II. La distinction entre l'aléa dû à la
rémunération proportionnelle dans les
contrats de propriété intellectuelle et le concept
d'imprécision de la Shari'a.
Le problème est plus complexe en ce qui concerne le
système de la rémunération proportionnelle à
l'exploitation de l'oeuvre de l'esprit. Le prix étant proportionnel
à une exploitation future dont on ne connait pas le succès, il
est donc nécessairement incertain. Pour Steven D. Jamar, l'incertitude
interdite par la Shari'a doit etre comprise comme une analogie du jeu où
l'existence meme de l'objet est incertaine. Ce qui est pour lui
complètement différent des mécanismes de
rémunérations proportionnelles :
« The analogy to selling fruit before it ripens, a
prohibited act, is attractive. However, the reason for the rule against selling
unripened fruit is that it is still subject to loss through drought, disease,
or storm-it may never ripen. Here, the work exists, and only the ultimate value
of it over time is unknown. The fruit has ripened and the ultimate market value
of it is just an ordinary business risk. » 100
99 Page 10, §1.
Traduction : « Le principe de l'imprécision
pourrait bien avoir des effets sur la structure des contrats de licence.
Cependant, cela ne pourrait pas entièrement empêcher ou limiter la
possibilité de conclure un contrat valide, contraignant et
créatif grâce à la révérence islamique pour
la sacralité des contrats et pour la flexibilité avec laquelle
ils peuvent être construits ».
100 Page 14, §3.
Traduction : « L'analogie avec la vente de fruits avant
leur maturité, un acte interdit, est séduisante. Cependant, la
raison de cette règle concernant la vente de fruit qui ne sont pas
encore mûres, est que cela fait toujours l'objet de pertes qui ne seront
jamais cueillies à cause de la sécheresse, de la maladie ou des
vers. Dans notre cas, le travail existe et seule sa valeur finale à
travers le temps est inconnue. Le fruit a été cueilli et la
valeur définitive qu'il aura sur le marché constitue seulement un
aléa normal dans le milieu des affaires. ».
Ida Medieha Abdul Ghani Azmi, dans sa thèse ayant pour
sujet la conformité entre le droit malaisien de la
propriété intellectuelle et la Shari'a101, constate
lui aussi la difficulté pouvant naître de ce mode de
rémunération, mais arrive à une conclusion très
différente. Selon lui, il faudrait que la rémunération
soit forfaitaire et, en cas de succès plus important que prévu de
l'oeuvre, que puisse être réévaluée la somme devant
être versée à l'auteur.
Pour cela il fait référence au droit
français et à la possibilité, prévue à
l'article L 131-4 du code de propriété intellectuelle
français, qu'a l'auteur de demander d'être
rémunéré au moyen de sommes annuelles forfaitaires. Il
ajoute à son modèle la rescision pour lésion de l'article
131-5 du code de propriété intellectuelle français qui
permettrait de rééquilibrer le contrat en cas de succès
inattendu.102
La seconde solution est en comparaison de la première
beaucoup plus rigide et nécessiterait que soit fait couramment appel
à une autorité extérieure afin de décider du
montant de la rémunération. Cependant, bien que l'incertitude
demeure sur ce point, elle ne met pas en péril la compatibilité
de la propriété intellectuelle avec la Shari'a, mais seulement un
mode de rémunération. Les parties devront cependant être
vigilantes sur ce point, quitte à consulter des juristes locaux lors de
la rédaction du contrat.
Les droits de propriété intellectuelle peuvent
ainsi être exploités et cédés par contrat en toute
légalité avec la Shari'a. Cependant une autre méthode de
transmission doit être impérativement étudiée, c'est
celle du legs. Afin que les oeuvres puissent être effectivement
protégées pendant la durée minimale imposée par les
traités internationaux, les droits de propriété
intellectuelle doivent pouvoir être transmis aux héritiers en cas
de décès de l'ayant droit.
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