VII-2 VALEURS CULTURELLES
Si l'on parle du matériau pierre, les Malagasy en
avaient leurs propres styles et usages. Nous en avons déjà
parlé auparavant. La pierre était utilisée dans divers
contextes de la vie de nos ancêtres. Dans le contexte profane, tels les
portails (disques de pierre) des villages comme dans le contexte sacré
(à l'exemple du vatomasina), lors d'un sacre d'un souverain ou
bien les vatolahy, afin de commémorer un défunt ou un
évènement, la pierre jouait de grands rôles. Etant
donnée que cette matière est sans vie ; inerte et glacée,
on évitait son utilisation dans la construction de maison. La pierre
était réservée pour construire la demeure des morts. Les
vivants n'avaient pas le droit de fonder une maison qu'avec des matières
vivantes tel le bois. L'avènement des missionnaires apportait de
nouvelles visions concernant l'utilisation de la pierre. Ces européens
faisaient appel à des matériaux jamais utilisés pour les
maisons ou autres bâtiments dans ce pays, à civilisation du
végétal. Aussi, un style totalement nouveau et étranger
apparaissait en Imerina. Cette nouvelle architecture et l'usage d'un
nouveau matériau constituaient le nouveau reflet de l'identité de
l'Imerina dont l'ancienne était celle du bois. L'utilisation de
la pierre ne se limitait donc plus aux domaines de la mort. Les
missionnairesarchitectes apprenaient aux ouvriers locaux de nouvelles
techniques, les façonnages et le travail esthétique de cette
matière. Une matière à laquelle on n'imaginait
jusqu'alors, construire la demeure des vivants. Un nouvel art de bâtir
apparaissait donc en Imerina. L'apparition de nouvelles techniques de
construction ainsi que la fondation des églises, avec comme
matériau la pierre, contribuaient à changer le visage et les
formes architecturales de la colline de l'Imerina.
Nous savons bien que toutes les monarchies de
l'Imerina, depuis leur début avaient une confiance totale aux
« dieux » qui leur fournissaient une protection et
bénédictions assurant la prospérité de la
cité. Ces Sampy jouaient des rôles vraiment importants
dans la bonne marche de la société ancienne. Mais afin que les
sampy aussi bien royales que populaires aient des effets
bénéfiques sur la société que sur un individu ;
elles exigeaient des règlements à ne pas enfreindre.
Ikelimalaza, l'une des sampy royales la plus
célèbre, était à l'origine de l'interdit
empêchant toute construction en dure, aussi bien en brique qu'en pierre.
Tous les souverains qui se succédaient en Imerina suivaient
à la lettre ces tabous. L'avènement de Ranavalona II au pouvoir
entrainait un bouleversement de la tradition. En effet, lors de son
intronisation, la reine avait à ses cotés une bible alors que
tous ses prédécesseurs tenaient en main
les sampy. La reine ordonnait ensuite la destruction
de toutes les sampy. Dès son accession au trône, la reine
se déclarait chrétienne1, comme le confirme
Delahaigue-Peux2 dans son ouvrage. En 1868, une importante
décision a été prise par Ranavalona II. En plus de sa
déclaration comme étant chrétienne, la reine promulguait
une loi levant l'interdiction de construire en pierre à
l'intérieur de l'ancienne cité. La reine voulait montrer sa
volonté à changer complètement le cours de l'histoire
ainsi que les traditions locales. Le protestantisme était devenu la
religion de l'Etat. Un an après la levée du tabou, le palais de
la reine était revêtu en pierre par l'architecte-missionnaire
britannique Cameron. Pour montrer sa conversion, la reine et quelques membres
de son gouvernement se faisaient même baptiser. Un temple était
également en cours de construction dans l'enceinte du palais. Avec la
libération des tabous ainsi que l'implantation des églises
commémoratives, un nouveau cadre culturel a été mis en
place. Depuis, le royaume n'était plus concentré sur un seul
pôle de croyance3. Puisque la croyance traditionnelle a
été renversée par le christianisme, une nouvelle
conception de la notion du « sacré » faisait son apparition.
Aux temps des fétiches, les souverains et le peuple se rendaient
à l'emplacement du sampy afin de demander des
bénédictions avec des offrandes, exemple à
Ambohimanambola, chez Ikelimalaza. De leur coté, les temples
mémoriels devenaient des nouveaux lieux où se déroulaient
des cultes à un dieu totalement nouveau pour la population locale de la
capitale. A la place des tabous sous l'emprise des sampy, de nouvelles
lois d'interdiction faisaient apparition dans la société
merina. Avec la conversion des dirigeants au christianisme et
l'adoption de cette religion comme religion de l'Etat. De nouveaux interdits
apparaissaient4. Le marché était, par exemple,
interdit le dimanche, les corvées et tous manoeuvres militaires
également. Ainsi, toutes les décisions prises par la reine
montraient sa volonté d'adopter une nouvelle coutume et d'en laisser une
partie de la sienne à laquelle ses ancêtres étaient
rudement attachés. Les questions religieuses prenaient d'ampleur dans la
capitale. Une rupture avec la tradition s'annonçait. En effet, suivant
la coutume, la reine manifestait un désir de construire un nouveau
palais, un projet qu'elle abandonna au profit de la réfection en pierre
des façades de Manjakamiadana5. Les Tranovato en
étaient également des preuves concrètes de changements
d'un lieu de culte, mais aussi une nouvelle perception de ce qui était
sacré. Les temples commémoratifs,
1 « Mon royaume se repose sur dieu. Mes
ancêtres par ignorance mettaient confiance aux sampy, mais moi en
dieu » ; Ranavalona II in Bible et pouvoir à Madagascar au
XIXe siècle : invention d'une identité
chrétienne et construction de l'Etat RAISON-JOURDE (F.)
2 DELAHAIGUE-PEUX op. Cit. 1996
3 La fondation des Temples protestante à Tananarive entre
1861- 1869 in Annales de l'Université de Madagascar
série Sciences Humaines n°11, 1970 RAISON-JOURDE (F.)
4 Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe
siècle : invention d'une identité chrétienne et
construction de l'Etat RAISON-JOURDE (F.)
5 DELAHAIGUE-PEUX op. Cit. 1996
devenaient des lieux de mémoire important pour la
population de l'Imerina. Avec leurs flèches grise ; les
Mémorial Churches s'érigeaient telles les pierres
levées en mémoire des martyrs de la foi.
Les Eglises Mémorielles montrent, d'une façon ou
d'une autre, les liens entre la culture malagasy et celle des
Britannique. « La forme et les aspects des bâtiments devaient
rappeler aux générations futures l'origine britannique de ces
structures ». A traves ces monuments se matérialisent une
acculturation. Ceci puisque d'une partie, certaines des traditions ancestrales
ont été mises à l'écart voire même
supprimées. De l'autre partie, il y avait l'adoption de certaines des
habitudes et croyances des Européens, véhiculées
principalement par les Britannique. Ces derniers apportaient de nouvelles
techniques de construction qui, pour la première fois étaient
utilisées en Imerina. La pierre n'était plus seulement
utilisée pour la construction d'un tombeau. La civilisation du
végétal se transformait en civilisation de la pierre. On voyait
cette matière d'un angle différent, sa conception changeait. Ces
édifices, étrangers à la ville et au pays, étaient
des morceaux d'Angleterre implantés dans la capitale (voir :
Raison-Jourde : Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe
siècle). La pierre devenait un objet ordinaire comme un autre
après la levée du tabou lié aux sampy qui,
pendant longtemps emprisonnait l'ancienne cité.
On ne peut donc nier les valeurs culturelles que
véhiculent les quatre temples commémoratifs. Si on parle
d'habitation : son organisation ainsi que les matériaux et les
techniques de construction, les Malagasy avaient leur savoir-faire et des
caractéristiques qui leur étaient propres. Certes, la pierre
était utilisée comme matière première. Cependant,
les Malagasy, surtout les anciens, voués aux cultes des ancêtres,
utilisaient la pierre pour commémorer les défunts ; pour demander
leur bénédiction mais également pour invoquer les esprits.
Les Européens, avec l'aide de Ranavalona II changeaient totalement la
façon dont on usait la pierre. Les influences architecturales
européennes commençaient dès le début du
XIXe siècle. Seul le bois était encore admis. Le
gigantisme avec ce matériau prenait de l'ampleur1 avec divers
styles de construction. Ravagé à plusieurs fois par des
incendies, le bois devenant de plus en plus rare favorisait l'avènement
de la pierre. « Le passage du bois à la pierre, par la levée
de l'interdit sous le règne de Ranavalona II, était né de
la volonté politique d'affirmer la nouvelle religion - Mais la fin de ce
tabou correspondait également à une période de
développement des techniques qui a favorisé la pierre dans la
construction des édifices religieux2 »
L'arrivée des Européens entrainait beaucoup de
changements. Influencées par celles de ces
étrangers, certaines des coutumes ancestrales ont été
mises à part, voire même, supprimées et oubliées.
Par le
1 Etude du patrimoine architectural urbain de Tananarive
.Cet ouvrage rapporte même que sous Radama I, il existait
déjà un palais en pierre à Ambohipotsy.
2 DELAHAIGUE-PEUX op. Cit. 1996
contact avec ce groupe, de nouvelles habitudes et traditions
faisaient leur apparition. Les temples commémoratifs
matérialisent de nouvelles valeurs culturelles du XIXe
siècle à nos jours. Ils montrent non seulement une
révolution dans le domaine de la technique de construction mais
également l'utilisation et la nouvelle conception du matériau
pierre. Les temples de pierre véhiculent aussi des valeurs religieuses.
Quelles sont ces valeurs ?
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