III-3 L'AUTODAFE : LA DESTRUCTION DES SAMPY ROYALES
La vie et la bonne marche de la société
étaient confiées pendant des années aux sampy.
Chacun en avait chez lui et devait également respecter ceux du royaume.
Le peuple aussi bien que les souverains depuis Andrianjaka jusqu'à
Ranavalona I faisaient confiance à ces sampy. Ils leur
accordaient même des statuts de dieux visibles2. La
montée de Ranavalona II au pouvoir était un tournant qui marquait
l'Histoire. Se déclarant chrétienne et recevant le baptême,
cette souveraine modifiât complètement la tradition qui
s'était succédée au cours du temps. Pour marquer la
noblesse et la continuité du règne, celle ou celui qui
était au trône devait construire un
édifice3.Andrianampoinimerina édifia
Mahitsielafanjaka ; Radama I Tranovola...Ranavalona II, quant
à elle, érigea à son tour un temple totalement en pierre.
Ce temple symbolise la relation entre le christianisme, l'Etat et sa
conversion. Cette construction annonçait également la rupture
avec la tradition. En effet, aucun souverain n'avait jamais osé
construire avec d'autres matériaux que le bois à cause des
interdits des sampim-panjakana. Ce bouleversement de la
tradition était également matérialisé par le
revêtement en pierre du palais en bois construit par Laborde pour
Ranavalona I. Trente ans plus tard, Cameron le missionnaire-architecte
britannique utilisa la pierre pour le rendre plus solide et plus durable. Cette
décision était prise pour vaincre une bonne fois pour toute les
sampy du
1 DELAHAIGUE-PEUX p88
2 «Madagascar et le christianisme» HUBSCH (B.)
éd, p84
Ny sampy dia nalamin'Andrianampoinimerina, nomena lanja teo
amin'ny Fanjakana-Radama tsy dia nino ny sampyRanavalona nanandratra
an'Ikelimalaza...
3 « Tantaran'ny Tranovato anatirova »
royaume. « Le temple du palais signait la conversion
d'une reine au protestantisme et rompait avec les règles
établies. Cette mutation était le prix à payer à la
nouvelle religion [...] »1
La reine, dès son accession au trône, se
déclara chrétienne et démontra ce changement d'une
façon révolutionnaire. En plus de la pose de la première
pierre2 du temple au palais, une marque de la volonté de
remplacement d'un culte par un autre, Ranavalona II ordonna la destruction de
toutes les sampy royales.
Le 8 septembre 1869, le gardien d'Ikelimalaza,
Ratohatra avec des nobles et officiers se rendaient chez la reine afin de lui
faire savoir qu'elle avait encore des devoirs envers ce sampy de
l'Etat. La tradition voulait que celui ou celle qui vient d'accéder au
trône devait honorer le fétiche Ikelimalaza qui lui
appartenait. La reine en retour donna l'ordre de les détruire tous car
ils ne servaient à rien3.En plus de cela, ces sampy
était, pour les missionnaires, des faux dieux et des obstacles à
la conversion du peuple.4
Ranavalona II envoyait donc des officiers à
Ambohimanambola pour détruire Ikelimalaza lahy et à
Amparafaravato pour Ikelimalaza vavy. Ifantàka
à Ambohimanga ; Ramahavaly à Amboatany ... Les
destructions se succédaient de jour en jour (du 8 au 10 septembre 1869
selon Randriamamonjy).Des sampy des périphéries de la
capitale étaient également touchés. Il y avait
Itsimahalahy à Ambohitrolomahitsy ; Rahodibato de
Vakinisisaony.
En un mois, presque tous les sampy populaires de
l'Imerina étaient détruits. Depuis, chaque village avait
la conviction de construire un temple ou une église.
La pierre occupait donc une place vraiment importante dans la
civilisation malgache. On la rencontrait souvent dans le quotidien du peuple.
La culture matérielle malgache ne peut se passer de cette
matière. Présente dans les proverbes, la pierre se personnifie et
donne une idée de la structure que pourrait avoir la
société malagasy et son fonctionnement. Elle caractérise
également un lieu ; un endroit ou un village par sa forme ou par
d'autres critères. Des systèmes de fortifications, conçus
par nos ancêtres étaient également faits avec des pierres
(kodiavato), des portes d'accès : disque de pierre de
1 DELAHAIGUE-PEUX (M.) op.cit.
2 RANDRIAMAMONJY. Op.cit p 536 Le mardi 20 juillet 1869
«[...] nanomboka tamin'ny 25 oktobra 1868 dia nisy
fotoam-pivavahana protestanta tao Anatirova.Natao batisa ny mpanjaka sy ny
praiminisitra ny 21 febroary 1869[...] tamin'ny 4 jolay 1869 dia noraisina ho
mpandray ny fanasan'ny Tompo ny mpanjaka sy ny praiminisitra [...]
»
3 « ... Ary satria izaho no tompo'Ikelimalaza, dia
hodorako ny ahy fa mandrebireby ny vahoakako, mihambo ho andriamanitra nefa tsy
mahefa na inona na inona. Ka hodorako ny ahy hahitanareo ambanilanitra ny
laingany fa ho lasanko setroka sy hanjary ho lavenona... » In
Tantaran'i Madagasikara isam-paritra p537 RANDRIAMAMONJY- « [...]
tamin'ny taona 1877 no nodoran'i Ranavalona II Ikelimalaza [...]
» In Tantaran'ny Malagasy manontolo RAINITOVO
4 « Bible et pouvoir à Madagascar, invention
d'une identité chrétienne et construction de l'Etat »
RAISON-JOURDE (F.) pp 314- 320
deux mètres en moyenne de hauteur en plus des
tamboho ou des fossés aménagés. Cet usage de la
pierre se situe dans le contexte profane. Mais dans une société
fondée sur le culte des ancêtres comme la notre, affirme
Delahaigue-Peux1, la pierre était réservée
à la demeure et à la commémoration des morts. Elle
devenait également un moyen de laisser des souvenirs et des
héritages pour les descendances.2Bien avant l'introduction
des innovations apportées par Laborde, les Malagasy avaient
déjà honoré les défunts. Ils plaçaient le
corps à plat, protégé par une dalle et recouvert ensuite
par un amas de pierre grossièrement cubique ou
parallélépipédique3.Il existe d'autres types de
sépultures (à part celui-ci) construits par nos ancêtres.
Malgré toutes ces attributions pour cette matière, son
utilisation se limita dans la construction de caveau du fait qu'une loi datant
d'Andrianampoinimerina interdisait son usage dans la construction d'habitation
surtout à l'intérieur de la cité. Cette matière,
considérée comme sans vie, était également tabous
pour les sampy royales. Les souverains qui se succédaient,
respectaient cet interdit jusqu'à Ranavalona II. Arrivée au
pouvoir, la souveraine, se déclarant chrétienne, prenait une
décision cruciale puisqu'elle va libérer la ville de son
obligation de construire uniquement par le bois. Elle décida en
même temps de faire construire un temple en pierre dans l'enceinte
même du palais. Ce Tranovato représentait une rupture
audacieuse avec la tradition par l'utilisation de la pierre comme
matière. Dès 1863, les églises commémoratives
s'élevaient à Antananarivo alors que le bois demeurait le seul
autorisé à l'intérieur de la cité. La levée
du tabou en 1868 permettra un an plus tard le revêtement en pierre de
Manjakamiadana. Le passage du bois à la pierre était né de
la volonté d'affirmer l'appartenance à une nouvelle religion. La
fin du tabou correspond également à une période de
développement technique qui favorisait la pierre dans la construction de
ces édifices religieux. Le matériau pierre sera le centre
d'intérêt de notre deuxième partie. Nous allons y
démontrer les techniques de construction, les savoir faire et
créativités du génie humain, dirigés par les
missionnaires-architectes Cameron, Sibree ; Pool. Nos sites d'études
seront les quatre temples (protestants) commémoratifs d'Ambatonakanga ;
Ambohipotsy ; Faravohitra et Ambonin'Ampamarinana.
1 DELAHAIGUE-PEUX p84
2 Ibidem p84 « [...] parce qu'ils ne savaient pas
écrire, les rois d'autrefois firent des pierres leur titre
d'héritage, un titre durable et qui ne serait jamais détruit.
Cette pierre sainte était une pierre polie, taillée et
enfoncée profondément sur laquelle on rependait le sang d'un
boeuf ou d'un coq [...] et devant laquelle le roi évoque les Dieux, le
Créateur et les ancêtres... »
3 LEBRAS op. Cit.
DEUXIEME PARTIE :
LE MATERIAU PIERRE DANS
LES QUATRE EGLISES
COMMEMORATIVES
Chaque souverain du royaume merina avait chacun des points qui
le différencient de ses prédécesseurs. Ces
différences étaient constatées par les exploits ou les
travaux que d'autres, auparavant, ne pouvaient, n'imaginaient ou même
n'osaient entreprendre. Chaque règne se caractérisait par des
innovations, d'autres apportaient des changements car comme disaient les
ancêtres « Miova andriana, miova sata ». Roi ou reine
essayait d'apporter développement et prospérité pour la
cité. Andriamanelo, seul descendant de Rangita faisait abondamment
forger le fer à ses sujets1. Ralambo, son fils quant à
lui avait amené l'arme à feu en Imerina... Le grand
Andrianampoinimerina, petit fils d'Andriambelomasina essaya d'organiser
l'Imerina en obligeant son peuple (Fokonolona) à
travailler. Radama I, créait la première armée pour le
royaume. Avec les Européens (Français et Britannique) qui
étaient encouragés par le roi à s'installer en
Imerina, l'école voyait le jour2par l'entrée
de l'écriture. Il y avait également, en son temps la traduction
de la bible en langue malagasy. On assistait à des progrès
politiques, intellectuels, spirituels et techniques. Après ces
règnes de prospérité et de développement,
Ranavalona I sera à l'origine des persécutions des
chrétiens et de xénophobies qui seront les points de
départ des constructions sur lesquelles cette étude se basera. Un
long règne de persécution de Ranavalona I marquera le
XIXe siècle. A sa fin, la « liberté »
revenait de nouveau. Les étrangers apportaient leur soutien, des
innovations du point de vue technique s'affirmant par les différentes
constructions dans la capitale et ailleurs en guise de souvenirs
d'événements ou de personnes.
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