VIII-2 L'IDEE DE MEMOIRE
Chaque évènement qui se déroulait dans la
société traditionnelle malagasy était marqué par
l'érection d'un vatolahy ou pierre levée2.
L'usage de la pierre dans la commémoration n'était pas
étranger à nos ancêtres. Dans son projet, Ellis avait les
perspectives de créer les premiers foyers de culte durables dans la
cité des mille. Il était également question d'associer
à ces lieux les mémoires de ceux qui y ont perdu la vie. Aussi,
les édifices cultuels avaient suivi la même ligne que les pierres
commémoratives de nos ancêtres. Ils portent même le nom de
Memorial Churches. Les temples commémoratifs sont des
témoins de grands évènements marquant le XIXe
siècle de l'Imerina. En les voyants, on arrive à se
souvenir de l'une des phases cruciales de l'Histoire malagasy. Ambatonakanga ;
Ambohipotsy ; Faravohitra et Ampamarinana sont les témoins de la foi des
chrétiens Malagasy. Associées à cette
ténacité de la foi, il y avait les interdictions de Ranavalona I
de ne pratiquer autre religion que celle des ancêtres. Des
persécutions avaient été lancées à
l'encontre de ceux qui persistaient à suivre le «
Fivavaham-bazaha ». Aussi, les temples commémoratifs sont
les pierres levées des Martyrs de la foi incluant la persécution
et la condamnation à mort des chrétiens. Les flèches et
cloches des temples se dressaient tels des Tsangambato3.
Les quatre monuments, aussi bien l'un que l'autre, constituent des
mémoires de lieux mais également des lieux de mémoire.
Ambatonakanga, premier édifice cultuel durable (en pierre) de la
capitale, était le lieu de l'emplacement de la prison de Rasalama, la
première martyre Malagasy. Cette martyre de la foi a été
exécutée à coup de sagaie à Ambohipotsy en 1837 ;
le deuxième site de construction. Faravohitra, quant à lui,
était l'endroit où les quatre chrétiens de caste noble
(Andriamasinavalona) périrent. Ils furent brulés vifs sur des
buchers.
1 Firaketana ny Fiteny sy ny Zavatra Malagasy Tome I
Imprimerie Industrielle de Tananarive, janvier 1937
2 « Pierres levées » in Les
transformations de l'Architecture funéraire en Imerina LEBRAS
(J.F.) 1971 - Les vatolahy dans le Fisakana mémoire de maitrise
RANDRIANANDRASANA
3 DELAHAIGUE-PEUX
Ampamarinana, le dernier des temples commémoratifs fut
bâti en la mémoire des 14 chrétiens enroulés dans
des nattes puis précipités du haut de la falaise de
Tsimihatsaka.
Edifiés sur les sites des martyrs, les temples
commémoratifs constituaient les nouvelles bases d'un enracinement
religieux. Ils témoignaient l'adoption du christianisme mais
également la conversion massive du royaume merina. Les dirigeants de ces
époques se faisaient, de ce fait, baptiser le 29-02- 1868. Une nouvelle
orientation du régime1 s'annonçait puisque des
croyances ancestrales ont été remplacées, voire
même, supprimées, laissant place aux us et coutumes
étrangers. Ajouté à tous ces évènements,
Ranavalona II faisait construire un temple à l'intérieur de
l'enceinte même du palais.
Photo.9 Photo.10
Photo. 7 : Ambatonakanga : lieu
d'emprisonnement de Rasalama (dans un temple en bois devenu un étable
plus tard), première Martyre Malagasy (1837). Conçu avec un style
normand, il était également le premier édifice cultuel en
pierre de la capitale. Il était ouvert au culte le 22 janvier 1867.
Photo. 8 : Ambohipotsy : lieu
d'exécution à coup de sagaie de Rasalama et d'autres
chrétiens, martyrs de la foi (1837). Au devant, (à gauche de la
plaque, au premier plan) une stèle commémorant cette condamnation
à mort. Son inauguration datait du 17 novembre 1868. C'est un temple
avec une flècheclocher : « Norman style »
1 Madagascar et le christianisme HUBSCH (B.) éd,
1993
Photo. 11 Photo. 12
Photo 11 : Faravohitra : A cet endroit
avaient péri les quatre Martyrs de caste « Andriamasinavalona
» brulés vifs sur des buchers le 28 mars 1849. L'inauguration de ce
temple à un style classique s'effectuait le 15 septembre 1870.
Photo 12 : Ampamarinana : Du haut de cette
falaise granitique ; nommée en ces temps Tsimihatsaka
(emplacement actuel en relief du nom de la capitale), 14 chrétiens
y furent précipités. Les cadavres furent ensuite acheminés
vers Faravohitra pour y être brulés. Le temple, également
de style classique a été inauguré le 28 mars 1874.
Les temples commémoratifs se dressaient tels des
monuments qui rendaient honneur aux chrétiens Malagasy ayant souffert et
perdant leur vie durant le long règne de Ranavalona I. Ces
édifices marquaient également la réouverture des
coopérations malgacho-britannique. Ils montraient les liens
inséparables entre l'Histoire des deux nations. La forme et l'aspect des
bâtiments devaient rappeler aux générations futures,
l'origine britannique de ces structures1. Vues les grandes
contributions des Britannique dans ces constructions mais aussi dans beaucoup
d'autres domaines, ces bâtiments sont des morceaux d'Angleterre
implantés dans la capitale.
Ces temples commémoratifs occupent incontestablement des
places vraiment importantes dans l'Histoire de l'Imerina mais
également pour toute Madagascar. Ils témoignaient les
différents
1 Propos d'ELLIS (W) cité par RAISON-JOURDE (F.) in
Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle :
invention d'une identité chrétienne et construction de
l'Etat
changements apportés par les Européens.
Souvenirs matériels d'évènements de notre Histoire, les
quatre temples commémoratifs, contribuent, selon Raison-Jourde
(F.)1 à faire des persécutions, l'un des chapitres le
mieux fixé de la tradition merina. En plus de la
commémoration des Martyrs de la foi, les Memorial Churches nous
aident également à nous souvenir des grands initiateurs de ces
travaux mais aussi des ouvriers Malagasy qui y avaient participé. Leur
savoir faire et génie créative se matérialisaient par ces
monuments.
Les Tranovato constituent sans le moindre doute, des
témoins visibles des phases de l'Histoire de l'Imerina. Avec
leurs unités architecturales et la matière première de
construction, ces monuments sont des héritages matériels et
culturels des générations futures. Ces monuments changeaient
définitivement l'utilisation de la pierre. Cette matière,
étant donné qu'elle était prohibée pour la
construction d'habitation des vivants ; s'usait pour la demeure des morts et
aussi pour la commémoration d'évènements ou de personnes.
Les Memorial Churches jouent les mêmes titres et rôles que
ces derniers. Dans ces recherches, Delahaigue-Peux affirme que parce qu'ils ne
savaient pas écrire, les rois d'autrefois firent des pierres leur titre
d'héritage ; un titre durable et qui ne serait jamais
détruit2. Les temples protestants ; oeuvres d'Ellis (W.) et
de ses collègues du London Missionary Society, des foyers de culte
durables3 selon le but de leur construction, font partie des
trésors du patrimoine architectural de la capitale. Ils sont des
héritages pour les générations futures. Etant donné
que ces temples constituent à la fois des lieux de mémoire et des
mémoires de lieux, et que la matière principale de leur
construction est la pierre, ce sont des monuments qui participent à la
conservation de notre Histoire. Ces temples ont pu traverser le temps du fait
qu'ils ont été construits avec la pierre. Un matériau
robuste, résistant à toutes agressions extérieures. Les
quatre Temples commémoratifs ; solides et durables, oeuvres et dons des
Britannique étaient ; selon Sibree4, des témoins dans
les temps à venir de la fermeté et le courage des
chrétiens Malagasy qui avaient sacrifié leur vie plutôt que
de renier leur foi envers le christianisme. Ces édifices religieux
donnent une image et une nouvelle conception du matériau pierre ;
considérées longtemps comme le droit exclusif des morts. Elle
devenait des matériaux
1 Annales de l'Université de Madagascar
série Sciences Humaines n° 11 1970
2 DELAHAIGUE-PEUX op. Cit. 1996
3 Fondation des temples protestants à Tananarive entre
1861- 1869 in Annales de l'Université de Madagascar,
série Sciences Humaines n° 11 1970 RAISON-JOURDE (F.)
4 « We thus gave the Malagasy Christian O4
substantial and durable house prayers which will testify in all time to come to
the steadfastness and courage of those to whose fidelity to conscience and to
truth their country owe (...) Great building have
always been a power and have given a certain fixed and enduring character to
all systems with which they have been connected »
in SIBREE 1924.
idéals et admirables pour construire des habitations.
Les Memorial Churches sont des pierres levées1
dédiées aux Martyrs de la foi. Considérés comme
tels, ils devenaient l'un des évènements marquant de l'Histoire
merina. « Ils attirent la haute société et
contribuent à faire des persécutions, l'un des chapitres les
mieux fixés dans la tradition merina. Leurs inaugurations
devenaient l'un des grands moments de la vie de la capitale2 ».
Un nouveau cadre culturel était mis en place. On accordait une
importance capitale à ces endroits.
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