? Evolutions contextuelles dictées par la pression
sociologique et médiatique
A titre d'avant propos, il semble impératif de rappeler
quelques réalités élémentaires mais souvent
occultées indissociables de la présente réflexion :
L'évolution de la criminalité constitue une
denrée difficilement mesurable et ce pour de nombreux facteurs :
Cette criminalité si précisément quantifiée,
surtout en période électorale, ne peut nécessairement
englober que les infractions découvertes et dont les autorités de
poursuite ont eu connaissance ; l'augmentation de faits dénoncés
ne saurait signifier abruptement une augmentation de la commission d'un type
d'infractions déterminé ; l'évolution des incriminations
ne fait l'objet d'aucune analyse statistique, quid des disparitions
inquiétantes non élucidées et a fortiori non
comptabilisées au titre d'une infraction ?...
C'est a partir de ces <<variables ç que nos
prétendants au gouvernement ou, selon les périodes, nos
gouvernants, nous exhortent a faire face a une montée de
l'insécurité.
Pourtant, en dépit de ces discours alarmistes, la
diminution des crimes de sang est constante depuis déja plusieurs
années et donc depuis plusieurs septennats et quinquennats.
Le nombre de crimes commis dans la sphere familiale augmente.
Les auteurs de crime tendent a être de plus en plus jeunes...et de plus
en plus âgés également même si le
phénomène << porte ç moins dans l'opinion
publique.
* La victimisation Thèse de Souad Bouaoili-Ait Ouarab
L'insecurite règne, evoquee avec le plus grand serieux par
nos politiques gonflant par leurs propres comportements infractionnels les
chiffres si habillement decries !!
Qui d'autre que les autorites elles-mêmes decrit le
sentiment d'insecurite OE vecu ç par les citoyens ?
Selon donc, les autorites, le seuil de tolerance de la
population face au risque diminuerait de façon reguliere et
significative...s'interroge t'on sur la nature du risque invoque ? Serait-ce
celui de faire l'objet d'un placement en garde a vue ? En depit de son ampleur,
(il concerne a lui seul plus de 1, 3 % de la population française totale
!!), il ne fait aucun doute qu'il ne soit ecarte de la reflexion !!
La demande de protection de la population face au risque est
une demande croissante a laquelle se doit de s'adapter le concept de securite
interieure. La vulnerabilite des citoyens justifie cette demande de protection;
vulnerabilite liee aux evolutions demographiques telle le vieillissement des
populations, aux mutations sociologiques telles l'augmentation des familles
monoparentales...a la pauperisation, a la montee du chômage et de la
precarite ; même si, cela va de soit, ces facteurs de vulnerabilite ne
sont pas cites.
La complexite de la societe contemporaine justifie cette
demande de protection: l'augmentation des flux de population, la disparition du
contrâle social, l'urbanisation, la perte de repères de la
jeunesse et la banalisation des stupefiants concourent a cette complexite
croissante.
De l'incident au phenomène de societe, le pas se
franchit allegrement : la violence a l'ecole est intolerable (Pourrait-on
d'ailleurs concevoir qu'elle le soit ailleurs ?) Il revient donc en toute
logique aux juridictions repressives la charge de gerer et de sanctionner la
perte de valeurs, la demission des parents et les carences de l'education
nationale.
La pression sociologique s'exerce et influe sur les strategies
de defense des criminels dont on se doit de faire le procès, et non bien
sOr celui d'un système repressif, intolerant, liberticide, tentant
lâchement de faire endosser au citoyen la responsabilite de ses actes.
Une pression sociologique generee a dessein et relayee par les
medias...
*Tous les faits, evenements ou comportements ne disposent pas
d'une probabilite identique d'être mediatises. Une selection
s'opère selon des critères recurrents : la preference est
accordee aux faits immediats susceptibles de donner lieu a une mediatisation en
temps reel ; d'autre part, les faits survenant dans un contexte familier
disposent d'une forme de priorite sur ceux qui surviennent dans des contextes
davantage atypiques.
Le contexte familier favorisant l'identification emotionnelle
du consommateur potentiel du contenu mediatique ; puis les faits
personnalisables qui peuvent être reduits, a des questions de personnes
sont plus frequemment exploites par les medias ;
Enfin, les faits de nature hautement dramatique occupent la
une des medias, quelque soit le support de communication utilise.
Or, ces caracteristiques commerciales se retrouvent dans la
quasi-totalite des faits criminels ; ce qui semble justifier la place
privilegiee des faits divers sanglants dans nombre de medias. Selon les
epoques, certains crimes seront OE privilegies ç par rapport a d'autre :
les poisons ont eu leur heure de gloire ; aujourd'hui les drames familiaux
connaissent la leur, tout comme la pedophilie...Tandis que l'on nous invite
sans sourciller tirer les leçons d'Outreau.
Ces recits, regulièrement illustres par un panel de
reactions triees sur le volet constituent l'information consacree par la
liberte de la presse dont une part du budget est affectee au paiement des
amendes et dont une part de l'espace est sacrifiee a la publication des
decisions judiciaires la condamnant. Certes, ces comportements ne sont fort
heureusement pas generalisables mais ils demeurent dangereux car touchant les
classes moyennes et donc une masse importante de personnes pour qui d'autres
categories de medias restent inaccessibles.
S'agissant des reactions, le developpement de l'Internet a
engendre une liberalisation totale des reactions jusqu'alors exprimees a la
demande des medias decideurs de l'opportunite de leur publication. La toile a
supprime ce OE contrâle ç des medias sur l'information,
transformant le web en un immense cafe du commerce oü tout se dit, tout se
lit, tout et n'importe quoi, par n'importe qui, a grand renfort de blogs et a
la faveur d'une carence notoire de règlementation... diffamation, non
respect de la vie privee, non respect de la presomption d'innocence,
discriminations, negationnisme...Toutes ces infractions sont commises, en une
quasi impunite averee, par des auteurs persuades d'exercer en toute legalite
leur liberte d'expression.
* Médiatiser ou média-attiser le crime ? M
Dantinne
Mais au-deíà des mécanismes
utiíisés pour rendre compte du crime, se pose ía question
des conséquences de ce rendu :
Peu nombreux sont les citoyens qui n'ont pas d'opinion sur les
causes de la criminalite en tant que phenomène, le criminel en tant
qu'être humain (ou pas humain d'ailleurs), le crime en tant qu'acte et
les manières d'y remedier, parfois en termes de prevention, souvent en
matière de repression. Les medias sont au coeur des interactions
sociales qui donnent un sens a ces faits et ils peuvent des lors presenter un
impact sur les representations sociales qu'ils concernent.
La surrepresentation evoquee des formes violentes de crime
constitue un exemple general de distorsion de la verite quantitative.
A titre de demonstration de ce phenomène, il y a lieu
de citer une etude realisee par *Laurent Muchielli, sociologue français
: Analysant le phenomène des viols collectifs, il a fait emerger que de
1990 a 2000, ce type de crimes a fait l'objet de quatre gros titres par an,
pour passer de cinquante a trente-deux et vingt-trois titres par an avant de
revenir a quatre en 2004. Comparant ces valeurs a celles des statistiques
officielles de condamnation, Muchielli put mettre en evidence le
caractère plus que claudicant des representations forgees par l'image
mediatique : en effet, sur les annees envisagees, le nombre de condamnations
pour viols collectifs n'avait pas varie de façon statistiquement
significative et aucune correlation n'a des lors pu être etablie.
Au-delà des preoccupations quantitatives, les medias,
traitant de la question criminelle, sont aussi susceptibles de vehiculer des
stereotypes, de vicier qualitativement les representations sociales qu'ils
contribuent a former. En effet, l'analyse des contenus mediatiques
prealablement quantifies met en exergue le constat selon lequel le
phenomène des viols collectifs etait quasi implacablement presente comme
le fait des << jeunes des cites ç, accentuant au passage une
double stigmatisation, celle de cites banlieues reancrees dans leur image de
<< zones de non-droit ç et celle des jeunes de ces quartiers
marques au fer rouge de leur etiquette de jeunes a risque et/ou dangereux.
En matière de criminalite, les evaluations et les
opinions du public tendent a refleter beaucoup plus les conceptions et les
representations que se font les medias que la realite elle-même. L'impact
des medias sur l'opinion publique est croissant et non l'inverse comme bon
nombre de journalistes se complaisent a croire. Face a cette omnipresence des
medias dans le voisinage des Cours d' Assises, l'Avocat fait un choix : celui
de l'utilisation ou de l'absence de communication.
Cette fonction de communication s'exerce dans un cadre
reglemente, en depit de la suppression depuis 1944 de l'obligation
d'autorisation du bâtonnier prealablement a toute expression publique.
*L'article 5.3 du Reglement Interieur de la profession
dispose:
<< 5.3.1...l'avocat s'exprime librement dans les domaines
de son choix et suivant les moyens qu'il estime appropries.
Il doit en toutes circonstances faire preuve de delicatesse,
particulièrement lorsque sa qualite d'avocat est connue, et s'interdire
toute recherche de publicite contraire aux dispositions de l'article 161 du
Decret.
5.3.2 Si l'avocat fait des declarations concernant des
affaires en cours ou des questions generales en rapport avec l'activite
professionnelle, il doit indiquer a quel titre il s'exprime et faire preuve
d'une vigilance particulière.
Ces interventions publiques ne peuvent avoir qu'un
caractère exceptionnel. L'avocat en informe le Bâtonnier....
ç.
Les interventions des Avocats dans la presse se situent
principalement sur deux terrains juridiques bien distincts : le droit
economique et la matière penale. Dans nombre de cas et frequemment en
matière criminelle, le recours aux medias resulte pour l'avocat d'une
demarche volontaire, en violation toleree de sa deontologie :
En effet, en matière penale, sauf pour les affaires
ayant un très grand retentissement, l'avocat peut se sentir contraint,
pour la defense de son client, et parfois avec son aide, de solliciter les
medias pour être entendu; Cela peut conduire a une violation du secret de
l'instruction notamment lorsque l'objectif est, en cours d'information,
d'obtenir une liberation provisoire de son client au profit du placement sous
contrâle judiciaire de ce dernier car la seule sensibilisation au respect
de la presomption d'innocence ne saurait satisfaire l'appetence du grand public
demandeur de plus d'elements, plus d'informations, pour comprendre les rouages
d'une procedure penale opaque pour plus de 90% des lecteurs !!!
Mais la presse peut aussi être utilisee en cours de
procès, en toute legalite, dans le strict interêt de son client:
Il s'agit alors d'une fonction demystificatrice de l'Avocat, pour qui l'enjeu
reside en le fait de ramener le debat au plus près possibles des faits
ou du moins de la version des faits defendue par son client.
* Les tournantes L Mucheilli *CNB
Il peut s'agir pour certains d'une occasion de publicite
personnelle cependant, il ne faut pas s'y tromper, même pour ceux d'entre
eux qui en jouent comme d'une arme et ne se cachent pas d'en jouir, l'enjeu
fondamental reste la defense du client.
Toute fixation d'image ou de son en audience est demeuree
prohibee, la prise de note et le dessin etant seuls autorises ; la presence de
la presse semble ne pas devoir influer davantage aujourd'hui que jadis sur le
contenu des plaidoiries elles-mêmes.
Aucune reforme sur ce point n'est a souhaiter et ce, pour
plusieurs motifs evidents pour tout homme de bon sens : Un pretoire n'est pas
un plateau tele. Les magistrats et les avocats ne sont pas formes pour passer a
l'ecran, leur rhetorique n'est pas la même. Le public peut acceder
librement dans les salles d'audience, mais a charge pour lui d'avoir une
attitude correcte, silencieuse et ne troublant pas le deroulement de
l'audience. On ne regarde pas une audience.
De plus, qui dit television dit montage. Une audience
d'Assises peut durer des semaines, Un reportage au journal televise dure 2
minutes, seules quelques phrases seront citees : celles de l'accusation ou de
la defense? Le prevenu pas plus que la victime n'ont a se transformer en
vedettes de tele realite...la pudeur et le respect sont de rigueur.
La presence d'une camera et d'un micro perturberait
l'audience, chaque intervenant pensant plus a l'image qu'il pourrait donner de
lui plutôt qu'au seul dossier. L'avocat penaliste plaide pour la Cour et
les jures ; il ne peut être soumis a la tentation de plaider pour la
camera.
Est-ce a dire que les medias demeurent pour autant absent des
debats ? Si, fort heureusement, la legislation les contraint a la discretion en
audience; elle n'en diminue pas pour autant la force avec laquelle s'exerce
leur emprise. Cette emprise s'exerce sur les jures qui, même
inconsciemment peuvent se laisser impacter par le climat mediatique cree ; les
temoins dont les declarations seront ou non relatees qui pourront parfois
être tentes de se retrouver sous les feux de la rampe, derisoires,
ephemères mais au combien dangereux...
Enfin, les medias font et defont a volonte l'image des
avocats, se fondant sur un critère tout aussi unique qu'inique : la
côte de popularite du personnage...dont ils sont eux-mêmes dans la
plupart des cas a l'origine.
L'annonce dans la presse locale des affaires venant a la
session d'automne des Assises 2009 illustre parfaitement le phenomène :
Un procés en appel d'une condamnation pour un double assassinat dans un
petit barreau de province: le journal local annonce avec orgueil le deplacement
d'un OE Tenor du Barreau de Lille ç assurant la defense des deux
accuses, face a lui, la partie civile, dont on cite le cabinet plutôt que
le nom car, enfin, qui connaIt Maître X...
Le verdict tombe : confirmation de la condamnation ; le
denouement occupera a peine dix lignes dans le même journal qui a deja
oublie le OE Tenor du Barreau de Lille ç s'en retournant bredouille en
son palais et qui n'a toujours pas reussi a se souvenir de l'avocat de la
partie civile.
Certes, en l'occurrence, ce dernier n'est pas blesse car pour
cela il aurait fallu qu'il place son ego avant l'amour de son metier ce qui lui
est totalement impossible, neanmoins...les victimes lisant le premier article
ne pouvaient-elles pas douter, craindre, trembler... La presse peut-elle
s'arroger le droit de risquer d'affaiblir la confiance placee en Maître X
alors même que son seul argument reside en la celebrite de son adversaire
?
Composer avec la presse pour certains, flirter pour d'autres,
la combattre ou se contenter de repondre modestement a ses sollicitations... la
presse produit inlassablement : des monstres, des victimes suppliciees, des
tenors du barreau et des anonymes.
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