? Difficile recherche d'un equilibre entre poids des mesures
expertales et vérité vécue par les inculpés
Le procés penal a pour objectif supreme la
manifestation de la verite. Cette dernière peut se definir en droit
penal comme l'affirmation ou la representation exacte de la realite des faits
de l'espèce. Alors que la verite est objective, la veracite est
subjective. Celui qui parle avec veracite, avec franchise, expose ce qu'il
pense sincèrement être la verite ; on ne peut attendre plus d'un
accuse; on devrait toujours en attendre autant d'un temoin.
Parmi d'autres textes, l'art. 310 du Code de Procedure Penale
rappelle au president de la Cour d'assises que le but de toute instruction
criminelle consiste en premier lieu dans la recherche de la verite ; non d'une
verite philosophique portant sur des notions abstraites, mais de la verite
materielle concernant l'existence des faits concrets qui font l'objet des
poursuites. Le tribunal doit donc veiller a ce que l'information s'effectue
dans le
respect des droits du prevenu et de la partie civile sans
jamais oublier que son but prioritaire est l'etablissement de la verite.
Si l'on conçoit aisement l'impossibilite de
retranscrire a la matière penale la theorie generale de la preuve
civiliste ; le principe de la liberte de la preuve en depit de sa logique
n'apporte aucune facilite a l'exercice ; qu'il s'agisse de celui de
l'accusation comme celui de la defense d'ailleurs.
Si l'on semble en avoir termine avec la toute puissance de
l'aveu et que l'on tend a convenir de la necessite pour ce dernier d'être
corrobore par d'autres elements pour emporter l'intime conviction; il faut
cependant avoir a l'esprit qu'un tel raisonnement ne peut emaner que d'un
professionnel, non d'un jure, susceptible d'accorder quelque credit au dicton
OE il n'y a pas de fumee sans feu ç
D'autant que l'aveu fait encore des ravages au coeur
d'affaires contemporaines : De Seznec a Outreau, tout commence par
l'enquête policière et par les choix d'un directeur
d'enquête, qui, parmi les pistes envisageables pour retrouver le ou les
auteurs de faits criminels, va asseoir ses certitudes sur la seule piste qu'il
privilegie, pour des motifs qui lui sont propres (ou parfois dictes) : il
choisit son coupable et neglige les autres.
Notre Droit penal est ainsi fait que le suppose coupable,
apprehende, place en garde a vue, entre dans une zone oü la Defense n'est
pas admise : il est livre aux services enquêteurs qui sont contraints de
faire coller a leur version, encore virtuelle, les declarations de leur OE
client ç.
De cette longue confrontation a armes inegales,
enquêteurs et garde a vue il restera un cahier d'enonciations horaires
des temps de OE repos ç en cellule de l'interesse, de ces periodes
d'alimentation, etc. Le reste sera le dossier des declarations du garde a vue,
ou des confrontations. Le fait est, que des aveux peuvent être recueillis
durant cette periode : Aveux spontanes ou extorques, ils pèseront lourds
dans la strategie de la defense bien au-dela de leur retractation.
L'interesse, qui, souvent, n'a jamais eu a faire a la justice
auparavant, ignore au debut ce qu'il est cense avoir commis et, l'apprenant,
proteste aussitôt ; place en cellule pour reflechir : il se pense victime
d'une erreur, reste serein ou panique totalement. Mais la capacite de reflexion
du garde a vue de survie et de defense s'emousse au fil des heures, face a ce
qu'il ne comprend pas, et il dispose d'un inconvenient majeur d'être,
comme tout être humain, sensible aux pressions psychologiques.
Pendant ce temps, tout est exploite, tout est repertorie dans
le dossier : ses silences, ses hesitations a repondre, le manque de clarte de
ses reponses, voire ses contradictions, ses declarations successives, ses
reponses a des questions, resumees sur le papier, mais qui etaient beaucoup
plus suggestives. Le tout est signe a chaque fois par l'interesse, qui confirme
donc l'exactitude de ce qui est ecrit. Au terme de ce scenario, l'aveu
mensonger est assimilable au suicide de l'innocent, pour en finir !! Fort de
cette prise de conscience (après combien de drames ?), l'aveu doit donc
être complete par d'autres indices graves et concordants.
Le temoignage, a l'instar de l'aveu, fait l'objet d'une prise
en consideration reservee : l'experience demontre de façon significative
que la même scene a laquelle assistent plusieurs personnes simultanement
donnera lieu a une pluralite de recits differents voire contradictoires.
L'accusation, sur qui repose la charge de la preuve de la
culpabilitO dispose de moyens importants visant démontrer l'existence
d'un lien causal entre crime et accuse. Ces moyens scientifiques viennent
corroborer ou contredire aveux et temoignages et pèsent
considérablement sur les verdicts prononcés.
*L'expertise moderne apparaIt dans notre legislation avec le
Code Civil, le Code d'Instruction Criminelle et le Code Penal. C'est du reste a
cette epoque qu'apparaissent la medecine du crime et l'expertise medicale en
matière civile. Tout au cours des XIXème et XXème
siècles, l'expertise s'est developpee, en matière civile comme en
matière penale, expertises obligatoires ou facultatives, au point que
l'on peut aujourd'hui se demander s'il n'existe pas un abus du recours a
l'expertise, l'abus residant aussi dans le fait que les rapports des experts
ont acquis aujourd'hui valeur de quasi-preuve.
Il convient de s'attarder un instant sur la procedure de
designation des experts: Les experts designes sont habituellement ceux figurant
sur les listes des Cour d'Appel; frequemment surcharges de travail, ces
designations ont pour effet de ralentir considerablement la marche de la
procedure.
* Place des experts, Me François Gibault
Pour pallier cette difficulte, certains Juges d'Instruction
font appel a des Experts non inscrits qui sont en mesure d'executer plus
rapidement leur mission. La longueur des expertises, environ trois mois pour
une expertise psychiatrique, constitue ainsi une atteinte, au moins indirecte,
aux droits de la defense. Certains Avocats, dans des affaires correctionnelles,
renoncent parfois a demander une expertise pour ne pas prolonger la detention
de leur client
En matière penale, les Experts sont essentiellement
designes par les Juges d'Instruction, mais les Experts peuvent egalement
être nommes par les Juridictions de jugement, Tribunaux et Cours d'Appel,
y compris les Chambres de l'Instruction. Les Presidents des Cours d'assises ont
egalement ce pouvoir, avant l'ouverture des debats, puis les Cours d'Assises
ont le même droit. Le juge dispose d'une liberte absolue pour designer
l'Expert ou les Experts de son choix sans consultation des parties, et ce droit
constitue une premiere atteinte a la regle du contradictoire.
Aujourd'hui, les Juges d'Instruction ne notifient plus aux
parties les Ordonnances par lesquelles ils commettent des Experts. Mais il y a
pire. En effet, ces Ordonnances, qui ne sont evidemment pas susceptibles
d'appel, sont placees par le greffier dans une cote secrete dite << en
cours ç a laquelle les Avocats n'ont pas accès. En d'autres
termes, l'avocat ne sait pas si une expertise a ete ordonnee et ne connait donc
pas le nom de l'Expert designe, le nom du psychiatre par exemple charge
d'examiner son client, de telle manière qu'il est dans l'impossibilite
de prendre contact avec lui et de lui communiquer informations et documents qui
pourraient lui être utiles pour l'execution de sa mission.
L'atteinte aux droits de la defense est ici manifeste.
Pour en revenir a la designation des Experts, dans la
pratique, ce sont generalement les mêmes Experts qui sont designes par
les mêmes Juges. Il se cree ainsi, consciemment ou inconsciemment, entre
le Juge et l'Expert, des liens intellectuels mais aussi des liens economiques.
Les deux paraissent regrettables. Cette observation est essentiellement valable
pour les Expertises psychiatriques et plus encore pour les Expertises
psychologiques.
Le Juge designe l'Expert et lui definie sa mission.
Generalement, il lui parle de l'affaire, et l'on imagine que, au cours de cet
entretien, il lui donne son point de vue. Il lui montre les pièces
essentielles puisque, des sa designation, l'Expert a accès au dossier.
Dans la pratique le Juge lui envoie même, ou lui remet, une copie des
pièces susceptibles de l'eclairer et de lui faciliter sa mission. Ainsi,
lorsqu'il se rend a la prison pour executer sa mission, l'Expert psychiatre
connaIt-il l'opinion du Juge, ce qui est reproche a la personne qu'il doit
examiner, il connaIt notamment son système de defense, et ses
antecedents, il est deja averti d'un certain nombre de choses et il connaIt
même, lorsqu'il s'agit d'une contre-expertise, l'avis du ou des Experts
precedemment nommes avec la même mission.
L'expertise est en principe facultative mais en matière
criminelle, les derogations a ce principe sont nombreuses : autopsie
obligatoire si l'infraction a entraIne la mort de la victime, expertise
psychiatrique et psychologique de l'auteur presume...
Dans le proces penal, l'encadrement de la procedure expertale
s'applique dans un schema vertical oü le juge definit les limites de la
mission par un encadrement de questions precises, l'expert s'y conformera selon
la doctrine expertale « ía mission et rien que ía
mission » ; Cette instrumentalisation relève d'une politique
souverainiste qui guide la main invisible du droit oü l'expertise n'est
pas censee s'ecarter du cadre fixe par le juge. Ce cadre, necessaire au risque
de voir apparaItre dans les conclusions de l'expert une prise de position
personnelle presente neanmoins l'inconvenient d'interdire a l'expert de
soulever tout autre point pertinent mais ne figurant pas dans la liste des
questions posees.
L'independance statutaire des experts est preservee. L'expert
judiciaire ne dispose d'aucun statut dans le corps judiciaire, il reste affilie
a sa profession et attache a son organisation professionnelle, la denomination
relève plus d'une qualite que d'un titre selon un arrêt de la
chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 10 janvier 1991. Son
serment est un appel solennel a l'honneur et a la conscience, il s'agit d'un
rappel du principe de loyaute qui doit accompagner l'expert dans sa mission et
dont les modalites sont prevues par les articles 77-1 al.2, 157 et 160 du code
de procedure penale. La qualite d'expert est ainsi reconnue a toutes personnes
qualifiees qui restent soumises a l'article 60 du code de procedure penale.
Le cadre de l'expertise, quelque soit le praticien
visé, se définit comme suit:
L'existence de la mission suffit a determiner la qualite
qu'elles soient ou non inscrites sur les listes de la cour d'appel comme le
prevoit l'article 157 du code de procedure penale. C'est ainsi que la
jurisprudence definit le
râle de l'expert comme une personne qualifiee designee
par le Juge et qui donne en toute independance et impartialite un avis d'ordre
technique.
Le rapport d'expertise se divise en general en quatre parties
distinctes : Un preambule qui rappelle les termes de la mission, un resume de
la procedure avec une distinction des parties en presence et leurs positions
respectives puis un expose des differentes phases de l'expertise suivi d'une
discussion des elements recueillis et de l'avis de l'expert
Si, d'un point de vue juridique, l'expertise ne constitue pas
une preuve mais cree une presomption ; en pratique, l'impact de la mesure
ordonnee tend a prendre une importance telle que l'acte est credite d'une
veritable force probante. C'est l'absence d'interêt personnel qui
determine le caractère exceptionnel de la parole de l'expert. Le rapport
contribue a attester de la realite ou d'une realite, il s'agit donc d'une
demonstration de causalites qui eclaire une situation qui echappe plus ou moins
a la comprehension de la Cour et des jures.
Mais si la nature exogène de l'expertise dans le
procès penal contribue a l'elaboration d'une decision, elle ne garantit
pas pour autant l'infaillibilite des resultats.Le principe du contradictoire et
de la contre-expertise sont par consequent indispensables tout
particulièrement dans les sciences humaines et les sciences appliquees
plus favorables a l'interpretation subjective.
Le Juge d'Instruction, puis la juridiction de jugement sont
entièrement libres de suivre ou de ne pas suivre l'avis de l'Homme de
l'Art. L'Article 427 du Code de Procedure Penale enonce le principe que le Juge
doit decider d'après son intime conviction. Il est le Juge des preuves.
En pratique, il en va differemment car, en bien des matières,
l'expertise peut constituer une preuve. Qui niera que dans certaines affaires
des condamnations sont prononcee au vu d'empreintes digitales, au vu de
l'analyse du taux d'alcoolemie, grace a la telephonie, et plus encore grace aux
analyses ADN...Même si la loi ne fait pas obligation aux juges de rendre
compte des moyens par lesquels ils ont forge leur intime conviction.
Ce râle, frequemment crucial de l'expertise dans le
procés criminel soulève pour les avocats plusieurs problematiques
distinctes :
Au stade du temoignage de l'expert, celui-ci rendra compte de
sa mission et de ses conclusions, qui, selon la matière peuvent conduire
a une impossibilite de fournir une reponse certaine aux questions posees :* A
titre d'exemple, la datation de la mort constitue un exercice plus difficile
qu'il n'y parait dans les series televisees : la reussite de la mission depend
d'une multitude de facteurs tel l'etat de decomposition ou non du corps, le
lieu d'entreposage de celui-ci depuis la mort et lors de la decouverte, la
saison et la region de decouverte s'il etait a l'air libre ou la nature de son
environnement d'enfouissement...Dans des conditions optimales, la datation
pourra être realisee a trente minutes près, a qui profiteront ces
trente minutes, a l'accusation ou a la defense?
Le râle de l'avocat, quelle que soit sa position est
d'avoir pleinement conscience de l'existence de ces fameuses trente minutes
minimales et de qu'elles peuvent ou non apporter a son client afin, le cas
echeant, d'être en mesure de les exploiter dans sa plaidoirie.
Cela implique pour l'expert de faire preuve d'une grande
pedagogie dans l'enonce de son temoignage car cette donnee, manifestement
inconnue des jures, peut ne pas l'être davantage pour l'avocat debutant,
même si en pratique, le cas fait figure d'hypothese d'ecole.
Chaque partie possède l'opportunite d'intervenir pour
appuyer ou critiquer le rapport d'expertise aux moyens de questions qui
pourront contenir des observations et qui soulèvent des points
importants. Si des observations ont deja ete deposees, chacune des parties doit
en tenir compte avec le rapport qui detaille les faits et parfois determine la
relation de cause a effet entre l'infraction et un auteur suppose.
L'avocat doit bien connaItre le rapport d'expertise avant de
reprendre les points qui posent un problème a son client, il peut s'agir
de contradictions entre le rapport et les conclusions, d'un procede expertal
decrie, d'erreur de calcul, ou d'interpretations qui sont personnelles.
Il s'agit aussi de preparer la plaidoirie finale et d'essayer
de redimensionner un rapport en adaptant un vocabulaire plus accessible dans un
sens plus favorable a la partie que l'avocat represente.
D'autre part, le domaine des mesures expertales s'est elargi
avec les progrès scientifiques realises ; il necessite pour l'avocat un
socle de competences diversifiees dont il ne dispose pas au vue de sa
formation. L'arrivee de l'expert est un moment important lors des sessions
d'assises, ce n'est pas pour le jure une personne ordinaire, il y a une
certaine deference qui semble le mettre a egalite avec les magistrats
professionnels, il represente la connaissance et donc dans l'esprit des jures
une verite consideree avec attention. Cette representation de la verite est
parfois doublee d'interpretations surprenantes de la part des jures.
. * Stage médecine légale CHU Grenoble
A titre d'exemple, dans l'esprit des jures, la declaration par
l'expert psychiatre de l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altere le discernement de l'auteur au moment des faits devrait, selon les
termes de l'article 122-1alinea 2 du Code Penal devrait conduire a l'admission
facilitee de circonstances attenuantes ; tandis que, dans l'esprit des jures,
cette alteration est souvent signe de dangerosite et peut conduire au prononce
d'une peine sevère visant a proteger la societe contre le risque
represente par le criminel.
L'avocat doit defendre les interêts des personnes qu'il
represente, dans l'expertise son râle appuie ou combat les conclusions
d'une expertise, son objectif n'est pas de rechercher une quelconque verite
mais d'obtenir l'adhesion même momentanee de la Cour et des jures dans
son argumentation qui sera reprise dans la motivation d'une decision. Pour se
faire, il devra s'engouffrer dans la moindre faille du temoignage de l'expert,
faille soulevee lors des debats et reprise dans sa plaidoirie. Dans l'optique
inverse, il devra renforcer les propos de l'expert jusqu'à leur
ôter le moindre caractère faillible.
Il s'agit ici d'une strategie de la regle du contradictoire ou
un rapport de force s'engage contre « l'adversaire », car le
magistrat jouit d'une liberte d'action dans la presentation du rapport
d'expertise qu'il peut evaluer, rejeter ou enteriner avant d'en faire ou non la
source de sa decision.
L'avocat ne doit donc pas sous-estimer la force d'un rapport
d'expertise defavorable pour son client et doit agir en consequence, notamment
en cas de non-respect de la procedure d'audition car a ce stade les nullites de
l'information sont d'ores et dejà purgees. .. Agir en consequence, c'est
ici agir avec methode et avec une precision chirurgicale qui implique une
concentration accrue lors de l'audition, decelant chaque silence, autopsiant
chaque mot, chaque question posee, chaque reponse fournie...chaque conditionnel
employe.
Ce travail sera effectue pour chacune des expertises
pratiquees et sera exploite selon la nature de la mesure dans la partie de la
plaidoirie evoquant les faits commis et les circonstances de cette commission
ou dans la partie evoquant la personnalite de la victime ou de l'accuse
defendu. La structuration du discours, plus que devant toute autre juridiction
est en Assises capitale. En raison de la continuite des debats, les plaidoiries
arrivent generalement après au moins deux jours d'audience, les jures ne
sont en rien habitues a ce type d'exercice necessitant de leur part une
attention et une disponibilite intellectuelle qu'ils ne deploient
peut-être pas ou rarement dans leur vie professionnelle. En consequence,
pour atteindre l'objectif vise, la clarte est de mise ; l'eloquence seule ne
saurait suffire si elle s'exerce de manière desordonnee. Les jures ne
doivent pas entendre, comprendre, ils doivent être suspendus au discours
de l'avocat pour le ressentir au plus profond d'eux-mêmes, il est
illusoire de pretendre atteindre ce resultat sans fil conducteur au moyen d'une
argumentation semee au vent des consciences qui aurait ainsi peut de chance de
produire le moindre germe.
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