Section I. La compatibilité entre les usages
contractuels de la
propriété intellectuelle et la
Shari'a.
Une fois que l'on a démontré
l'appropriabilité en droit musulman des oeuvres de l'esprit, il faut
encore vérifier que les interdictions de la Shari'a n'en empecheront pas
l'exploitation. Or, les biens intellectuels diffèrent des biens
physiques et ne peuvent faire l'objet des memes contrats. D'une part l'on a les
biens corporels qui font notamment l'objet de contrat de location ou de vente,
avec pour conséquence la transmission de la possession de la chose.
D'autre part, les biens intellectuels sont les objets de contrats de licence ou
de cession dont l'objectif est la transmission du droit d'exploiter le bien.
Comme il a été vu précédemment, la
Shari'a est très souple en ce qui concerne le droit des contrats ; et la
liberté contractuelle est le principe qui prévaut. Par exemple,
la sécabilité des droits de propriété
intellectuelle sans limite est tout à fait acceptable en droit musulman
comme l'indique94 Heba A. Raslan :
« While the owner maintains his title to the
property, he could authorize others to use or exploit the property for a return
subject to the conditions and limitations put forth in their agreement.
Accordingly, the practice of granting exclusive and nonexclusive licenses is
consistent with Shari'a. »95
Il faut tout de meme s'intéresser à un des
interdits de la Shari'a en matière contractuelle qui est
l'imprécision dans les contrats. Cette règle interdit aux parties
de conclure un contrat qui serait spéculatif ou incertain. Heba A.
Raslan explique comment les parties peuvent respecter leurs obligations, et
donne des exemples de contrats frappés d'imprécision.
« In order for a contract to be legally valid from a
Shari'a perspective, the parties must have sufficient knowledge of the
contract's subject matter and its value and «effective control» over
it. Accordingly, sales that are prohibited under Shari'a include: sales of
unknown values, sales where the object is too uncertain to be
94
Voir note supra 25.
95 Page 521, §2.
Traduction : « Bien que l'ayant droit conserve son titre
de propriété, il peut autoriser des tiers à utiliser ou
exploiter la propriété pour un certain usage soumis à des
condition et des limitations issues de leur accord. En conséquence de
quoi, la pratique d'octroi de licences exclusives et non exclusives est
conforme à la Shari'a ».
realized, sales where the future benefit is unknowable, and
sales with inexactitude. »96
Il s'agit de contrats qui pourraient etre rapprochés
des jeux d'argent où le hasard tient une grande part. Cette règle
vient donc protéger la moralité publique en interdisant aux
croyants de s'enrichir en spéculant.
Les contrats de propriété intellectuelle ont une
caractéristique qui pourrait se révéler être en
contradiction avec la Shari'a. Ils sont souvent marqués par un important
aléa, soit parce que le bien de propriété intellectuelle
objet du contrat est mal défini ou secret, soit parce que le montant de
la rémunération est inconnu. Il sera distingué dans cette
section les aléas présents dans les contrats de
propriété intellectuelle du concept d'imprécision dans le
contrat (gharar), pratique prohibée par la Shari'a. Cette distinction
sera faite avec l'objet dans un point (I), et avec le système de la
rémunération proportionnelle dans un point (II)
I. La distinction entre l'aléa du à certains
biens immatériels objet de contrats de propriété
intellectuelle et le concept d'imprécision de la Shari'a.
Ce problème de l'imprécision peut se poser tout
d'abord pour l'objet du contrat. La situation est celle du contrat de commande
d'une oeuvre de l'esprit qui n'existe pas encore, ou d'un objet est
protégé par le secret d'affaire et qui est donc inconnu pour
l'une des parties. Ces objets sont principalement les codes sources des
logiciels et les renseignements non divulgués97.
Cependant pour Steven D. Jamar98, ce problème
n'est pas insurmontable. Il explique l'incidence que cela peut avoir :
« [T]he principle of indefiniteness could well have
an effect on the structuring of license arrangements. However, it should not
ultimately prevent or limit the ability to enter into valid, binding and
creative arrangements because of the Islamic
96 Page 530, §2.
Traduction : « Afin qu'un contrat soit légalement
valable dans la perspective de la Shari'a, les parties doivent avoir une
connaissance suffisamment précise de l'objet du contrat, de sa valeur et
un
« contrôle effectif »a de
l'objet. En conséquence de quoi, les ventes qui sont interdites par la
Shari'a incluent : les ventes de valeurs inconnues, les ventes dans lesquelles
l'objet est trop incertain pour être réalisé, les ventes
oil le futur bénéfice est inconnaissable, et les ventes avec des
inexactitudes ».
97 Bien que ces informations ne peuvent être
protégées par un droit de propriété intellectuelle,
les pays signataires des ADPIC doivent les protéger en vertu de
l'article 39.
98 Voir note supra 84.
reverence for the sanctity of contracts and the
flexibility with which they can be structured. »99
La question n'est donc pas de savoir si les contrats sur ces
objets sont licites ou non au sens de la Shari'a, mais de quelle manière
l'on pourrait définir assez précisément les objets afin de
palier à l'imprécision. Par exemple pour un contrat en vue de la
création d'un logiciel, l'important est que le contrat prévoit
précisément, au moyen d'un cahier des charges par exemple, les
usages auxquels est destiné le logiciel. L'Islam n'interdit pas pour
imprécision un contrat qui porterait sur la commande d'un outil qui
n'existe pas encore.
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