? Vers un affaiblissement de l'art oratoire ?
Le constat s'impose que nous traversons une periode
d'aggravation de la repression au cours de laquelle toutes les reformes
effectives ou avortees tendent vers le même objectif : instaurer plus de
severite et limiter l'exercice des droits de la defense. Il ne s'agit pas ici
de developper les motifs de cette tendance, pas plus que le contexte dans
laquelle celle-ci se fond ni même de debattre de leur caractère
legitime ou illegitime. Cependant, certains projets de reformes, au-delà
de l'impact recherche, peuvent entraIner de profondes modifications de la
profession d'avocat ; risquant de reduire celui-ci au seul rang de technicien,
sans coeur ni âme :
Parmi les << grands ç projets en cours de
reflexion, la limitation des temps de plaidoirie constitue l'une des
dangereuses aberrations de notre temps: Imaginons l'avocat debitant ses
arguments au rythme effrene de son chronomètre, l'oeil rive sur ce
dernier, focalisant sur le respect de cette obligation, ne regardant ni la Cour
ni les jures auquel il est sense s'adresser !!
Pourtant, toutes les plaidoiries ne s'eternisent pas a
l'instar de l'affaire Clear Stream; la moyenne se situe plus près des
vingt a trente minutes que des quatre heures !! D'autre part, limiter le droit
d'expression de la defense et de la partie civile necessite de reflechir aussi
a l'obligation d'etendre cette même limite au requisitoire du procureur
de la Republique...Histoire de respecter l'equilibre des forces en presence.
*Plus grave encore les projets visant a compromettre l'avenir
même des Cours d'Assises :
La cour d'assises est la seule juridiction française
qui fonctionne avec un jury populaire. C'est là un heritage que nous a
legue la Revolution française qui avait même, un temps, essaye de
composer ainsi tous les tribunaux...
Le fonctionnement des cours d'assises a longtemps ete
critique, notamment parce que ses decisions, qui etaient les plus lourdes de
consequences pour les condamnes etaient insusceptibles d'appel jusqu'à
la reforme du 15 juin 2000.
Il serait question de supprimer ce jury populaire en premiere
instance, ou plutôt, de ne conserver le jury que pour les crimes les plus
graves. Motif invoque : les cours d'assises ne sont pas des juridictions
permanentes (elles siegent par sessions) et donc la justice qu'elles rendent
est beaucoup trop lente. On attend leurs jugements pendant plusieurs mois, dans
la plupart des cas plusieurs annees du fait notamment de la longueur de
l'instruction precedant l'arrêt de renvoi. C'est pourquoi il existerait
une tendance a OE correctionnaliser ç les crimes pour en faire des
delits afin de les faire passer devant le Tribunal correctionnel (pour aller
plus vite). Ainsi, par exemple, un viol qui est un crime, sera qualifie
d'agression sexuelle - un delit - et echappera a la cour d'assises.
La motivation officielle de ce projet reside donc en une
meilleure gestion du facteur temps: Qui veut-on convaincre en developpant une
telle argumentation?
L'histoire des incriminations et de leur repression foisonne
d'elements probants et notoires des veritables motifs de correctionnalisation
de certains crimes: le principal motif etant toujours de remedier a l'humanite
des jurys populaire et d'eviter acquittements ou non-lieux...
La justice professionnelle est moins sensible aux grandes
envolees et aux effets de manche de la defense ou aux diatribes du parquet.
D'autre part, il semble aberrant d'etablir une distinction
entre les crimes les plus graves (qui relèveraient toujours du jury
d'assises) et les moins graves (qui relèveraient d'un tribunal criminel
de premiere instance compose uniquement de magistrats professionnels), les deux
etant soumis au second degre a la cour d'assises d'appel.
Cela aboutirait au remaniement complet de la classification
des infractions: au lieu des trois existantes - les contraventions qui
dependent du tribunal de police, les delits qui relèvent du tribunal
correctionnel et les crimes qui reviennent a la cour d'assises -, on en aurait
quatre puisqu'il y aurait les OE petits crimes ç et les OE grands crimes
ç.
Si la France a fait l'objet de plusieurs condamnations par la
Cour Europeenne des Droits de l'Homme tant pour la lenteur de ses procedures
que pour la duree des detentions provisoires ; faute n'est en aucun cas a
l'engorgement des Cour d'Assises ni a leur caractère intermittent.
Il serait interessant d'etudier l'evolution du nombre de
magistrats instructeurs au cours de cette dernière decennie, non sans se
feliciter de l'abandon même temporaire de la reforme visant la
disparition pure et simple de la fonction.
Quant a la duree des detentions provisoires, le bilan de
l'inapplication de l'article 144 du Code de Procedure Penale (Dans sa trop
recente redaction) s'avererait sans nul doute edifiant a cet egard.
Le jugement des OE petits crimes ç ainsi banalise aux
yeux de l'opinion publique deviendrait affaire de praticiens ; obeissant aux
regles de plaidoirie correctionnelle, tendant vers une technicite toujours plus
importante, diminuant la place accordee au talent et a la sensibilite des
defenseurs.
Au fil du temps, la profession pourrait y perdre son sens de
la rhetorique, son humanite, sa flamme, son aura, son identite...Sa dimension
sociale ainsi menacee diminuerait sa force dans sa lutte permanente en faveur
des libertes fondamentales et de la democratie.
* Dominique Boy-Mottard, le Monde 7 juin 2010
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