Paragraphe 2 : Des moyens matériels
lacunaires
Pour mieux mesurer ce manque de moyens dont les juridictions
financières africaines sont victimes, cette interview authentique
réalisée par Walfadjiri en février 2001, nous parait
palpant. Monsieur JEAN ALOTOUNOU (Conseiller à la Cour des comptes de
l'UEMOA) s'expliquait ainsi face au journaliste:
« Suite à votre évaluation,
quelles sont les entraves à l'action des cours des comptes que vous avez
identifiées ?
Je dois faire remarquer que tous les Etats de l'Uemoa ne sont
pas encore arrivés à extraire des cours suprêmes les
juridictions qui s'occupent du contrôle des comptes pour créer des
cours des comptes autonomes. Il faut noter, par ailleurs, qu'en
général, les juridictions financières nationales ne sont
pas toujours dotées de moyens appropriés pour exécuter
leurs missions. Elles n'ont pas toujours des locaux fonctionnels, un personnel
suffisant et même si le personnel existe, sa qualification laisse parfois
à désirer. Nous avons noté, au cours de nos missions et de
nos évaluations, que la motivation de certaines catégories de
personnel, l'insuffisance de moyens informatiques, l'insuffisance de la
formation, sont des points qu'il convient de relever. Dans certains Etats, le
contrôle en général ne se fait pas toujours selon les
souhaits des pères fondateurs de l'Uemoa. C'est pourquoi, de temps en
temps, les autorités communautaires compétentes sont
amenées à attirer l'attention des autorités nationales
pour qu'elles prennent les dispositions appropriées pour permettre que
la gestion financière soit rigoureuse, saine, se passe dans des
conditions de transparences. Autant de préoccupations qui sont de plus
en plus exprimées un peu partout et exigées par les institutions
financières internationales dans le cadre de la transparence et de la
bonne gouvernance. Le Conseil des ministres de l'Union, conformément aux
directives et orientations de la conférence des chefs d'Etat, a eu
à adopter récemment un code de transparence dans la gestion des
finances publiques ».
Nous pouvons signaler aussi les insuffisances textuelles. En
effet, la loi n° 99-70 sur la Cour des comptes et son décret
d'application prévoient la procédure interne applicable en
matière de contrôle. Cependant, certains détails ne sont
pas pris en compte, et doivent être réglés par un
règlement intérieur qui tarde à être pris.
Par ailleurs, l'article 342 du Code des collectivités
locales, en son alinéa 2, prévoit que : « les
comptes des collectivités locales dont la population n'excède pas
15.000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier
compte administratif est inférieur à un montant fixé par
décret, font l'objet, sous réserve des alinéas
ci-après, d'un apurement administratif par les trésoriers payeurs
généraux à l'exception de leurs propres comptes de
gestion ».
Cependant, le décret évoqué n'est
toujours pas pris. C'est cette situation de blocage qu'avait voulue
éviter la loi sur la Cour des comptes précitée lors
qu'elle prévoit en son article 43, que les autorités de la Cour,
« sous réserve des dispositions de l'article 342 du Code des
collectivités locales... », avait la possibilité,
« sur proposition du Président de chambre » et
« en cas d'encombrement de cette chambre, de décider par
ordonnance que certains comptes concernant les collectivités
locales(...) seront apurés par un comptable supérieur du
Trésor », ce qui de même n'est pas fait. Ces
insuffisances causent d'énormes retards dans le travail de la Cour.
En outre, en ce qui concerne la comptabilité
matières, nous pouvons rappeler qu'elle peut s'apprécier par
rapport à la comptabilité de deniers avec lesquels est
acheté le matériel ou les biens de la collectivité.
Cependant, il n'existe pas un contrôle juridictionnel de la
comptabilité des matières, de même que les textes relatifs
à la Cour des comptes n'ont pas prévu une législation
pertinente concernant l'organisation de la comptabilité
matières.
Dans la pratique, seul l'article 70 de la loi
précitée ,situé dans le chapitre VII traitant du
contrôle non juridictionnel en parle, et de manière laconique. En
substance, cette disposition ne prévoit qu'un contrôle visant
à rendre une décision particulière sur chaque compte
individuel de matière et à produire une déclaration de
conformité attestant la concordance de l'ensemble des comptes
individuels de matières avec les comptes généraux des
ministères.
Parallèlement, les dispositions de l'article 83 du
décret n° 66-510 portant régime financier des
collectivités locales exigent, dans le cadre du contrôle
juridictionnel des comptes des comptables des collectivités locales, une
double transmission des comptes : d'abord une première transmission
du fascicule de gestion par le comptable à la Direction du trésor
pour vérification sur chiffre, ensuite , une seconde transmission(cette
fois du compte de gestion accompagné de pièces essentielles) par
la Direction du trésor à la Cour des comptes. Cette règle
de double transmission provoque des lourdeurs dans la procédure du
contrôle.
Par ailleurs, l'usage de nouvelles technologies de
l'information laisse le personnel souvent désorienté par ce que
ne les maîtrisant pas. Ce qui entraîne le recours à des
spécialistes en ce domaine, qui méconnaissent aussi les
règles en matière financière. Il est alors
préférable de former le personnel afin qu'il puisse se
familiariser avec l'outil informatique.
En outre, le nombre croissant de collectivités locales
ainsi que celui des comptes de gestion nécessite un important arsenal de
moyens matériels.
De plus, du fait de l'absence au Sénégal d'un
organe juridictionnel financier décentralisé, la cour des comptes
juge l'ensemble des comptes des CL. Ce qui nécessite d'importants moyens
matériels. Or, cette exigence fait défaut en
général.
On assiste alors à un contrôle inefficace eu
égard à de nombreuses considérations. Il y a des
insuffisances pratiques dans la mesure où la concentration dans le temps
de l'examen d'un nombre assez considérable de comptes ne permet pas aux
autorités de contrôle de respecter les délais et d'exercer
un contrôle effectif. Ce qui témoigne d'un manque criard de moyens
matériels permettant d'asseoir un contrôle digne de ce nom en
respectant les délais de rigueur.
Par ailleurs, en France, le contrôle effectué par
les Chambres régionales des comptes connaît aussi des failles. En
effet, depuis leur création, les CRC font l'objet d'autres critiques
tant sur leurs méthodes de travail que sur leurs modes de communication
des observations qu'elles formulent.
Tout d'abord, la période d'intervention reste
aléatoire et décalée des faits. Même si le
président de la CRC décide annuellement du programme des travaux,
le calendrier de contrôle est en effet un mystère (BOYER, DE
CASTELNAU, 1997, p. 34). Le rythme d'intervention, en moyenne quadriennale,
peut être variable suivant la collectivité. La pertinence de ces
contrôles semble, de plus, être remise en cause dans la mesure
où un décalage temporel important existe entre les faits et la
révélation de l'irrégularité ou de
l'inefficacité. Que représente en effet, aux yeux des citoyens ou
d'autres acteurs de la vie communale, une révélation d'actions et
de décisions vieilles de 3 voire de 5 années ? En outre, il est
assez fréquent que les gestionnaires en cause ne soient plus
responsables de la collectivité au moment où sont rendues
publiques les observations définitives des magistrats financiers.
Ensuite, en ce qui concerne les méthodes de collecte
des éléments probants, les CRC effectuent
généralement des contrôles sur pièces et sur place
afin d'obtenir les éléments sur lesquels seront fondés les
jugements, avis ou observations. Le contrôle de la gestion d'une
collectivité, ainsi pratiqué, débute habituellement par un
examen des pièces à la disposition de la CRC et du dossier de la
collectivité (contrôles antérieurs, coupures de presse et
correspondances). Après une évaluation de l'état
général des finances de la collectivité, le magistrat fixe
le champ de ses investigations en sachant que les dépenses de personnel,
les procédures de marchés publics et les investissements
constituent des domaines essentiels (BOYER, DE CASTELNAU, 1997, p. 155). Une
fois les champs d'investigation choisis, le magistrat pourra demander tout
document et renseignement manquant, en vue d'une analyse de
régularité et d'efficacité. Cette procédure
rigoureuse des magistrats financiers semble trouver toutefois ses limites dans
les durées importantes d'exécution des contrôles qui
augmentent d'autant plus le décalage de l'observation avec les faits. Le
contrôle exhaustif de l'ensemble des opérations de la commune ne
semble pas pertinent eu égard à la complexité des
questions examinées.
Comme nous venons de le voir, les juridictions
financières souffrent d'un manque de moyens presque à tous les
niveaux. Ce qui n'est pas sans entraîner des conséquences
fâcheuses sur le contrôle juridictionnel des finances des
collectivités locales.
Il faut toutefois noter que les limites ne concernent pas
seulement les moyens des juridictions. Elles s'étendent aussi à
d'autres facteurs plus endogènes.
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