1.2 Méthodes classiques d'analyse et
d'évaluation
de l'impact de la microfinance
Comment mesure-t-on les impacts de la microfinance, dans un
contexte socio-économique marqué par beaucoup d'autres facteurs ?
La réponse à cette question implique l'identification des effets
exclusivement produits par la microfinance sur les populations
bénéficiaires.
La question à traiter, selon Armendáriz et
Morduch 20072, devient alors celle-ci : Que serait-il arrivé
aux clients si le programme n'avait pas existé ? Pour bien
définir la méthodologie d'étude, il importe avant tout de
savoir comment la microfinance affecte la vie de ses
bénéficiaires. L'effet économique est le premier qui vient
à la pensée.
Si la microfinance se limitait au
microcrédit3, il aurait suffit de mesurer cet effet pour
prouver l'impact de la microfinance. De plus il faudrait que l'activité
financée soit parfaitement identifiée, et que le crédit
n'ait qu'un effet économique sur la vie de l'emprunteur. Alors qu'en
réalité, la microfinance affecte la vie sociale et
économique des membres à travers d'autres aspects, tels que
l'éducation, la santé, les loisirs, etc.
2 Armendáriz B., Morduch J., The Economics of
Microfinance, The MIT Press, 2007
3 Il faut entendre par microfinance l'ensemble des services
financiers proposés par les IMF, comprenant le
microcrédit bien sûr, mais aussi l'épargne,
l'assurance, etc.
Ces effets ne sauraient être ignorés dans les
évaluations au risque d'avoir des résultats erronés.
Trois générations sont identifiables dans les
études consacrées à l'estimation des effets de la
microfinance, chacune orientée méthodologiquement par les
questions pertinentes de l'époque.
Ø Première génération
:
Il s'agit des premières études apparues vers le
milieu des années 1990, alors que la pérennité des IMF
était au cSur du débat.
Avec l'échec de nombreux programmes et
l'évidence de la dépendance accrue des plus performants aux
subventions, il s'agissait de comprendre les problèmes de fonctionnement
des IMF à travers leur performance économique.
Les financements étant de plus en plus difficiles
à trouver, seules les institutions les plus performantes
bénéficiaient des subventions et des rares fonds privés
destinés à cet effet. Les études étaient
principalement menées par des organismes comme l'USAID4 ou
encore la Banque Mondiale, et non par les IMF elles-mêmes. L'accent
était mis sur la capacité des institutions à fonctionner
de façon à couvrir leurs coûts opérationnels et
financiers, tout en permettant à leurs clients de
bénéficier économiquement des services offerts. Ces
études s'intéressaient plus au fonctionnement des IMF, qu'aux
impacts sur les clients, qui n'étaient appréhendés que
sous l'aspect purement économique. L'effet revenu était alors le
seul effet considéré, l'étude de Coleman citée par
Armendáriz et Morduch 2007 en est un bon exemple. A cette époque,
les rendements économiques prenaient effectivement le pas sur les
aspects sociaux du mouvement.
4 Agence des États-Unis pour le développement
international (United States Agency for International Development) est l'agence
indépendante du gouvernement des États-Unis chargée de
développement économique et de
l'assistance humanitaire dans le monde
Ø Deuxième génération
:
Les travaux correspondant à cette génération
sont plus nombreux.
A la fin des années 1990, les expériences des
premières études montraient une évidence : d'une part les
impacts de la microfinance devaient être recherchés du
côté des populations, d'autre part l'aspect social méritait
plus de considération. La question de l'impact social dirigeait ces
études.
Schreiner 2002 donne un cadre d'analyse des effets de la
microfinance basé sur cette philosophie et essentiellement
orienté vers les clients. Il y définit six aspects permettant de
mesurer l'impact socio-économique d'un programme: le niveau de richesse
des membres clients (« wealth »), le coût (à la charge
des clients), la portée sociale (l'importance sociale du
bénéfice d'un membre, « depth »), la taille de la
clientèle («breadth »), la durée de la mission («
length »), et l'éventail de services offerts (« scope »).
Les aspects économiques et sociaux sont ainsi pris en compte dans cette
analyse.
Cependant l'auteur démontre que les résultats
d'une telle évaluation dépendent de l'approche choisie. Ce choix
impliquait un arbitrage entre performance sociale et performance
économique.
Si l'on estimait que la performance sociale primait sur
l'efficacité économique, on adoptait l'approche dite de "la
pauvreté" qui considère que l'impact social d'une IMF est plus
accentué lorsqu'elle sert un nombre limité de clients parmi les
plus pauvres, dans une durée limitée et seulement avec le
crédit. De l'autre côté, on trouvait les partisans de
l'approche de "la souténabilité", accordant le plus d'importance
à la performance économique des IMF, et avançant
l'idée qu'il vaut mieux aider les moins pauvres en masse pendant
longtemps, avec différents services (notamment l'épargne). La
différence entre les deux approches se situe également dans les
sources de financement des activités des IMF. Pour la première,
la portée sociale d'une institution justifiait sa dépendance aux
subventions durant toute la durée de son existence.
Alors que les partisans de la souténabilité
financière estiment qu'une institution performante doit être
capable de dégager assez de profits pour couvrir ses coûts
opérationnels, par conséquent les subventions ne sont
nécessaires qu'au début de ses activités.
Les IMF se sont sensibilisées davantage aux mesures
d'impacts à cette époque, notamment pour attirer les nouveaux
investisseurs socialement responsables, plus intéressés par les
effets sociaux qu'économiques.
C'est aussi à cette époque qu'on voit
apparaître les premières sociétés de notation des
IMF sur critères sociaux comme Planet Rating.
Ø Troisième
génération:
Cette période s'étend du début des
années 2000 à nos jours. Les travaux actuels prônent une
approche globale (Morduch et al. 2007), une méthodologie combinant les
aspects économiques et sociaux dans l'évaluation des impacts. La
pérennité des institutions (performance économique) n'est
pas considérée comme incompatible avec l'impact social sur les
clients. Aussi, les deux aspects sont considérés dans la mesure
de la performance des IMF. Cette période est marquée notamment
par des améliorations méthodologiques, des modèles de plus
en plus rigoureux sont élaborés avec les nouvelles techniques
statistiques et économétriques.
L'implication de plus en plus grande des IMF dans ces
études s'explique par leur volonté d'améliorer les
services aux clients.
Dans une logique de pérennisation, la
compréhension des besoins des clients préoccupe de plus en plus
les acteurs. Il est également à noter que ces études sont
marquées par une controverse concernant les effets de la microfinance.
Une juxtaposition des effets positifs et négatifs est visible dans de
nombreuses études. C'est le cas de Rahman 1999 sur la Banque Grameen
dans les villages de Bengladesh ; il montre comment la contrainte du
remboursement des crédits peut augmenter la pression sociale
sur les catégories les plus en marge, celle des femmes en
l'occurrence.
Les études d'impacts sont aujourd'hui
confrontées à un défi: proposer un modèle
référentiel d'évaluation pouvant s'appliquer dans
différentes situations. Pour y arriver, les chercheurs et praticiens
doivent trouver des moyens d'amélioration des études actuelles,
en trouvant des techniques d'estimation mieux appropriées.
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