· Impact psychologique de la détention
provisoire et affectation de la perception des réalités sur le
comportement des accusés
Au choc genere par la commission du crime, car c'en est un
pour la plupart des auteurs independamment de toute notion de premeditation
d'ailleurs, succéde, le choc carceral.
La projection du presume innocent dans un univers dont jusqu'
alors il ne pouvait imaginer l'interieur ; les informations, recits, lectures
ou telefilms sur le sujet proposent une vision necessairement tronquee de la
realite ; la vision de dehors.
Dedans, la vision est autre : Quel que soit son statut, tout
detenu passe sa premiere journee en maison d'arrêt. Avant qu'un agent du
greffe de l'etablissement procède aux formalites de la mise sous ecrou,
l'arrivant est systematiquement soumis a une fouille integrale. Un numero
d'ecrou est alors attribue au detenu, qui devra le rappeler dans toutes ses
correspondances et dans tout acte de la vie quotidienne. Il est ensuite place
en OE cellule d'attente ç (cellule prevue pour accueillir les arrivants)
jusqu'au moment de son affectation dans une cellule ordinaire. Le detenu doit
avoir la possibilite de se laver et des vêtements peuvent en principe lui
être fournis s'il le demande. Il doit rapidement être mis en mesure
d'informer ses proches de son incarceration par courrier.
Le rituel d'admission est necessairement degradant, quelle que
soit la manière dont il est accompli par les surveillants, que ceux-ci
tentent de rassurer devant un desarroi manifeste ou qu'ils traitent le lot
d'arrivants comme une nouvelle fournee a dispatcher en detention. Parque dans
une cellule d'attente le plus souvent exiguë, le nouveau venu sera OE
libere ç pour suivre un parcourt prescrit : conduit au greffe, il devra
se soumettre aux formalites anthropologiques (empreintes digitales, photo),
repondre aux questions qui permettent au fonctionnaire de remplir sa fiche
penale, recenser tous les objets de valeurs qu'il a sur lui (bijoux, argent,
cheques) et ses papiers d'identites qui seront laisses en depôt a la OE
caisse ç de l'etablissement jusqu'a sa sortie. Puis il sera accompagne
au OE vestiaire ç et, la, il verra chacun de ses effets personnels
fouilles et inventories, et il comprendra vite, devant l'etalage de morceaux de
son intimite, qu'en prison l'usuelle distinction entre ce qui relève du
prive et du public n'a plus cours. Il sera dessaisi des vêtements et
autres objets qu'il n'est pas autorise a conserver en cellule et ceux-ci seront
remises au vestiaire de l'etablissement, gardien pour une duree inconnue de son
identite d'homme libre.
Ce choc carceral, plus de 95% des personnes poursuivies pour
un crime vont le vivre, quelque soit leur age (dans les limites legales), leur
sexe, l'ampleur du trouble cause a l'ordre public, le risque de recidive, de
pression exercee sur les victimes ou leurs proches et les garanties de
representation que ces auteurs presumes pourraient eventuellement
presentees.
Sur le plan psychologique, un double traumatisme est donc a
gerer, seul, dans la plupart des cas sans aucune aide, dans un univers a priori
hostile dans lequel creer des liens est synonyme de risque.
Deux configurations sont alors possible: le detenu est place
en cellule classique, avec d'autres codetenus avec lesquels il va devoir OE
cohabiter , soit il fait l'objet d'un placement a l'isolement, seul face a
lui-même, sans autre forme de communication que la faculte d'adresser des
courriers a l'exterieur mais prive de toute visite, hormis celle de son
avocat.
Le prevenu perçoit avec une vision pas toujours
très nette, qu'en l'espace de quelque 48 heures en moyenne, il vient de
quitter sa vie. Selon, les composantes de feu son existence (car il ne la
retrouvera jamais en son integralite) et sa propre personnalite, la peur
engendree par la perception même confuse de cette realite peut être
plus ou moins intense et peut ou non s'exprimer par un comportement de repli
sur soi, de fuite (la consommation de somnifères en detention est
impressionnante bien que medicalement geree, sans compter la circulation de
stupefiants) ou de revolte.
Plus le prevenu aura connu une vie socialement integree, plus
cette etape lui sera penible a vivre.
A cette perte generalisee de repères environnementaux,
sociaux, affectifs et materiels s'ajoute la reaction face a l'acte commis:
reaction guidee par la nature même du crime, la possibilite ou
l'impossibilite de s'en expliquer les mobiles, la presence ou l'absence de
remords.
Cette reaction sera, dans la plupart des cas evolutive durant
le cours de la detention, jusqu'a parfois aboutir a l'expression de sentiments
diametralement opposes a ceux initialement exprimes.
Ce phenomène incontestablement lie a la duree des
detentions provisoires en matière criminelle (*dont la moyenne se situe
autour des vingt-trois mois) mais relève egalement de l'evolution de la
personnalite confrontee a l'univers carceral.
* Rapport sur les conditions de détention en France,
Sénat 2005
Il n'est pas rare, notamment en cas d'homicide involontaire ou
de meurtre ulterieurement requalifie en coups et blessures ayant entraIne la
mort sans intention de la donner, de voir le prevenu se confondre en remords,
exprimer une immense compassion a l'egard de la victime.
Quelque soit l'acte commis, humaine est la reaction consistant a
implorer le pardon des siens dans l'espoir de sauvegarder sa vie passee.
Ce remord, aussi sincere soit-il a l'instant de son
expression, voit frequemment sa place evoluer dans la sphere de detresse
sociale vecue par le prevenu. Centre au fil du temps sur sa personne et les
evènements de la maison d'arrêt (ceux de l'exterieur ne lui
parvenant que par bribes au gre des courriers ou visites) ; le prevenu s'adapte
malgre lui a son environnement et evolue en fonction de ce dernier.
L'experience de l'incarceration depend de la place occupee par
la prison dans l'histoire de vie des personnes ; pour un non recidiviste cette
place etait jusqu'alors inexistante d'oü l'amplitude particulière
du risque traumatique durable.
La souffrance liee a la privation de liberte, a la
promiscuite, a la frequentation d'un milieu impose, a l'eloignement familial et
affectif peut, sur la duree, être ressenti, comme une injustice en
l'absence de condamnation et amener le prevenu a une attitude de victimisation.
La carence de vie sociale le conduit des lors a ne considerer que la seule
problematique de sa privation de liberte, excluant la prise en consideration du
crime commis, la comprehension du sens des mesures ordonnees dans le cadre de
l'information en cours, le sens de la repression, les actes accomplis par son
avocat dans le cadre de sa defense...Lequel avocat n'etant cense n'avoir
d'autre preoccupation que la remise en liberte immediate de son client.
Dans cette configuration, ramener progressivement son client
au plus près de la realite des faits et du dossier relève de la
gageure, necessite du temps, de la sensibilite sur le plan psychologique et
parfois même de la fermete au risque de se voir dessaisi du dossier au
profit de quelque confrere apportant une vision plus conforme a celle attendue
par le prevenu.
Les honoraires perçus dans le cadre de procedures
criminelles sont eleves diront a l'unanimite accuses et victimes ; mais ils
restent sans commune mesure avec le volume d'heures consacre au traitement de
ces dossiers. Les rendez-vous ou visites en maison d'arrêt seront par
leur nombre et leur duree toujours insuffisants. Les interrogatoires,
confrontations, reconstitution, sollicitations du prevenu d'incessantes
demandes de mise en liberte provisoire, sollicitations de la famille desemparee
perdue dans les meandres de la procedure ; tout cela constitue un
investissement, certes professionnel mais avant tout humain. Prendre en charge
un client, c'est aussi accepter et assumer le souci que l'on aura de son vecu
et de son devenir a travers le prononce de la decision le concernant.
Que dire des dossiers criminels acceptes au titre de l'aide
juridictionnelle par les avocats, contrairement aux idees reçues ou
propagees, ils ne constituent pas un investissement au rabais ni une occasion
de multiplier les actes de procedure inutiles dans le but d'augmenter le nombre
d'unites de valeurs retenues pour le versement de la remuneration.
Ces dossiers concretisent la realite et la profondeur du
serment des avocats. Il est au combien plus difficile de trouver un medecin
acceptant la CMU. A croire que tous les serments ne conservent pas la
même force a l'epreuve du temps.
Dans une perception de la realite souvent faussee par les
effets de la detention, l'avocat a a accomplir une mission specifique de
rationalisation et de pedagogie. Cette mission vise deja la preparation de son
client a affronter son procès. Cette mission ne peut être remplie
par aucun autre intervenant judiciaire ou penitentiaire ; elle implique des
moyens a developper, a ameliorer, a inventer. Des moyens dont la mise en oeuvre
impacte le verdict et qui, a ce titre, devraient constituer des droits de la
defense.
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