Section II. La possible transmission des droits de
propriété
intellectuelle aux héritiers.
Contrairement au droit des contrats, le droit des successions est
extrêmement détaillé dans la Shari'a, et les règles
prévues sont obligatoires, il n'est donc pas
101 Abdul Ghani Azmi, Ida Medieha. Intellectual property law
and Islam in Malaysia. Thèse soutenue à « the intellectual
property law unit of the centre of commercial law studies, queen mary &
westfield college, london ». Mai 1995.
102 Page 159, dernier §.
permis d'y déroger. La transmission des biens du
défunt aux héritiers est prévue dans un Hadit du
Prophète :
« Whoever dies leaving property or rights, then it
can be inherited by the family ».103
Dans cette section, il ne sera étudié que la
transmissibilité des droits patrimoniaux. En effet le droit moral
étant écarté des ADPIC, il n'entre pas dans le champ
d'étude du présent mémoire.
En ce qui concerne les droits patrimoniaux, Ida Medieha Abdul
Ghani Azmi se pose la question de la possible transmission d'un actif
intangible par succession et notamment parce que le droit de
propriété sur un bien corporel est éternel, alors que les
droits de propriété intellectuelle eux sont limités dans
le temps. Mais pour lui les droits de propriété intellectuelle
sont tout à fait transmissibles par legs et il écarte très
rapidement cet argument :
« Despite this (la difference entre les droits
de propriété sur les biens tangibles et sur les biens
intangibles) the jurists agree that it (les droits de
propriété intellectuelle) can be transmitted through
inheritance and disposed off through will. The basis of the transmissibility is
the Prophetic 'hadith': "man lahu haqqan faliwarathihi" (who has a valid claim
(haqq), that can be transmitted through inheritance). »104
Ainsi les droits de propriété intellectuelle
seront transmis aux héritiers à la mort de l'ayant droit. Il n'y
a donc sur ce point pas de difficulté entre le droit de la
propriété intellectuelle et la Shari'a.
103 Voir note supra 99.
Page 84, note 100.
Traduction : « Celui qui meurt laisse des biens et des
droits, alors cela doit pouvoir être hérité par la famille
».
104 Page 87, §1.
Traduction : « Malgré cela, les juristes admettent
qu'ils peuvent être transmis par succession et être l'objet d'un
testament. La justification de la transmissibilité est un Hadit du
Prophète : "man lahu
haqqan faliwarathihi" (celui qui dispose d'une créance
licite (haqq), qui peut être transmisse par succession) ».
Il est tout de même à noter certaines
règles qui devront impérativement être respectées
dans les lois de transposition des pays musulmans afin d'être conforme
à la Shari'a.
La dévolution successorale est prévue
précisément par la Shari'a et elle devra être
respectée. Seule une quotité d'un tiers du patrimoine est
laissée à la discrétion du testateur ainsi que le rappelle
Heba A. Raslan105 :
« [T]he one-third limitation for transfer of property
by wills applies to intellectual property rights and should be observed. This
limitation is intended to avoid eliminating rightful heirs from their shares in
the estate. » 106
105
Voir note supra 25.
106 Page 535, §2.
Traduction : « La limite d'un tiers au transfert des
biens par testament est applicable à la propriété
intellectuelle et doit être respectée. Cette restriction a pour
objectif d'emp-cher que des héritiers de plein droit perdent leurs parts
du patrimoine ».
C'est par cette section que se clos le Titre II sur « La
compatibilité entre les règles régissant le patrimoine
dans la Shari'a et le concept de la propriété intellectuelle
». En conclusion nous pouvons affirmer qu'il n'y a pas de
difficultés majeures au sein du droit des biens de la Shari'a qui
mènerait à s'opposer à la transposition des ADPIC dans les
pays musulmans. Les quelques questions qui demeurent, par exemple
l'imprécision dans les contrats de propriété
intellectuelle, ne concernent pas directement des droits devant être
protégés en vertu des ADPIC, mais plutôt des usages
commerciaux et contractuels qui devront peut-être faire l'objet
d'adaptation au cas par cas.
Ainsi, les biens intangibles peuvent être soumis
à un droit de propriété tout comme les biens tangibles,
mais aussi être exploités et transférés entre vifs
ou pour cause de mort. Cette propriété est la récompense
d'un effort personnel du créateur de l'oeuvre de l'esprit, et elle a
pour but de lui permettre de vivre de sa création. Les lois de
transposition des traités internationaux sur la propriété
intellectuelle devront cependant respecter un certain nombre
d'impératifs moraux imposés par la Shari'a afin d'être
parfaitement compatible. Notamment le titulaire originaire des droits devra
toujours être le créateur initial de l'oeuvre de l'esprit, et en
cas de cession à un tiers, le créateur devra
nécessairement être justement rémunéré pour
son travail.
Bien que le droit des biens de la Shari'a permet la
création de lois ayant rapport à la propriété
intellectuelle, il faut encore se demander à quelles conditions cette
dernière n'est pas en contradiction avec les intérêts
fondamentaux de l'Islam. La défense de ces intérêts
fondamentaux doit être l'objet de toutes les lois humaines, c'est
pourquoi leur respect est fondamental pour l'acceptation de la
propriété intellectuelle. L'étude de ces
intérêts fondamentaux et des conditions de leur respect sera sujet
de la Partie II.
|