour autrui comme elle
« traitée » ses propres grossesses. Donc on peut en
déduire qu'elle est dans le déni de grossesse, ce qui aura des
conséquences graves sur le foetus.
89 Le placenta praevia est une localisation
anormale du placenta qui peut être responsable d'hémorragies
sévères
90 souffrance cellulaire induite par le manque
d'oxygène ou l'impossibilité pour les cellules d'utiliser
l'oxygène présent dans le sang
91 Marcel Ruffo, pédopsychiatre, chef de
service de l'unité d'adolescents CHU Ste-Marguerite Marseille
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Il faut se soucier également des défections, que
devient cet enfant, ce n'est pas un cadre juridique qui empêchera des
« pseudo-parents » à se débarrasser de l'enfant. Des
cas très médiatisés aux Etats-Unis de parents d'intention
qui ne souhaitaient plus accueillir l'enfant pour diverses raisons, soit en cas
de handicap de l'enfant à la naissance, cas de divorces etc.
On invoque souvent l'égalité de traitement, de
quel traitement s'agit-il ? Celui de mettre de corps d'une femme à
disposition d'un couple infertile. L'acte même de changer une femme en un
outil vivant est contraire à sa dignité et à celle de
l'enfant. Même si on la regarde comme une « gestatrice
agréée » sera-t-elle pour autant un remède à
la stérilité ?
Rappelée par les partisans de l'autorisation de la GPA,
l'égalité de traitement fonde également un argument
d'opposition à la GPA. En faisant valoir qu'il y a discrimination
dès lors qu'une caractéristique contingente d'un groupe de
personnes « la capacité reproductive des gestatrices est
transformé en objet pour le bénéfice d'autrui ». Il y
a alors discrimination et rupture d'égalité de traitement dans le
fait d'autoriser la GPA, car cela revient à définir la
fécondité des gestatrices comme un outil au service de
l'accès des couples infertiles à la parentalité, ces
couples devenant à même d'exercer un pouvoir sur le corps des
gestatrices92.
L'égalité de traitement, est mobilisée en
deuxième temps en cas d'autorisation de la GPA, pour la qualification
des personnes susceptibles d'en bénéficier. La restriction de la
GPA aux seuls couples hétérosexuels en âge de
procréer dont la femme souffrirait d'infertilité utérine
serait la même à laquelle est soumis aujourd'hui l'accès
à l'Assistance Médicale à la Procréation. Cette
restriction maintiendrait un certain nombre de candidats à la gestation
pour autrui dans la clandestinité qui seraient confrontés aux
mêmes problèmes qu'aujourd'hui en termes d'établissement de
la filiation et seraient de surcroît vulnérable aux objections de
rupture de l'égalité de traitement.93On sait que des
groupes d'homosexuels et des célibataires réclament
déjà l'accès à la gestation pour autrui.
92 Debra Staz « markets in women's
reproductive «laborphilosophy and public affairs», 1992, 21(2),
107-131 P.124
93 Françoise Héritier « la
filiation, état social » Le Monde du 18 avril 2009
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