CHAPITRE IX : LES EGLISES COMMEMORATIVES : DES NOUVEAUX
REPERES ET SYMBOLES
Certains lieux, dans la tradition ancienne des Malagasy
étaient sacrés. A ces endroits se liaient toujours des
interdits3. Ces lieux, étant donné leur
sacralité ; étaient toujours associés aux
divinités. Des endroits où, en Imerina, les Malagasy
entraient en relation avec les numineux4. Les sanctuaires ou
Doany étaient et continuent de nos jours à exister ; en
sont les preuves concrètes. Même à l'intérieur d'une
maison malagasy, le coin Nord-est, est réservé exclusivement aux
Dieux de la maison5. Aussi, des rites se déroulaient sur ces
lieux sacrés afin de les honorer et demander leur
bénédiction. Il y avait par exemple, des festivités
spéciales lors de la période des semailles mais également
de la moisson6. Les tombeaux ; les pierres et colonnes,
Tsangambato et d'autres endroits figuraient également dans les
lieux sacrés respectés des Malagasy.
Les douze collines7 représentaient
également des lieux sacrés aussi bien pour le souverain que pour
le peuple, durant les différentes monarchies de l'Imerina.
Instaurées depuis le début de la royauté,
1 Fiangonana Tranovato Ambatonakanga ; ny Tantarany nandritra
ny 110 taona 1977
2 Annale de l'Université de Madagascar,
série Sciences Humaines n° 11 1970 RAISON-JOURDE (F.)
3 Taboo, RUUD (J.), Etudes des coutumes et croyances
Malagasy Imprimerie Luthérienne 1970 : Il faudrait bien choisir
l'emplacement idéal, le moment propice (consultation d'astrologues et
devins) avant de construire une maison. D'après RATSIMIEBO (H.), dans
l'ouvrage La cité des Mille, toutes constructions d'habitations
étaient ; dans les temps anciens toujours liées aux destins
zodiacaux.
4 La conception malgache du monde du surnaturel et de l'Homme
en Imerina, MOLET (L.) Tome I, édition l'HarmattanParis
5 Fireham-pinoan'ny Ntaolo Malagasy
traduction de Les conceptions religieuses des anciens
Malagasy VIG (L.). Edition Ambozontany- Analamahitsy ; Karthala, 22-24
boulevard Arago 75013 Paris
6 VIG (L.) : cf. chapitre sur Toerana Masin'ny Malagasy
(lieux sacrés des Malagasy)
7 D'Andrimasinavalona (1675-1710) au règne de Ranavalona
III, les douze (12) collines sacrées furent Analamanga (Antananarivo),
Ambohidrabiby, Alasora, Imerimanjaka, Antongona, Antsahadinta, Ambohimanga,
Ilafy, NamehanaAmbohidratrimo, Amboantany, Ambohijoky et Ikaloy. Après
avoir restauré l'unité merina, Andrianampoinimerina (1787- 1810)
décida de consacrer les collines où résidaient ses douze
épouses : Ambohimanga, Analamanga (Antananarivo), Ambohidratrimo, Ilafy,
Ikaloy, Ivohilena, Merimandroso, Alasora, Miadamanjaka, Ampandrana,
Ambohidratrimo et Ambohitrontsy. D'autres ouvrages affirment l'existence
d'autres collines consacrées par les souverains qui se
succédaient à la tête du royaume merina. Par la suite,
Rasoherinamanjaka consacra Iharanandriana, Ranavalona II, Isoavinimerina et
Arivonimamo, et Ranavalona III, Fenoarivo.
sur chacune d'elles se déroulaient des cultes en
l'honneur des sampy, les dieux en ces temps. Sur ces sommets se
trouvent des tombeaux de Vazimba ; des palais mais aussi les caveaux
des rois et reines : les Trano Masina. Les sampy, dieux
visibles et protecteurs de la cité s'y trouvaient
également1. Les collines dites sacrées étaient
des références pour tous. Mais avec l'arrivée des
missionnaires européens, dans l'intention d'une
évangélisation, de grands changements faisaient ses apparitions.
Avec la conversion massive et l'implantation des foyers de culte, surtout les
temples commémoratifs des Britannique, de nouveaux repères et
références apparaissaient dans la capitale.
IX-1 DES REFERENCES TEMPORELLES ET SPATIALES FACE AUX DOUZE
COLLINES DITES SACREES
Edifiés sur des sites dont Ellis, initiateur des
projets de construction, n'avait pas choisi au hasard. Les quatre temples
commémoratifs constituaient de nouveaux repères et
références aussi bien dans l'espace que dans le temps. Par les
faits Historiques importants qui s'y étaient produits, ces lieux ont
gagné le rang d'endroits sacrés aux yeux des chrétiens
Malagasy, face aux douze collines dites sacrées et
vénérées par les païens. A coté des collines
sacrées de l'Imerina, les temples commémoratifs
constituaient également des lieux sacrés pour les
chrétiens2. Ces sites gagnaient de nouveaux statuts. En
effet, certains étaient considérés depuis toujours tels
des lieux maudits et malfamés3. Faravohitra et Ambohipotsy en
étaient. On y abandonna aux chiens et aux oiseaux le corps d'un
condamné. Ambohipotsy était le lieu où l'on jetait toute
impureté car c'est le côté Sud (les objets d'un mort :
oreillers-nattes...)4. La colline blanche était
également soupçonnée d'être un lieu hanté.
Les quatre sites, monuments en pierre, devenaient des endroits sacrés
sur lesquels des cultes se déroulaient en l'honneur du « dieu de
l'occident » adopté par la population locale devenue pour la
plupart des chrétiens. Aussi, les sites désolés et
malfamés abritaient depuis, des temples commémoratifs, d'immenses
lieux de cultes totalement étrangers à la population5.
Face aux collines sacrées de la capitale, les quatre temples
commémoratifs contribuaient à faire de l'Imerina le lieu
de l'enracinement chrétien6. Ces temples,
édifiés sur les sites de martyrs constituaient, en ces temps, la
base du nouvel
1 I Madagasikara sy ny Fivavahana kristianina,
édition Karthala- Ambozontany 1993 : Nalamin'Andrianampoinimerina ny
sampy. Nomena lanja teo amin'ny Fanjakana. Miisa 12 ny sampy masina ho an'ny
tany sy ny Fanjakana
2 La fondation des Temples protestante à Tananarive entre
1861- 1869 in Annale de l'université de Madagascar,
série Sciences Humaines n° 11- 1970 RAISON-JOURDE (F.)
3 RAISON-JOURDE (F.) op. Cité
4 AMBOHIPOTSY, RAVEL (H.) 1968-, RAISON-JOURDE (F.)
5 Bible et pouvoir à Madagascar : Construction
Nationale de l'identité chrétienne et modernité, le
premier XIXe siècle RAISON-JOURDE (F.)
Thèse de Doctorat 1988-1989
6 Madagascar et le christianisme HUBSCH
éd. Édition Karthala- Ambozontany 1993
enracinement religieux du royaume devenu chrétien,
depuis la montée au pouvoir de Ranavalona II. Ils constituaient alors
les nouveaux lieux sacrés de culte du royaume. De ce fait, les endroits
sacrés, en l'occurrence le palais (rova) où l'on gardait
les sampy de l'ancienne société perdaient leur valeur.
Aussi, les temples commémoratifs devenaient des références
temporelles incontournables pour la capitale. Ils contribuaient à faire
de ces lieux des emplacements sacrés où se déroulaient des
cultes de vénération d'un nouveau dieu et sont en
perpétuelle continuation de nos jours. Ils commémorent le
sacrifice des martyrs de la foi. En outre, ils témoignent à
travers le temps, la triomphe du christianisme face à une religion
traditionnelle. Ces monuments cultuels avaient pu rester intacts malgré
les années et les intempéries qui avaient traversé le
pays. Ils constituent donc ainsi de nouvelles références
identitaires pour les chrétiens de l'Imerina. Les Memorial
Churches sont des orientations pour la génération future.
Ils font partie des séquences les plus importantes de notre
passé, notre Histoire. Se référant aux
évènements marquant qui se sont déroulés sur ces
sites, les emplacements des temples commémoratifs constituaient
également des lieux sacrés. En effet, face aux endroits
vénérés et adorés des païens (tels les
collines dites sacrées de l'Imerina et autres sites), ces lieux
devenaient sacrés pour ceux qui adoptaient le christianisme. Ces
endroits ont été vénérés depuis, en tant que
lieux sacrés. Ceci du fait des sacrifices des martyrs de la foi. Des
cultes et cérémonies en l'honneur du « dieu » s'y
déroulaient hebdomadairement1.
Construits sur les hauteurs de la capitale, les temples
commémoratifs couvraient bien le panorama de la ville d'Antananarivo.
D'ailleurs, Ellis (W.)2avait remarqué, lorsqu'il les
parcourait que : « combien ces sites étaient des points bien en vue
par rapport à la topographie générale du site de la ville
». Ces sites se préparaient donc à accueillir des
églises. A l'extrême Sud de la colline, le temple d'Ambohipotsy,
est érigé en mémoire de l'évènement du 28
mars 1849. Elle donne une grande ouverture sur tout le coté ouest de la
capitale. Faravohitra, le temple des petits enfants de la Grande Bretagne,
quant à lui, occupe le coté nord de la colline. Ces temples
attirent l'intérêt de tous, chrétiens ou non3.
Ces temples commémoratifs et d'autres édifices cultuels ; au
même titre que le palais avec une carapace en pierre, constituaient de
nouveaux repères et références identitaires dans l'espace.
Les temples commémoratifs constituent de nouvelles
références spatiales pour la capitale. Ces monuments en pierre
aussi bien que
1 Ranavalona II, lors de son Kabary le 29 octobre 1868, avait
sorti une loi. Elle ordonnait qu'en Imerina, les marchés hebdomadaires
qui se tenaient jusqu'alors les dimanches fussent transférés le
lundi ou le samedi. Cf. La conception malgache du monde surnaturel et de
l'Homme en Imerina Tome I, édition l'Harmattan.
2 Fiangonana Tranovato ambonin'Ampamarinana 1874-
20quatre. Ambohipotsy- Faravohitra et Ampamarinana, selon
RAISON-JOURDE (F.) in Construction Nationale de l'identité
chrétienne et modernité, le premier XIXe siècle, sont
effectivement biens situés pour s'imposer à la vue et pour donner
l'ensemble de l'espace par la vue deux points étroitement liés
à la symbolique merina du pouvoir. L'argument de la vue ne s'imposait
nullement à Ambatonakanga.
3 Annales de l'Université de Madagascar,
série Sciences Humaines n°11, 1970 RAISON-JOURDE (F.)
d'autres édifices qui garnissent la haute ville forment
des repères visibles de loin. Ces édifices monumentaux en pierre,
avec des modèles européens font partie des marques distinctives
de la capitale. A travers le temps, ils vont constituer, pour les
générations futures des références et
repères montrant l'enracinement religieux ainsi que la présence
pour les chrétiens de nouveaux lieux sacrés face aux douze
collines sacrées des païens. Ils étaient également,
suivant le projet d'Ellis (W.) érigés en mémoire des
chrétiens qui sacrifiaient leur vie pour la foi.
IX-2 SOUVENIRS DES MARTYRS DE LA FOI DU XIXe SIECLE
Le but ultime de la mission britannique par les idées
fructueuses d'Ellis (W.) avant tout, c'était de rendre hommage aux
personnes qui avaient été condamnées durant les
persécutions sous Ranavalona I1. L'édification des
quatre églises commémoratives avait pour but d'associer à
des lieux de culte la mémoire de ces confesseurs de la foi2.
Aussi, ces édifices cultuels, implantés sur les hauteurs de la
capitale rappellent les évènements et faits marquant de
l'Histoire du christianisme en Imerina mais également pour
Madagascar. L'ardeur et la ténacité de la foi qu'avaient ces
chrétiens se reflètent par ces édifices cultuels en
pierre. Aussi, dans les temps à venir, ces monuments, robustes et
durables vont continuer à témoigner la grandeur de la foi des
Malagasy à un dieu qu'ils n'avaient jamais jusqu'alors, connu. Les
Memorial Churches servaient également à montrer à
tous, le changement ainsi que l'adoption du christianisme comme la religion de
l'Etat.
Une des coutumes malagasy était ici, prise et
utilisée par les missionnaires britanniques. On sait bien les usages de
la pierre dans la civilisation malagasy. Celle-ci a été
utilisée pour marquer des évènements ou bien de personnes.
Avec la même matière, la pierre, les Britannique et les ouvriers
locaux érigeaient des maisons entièrement en pierre
(Tranovato) pour honorer dieu et pour la mémoire des martyrs
Malagasy. Les flèches grises et les cloches de ces
Temples commémoratifs, selon Delahaigue-Peux3 se dressaient
tels des Tsangambato. Visibles de loin, ces monuments permettront aux
générations futures de se situer par rapport au passé
qu'avaient vécu la capitale et ses habitants. Les temples
commémoratifs, le temple du palais et autres édifices de la haute
ville, témoignaient la volonté de changer un culte par un
autre4. Leur construction annonçait l'installation
définitive du christianisme à
1 Sous le règne de Ranavalona I, ELLIS (W.) a
été autorisé à venir à Antananarivo et a pu
parcourir les sites de persécution. Il avait alors remarqué
combien ces points se prêtaient à la construction
d'églises.
2 Madagascar et le Christianisme HUBSCH (B.), éd.
édition Ambozontany/Karthala 1993
3 DELAHAIGUE-PEUX op. Cit. 1996
4 HUBSCH (B.) édition Ambozontany/Karthala 1993 op. Cit.
Cette volonté d'adopter la religion des étrangers, comme
l'affirme RAISON-JOURDE (F.) in Bible et pouvoir à Madagascar,
invention d'une identité chrétienne et construction de
Madagascar, d'un coté et de l'autre, l'abandon des
cultes traditionnels. Mais ces Memorial Churches contribuaient
également à faire de ces sites des lieux sacrés,
commémorant dans tous les temps à venir, les martyrs Malagasy.
Ces lieux de mémoire et mémoires de lieux témoignaient le
courage des chrétiens Malagasy qui sacrifiaient leur vie plutôt
qu'abandonner leur foi. On peut alors parcourir de l'extrême Sud de la
colline de l'Imerina jusqu'à l'autre bout, au Nord, trois sites
où s'érigent des édifices cultuels importants pour les
Malagasy. Ambatonakanga, même sur un endroit à faible hauteur,
n'est pas du tout de moindre importance que les autres. Étant
donné que c'est l'implantation du premier temple1 en pierre
en Imerina mais aussi dans le pays. Ces sites devraient faire rappeler
aux générations futures le supplice des chrétiens Malagasy
mais aussi leur sacrifice. Ambatonakanga est dédié à
Rasalama, première martyre malagasy (lieu où elle était
emprisonnée). Celle-ci a été exécutée
à Ambohipotsy, deuxième site de monuments de souvenir. Quatre
chrétiens ont été brulés vifs en 1849, à
Faravohitra, et 14 autres furent précipités à Ampamarinana
la même année. Ce sont respectivement le troisième et
quatrième temple, souvenirs monumentaux en pierre de taille, rendant
hommage aux confesseurs de la foi chrétienne en Imerina.
Souvenirs matériels et esthétiques
d'évènements très importants de l'Histoire de Madagascar,
les temples commémoratifs constituaient les témoins de la foi des
chrétiens malagasy. Les temples commémoratifs attirent la haute
société. Ils intègrent les martyrs au coeur de l'Histoire
malagasy et contribuent à faire des persécutions l'un des
chapitres les mieux fixés dans la tradition merina2.
Leurs lieux d'implantation devenaient depuis, des lieux
vénérés (car lieux de sacrifice des Martyrs) en tant
qu'endroits sacrés. En souvenir de ces sacrifices et du courage que ces
personnages importants du christianisme de l'Imerina faisaient preuve,
la Société des Missions de Londres (L.M.S) par les idées
d'Ellis érigeait des édifices cultuels en mémoire de ces
confesseurs de la foi. Ces monuments de pierre, trésors du patrimoine
architectural se dressaient sur la colline de l'Imerina, avec leurs
flèches telles des Tsangambato, commémorant pour des
années, ces personnes. Les liens aux martyrs étaient
rappelés par les chrétiens pour définir leur
identité de chrétien malagasy. En effet, les temples
commémoratifs étaient les témoins visibles de la nouvelle
appartenance religieuse des Malagasy. Ces monuments commémorent
également la massive contribution des Britannique dans
l'évangélisation, en créant des
l'Etat étaient justifiée par la conversion
des dirigeants de ces temps au protestantisme. Ils se faisaient baptiser le 21
février 1869. Lors du FISEHOANA, Ranavalona II avait à
ses cotés une bible à la place des sampy royales qui peu de temps
après avaient été brulés sous les ordres de la
reine. Des nouvelles interdictions apparaissaient également. Le dimanche
par exemple, le marché était interdit - arrêt de toutes les
corvées et tous manoeuvres militaires.
1 Ambatonakanga, église protestante 1867-
1977. Les quatre temples figurent également parmi
les neuf églises mères de la capitale.
2 Annales de l'Université de Madagascar,
série Sciences Humaines, n° 11 1970
foyers de culte durable, en associant la mémoire des
martyrs. Ces monuments de souvenir annonçaient également le
début d'une révolution dans le domaine du bâti en
Imerina. On assistait à l'apparition de nouvelles techniques de
construction avec l'utilisation d'un matériau qui, auparavant,
était réservé exclusivement à la demeure des morts.
Donnons un dernier mot de synthèse à notre travail.
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