Incontestablement et intemporellement ; l'évolution
la plus marquante de l'histoire des Assises était, est et sera
l'abolition de la peine de mort.
Si l'historique vers l'abolition de la peine de mort en France
est precisement retrace par nombre d'ouvrages, les recherches de recits
d'executions capitales ou de plaidoiries visant la defense d'un accuse passible
de cette peine s'avèrent nettement moins aisees et ce pour une pluralite
de motifs de differents ordres :
D'une part, l'ancien article 15 du Code Penal interdisait a la
presse le recit d'une execution et si cette dernière defrayait la
chronique c'etait lors de son prononce et non lors de sa mise en oeuvre ;
l'aube choisie etant decidee en catimini, souvent des reception du rejet de la
demande de grace. L'avocat etait l'avant dernier prevenu, quelques heures avant
son client.
D'autre part, et cela n'est en rien specifique a la sentence
encourue, les plaidoiries ne sont par nature pas ecrites et rares sont celles
qui ont pu faire l'objet de retranscription y compris de leurs auteurs qui
seraient bien incapables de s'atteler a une tâche de redaction conforme a
la realite du propos tenu. Si l'argumentaire developpe se retrouve aisement, le
regard, le ton, le sentiment exprime eux, ne se vivent qu'une fois.
Enfin, les avocats qui ont connu l'immense douleur
d'accompagner leur client aux portes de la mort se sont peu exprimes sur ce
sujet qui, cela se conçoit, suscite des emotions que peu de mots sont
capables de porter.
*Les plaidoiries de la defense avant l'entree en vigueur de la
loi Badinter du 9 octobre 1981, ont suivi un cheminement parallèle a la
reflexion societale : on observe au travers de l'evolution de l'argumentation
un deplacement sensible du debat :
Temporairement resigne a la seule abolition de la torture en
1791, le discours est centre sur les preuves, les faits, le client; avant de
s'elargir progressivement jusqu'a prefigurer le discours de Robert Badinter
devant l'assemblee nationale le 17 septembre 1981. Le phenomène est
particulièrement significatif dans la defense d'Henry, Garceau et Bodin
mais se retrouve egalement dans les propos de MaItres Polak et Lombard (hors
affaire Ranucci ou il opta pour une strategie visant a creer le doute au profit
de l'innocence clamee par son client).
La partie civile n'est pas absente de cette evolution a
laquelle elle n'hesite pas a s'associer courageusement, faisant fi de la
vindicte populaire. Face a MaItres Lombard, Le Forsonney et Fraticelli, Gilbert
Collard se lance a son tour dans un plaidoyer implicite contre la peine de mort
: ne la reclamant pas, il exhorte l'accuse a la repentance, seule issue
possible pour epargner sa vie.
La sera sans doute son erreur, l'accuse n'exprimera aucun
remord d'un acte qu'il maintiendra n'avoir jamais commis et refusera toute
compromission estimant sauver son honneur au mepris de sa vie.
*Pour le defenseur du condamne a la peine capitale, le verdict
ne sonne pas le glas de la vie mais le debut d'un ultime combat: juridique dans
un premier temps, visant a l'aneantissement de l'arrêt de la Cour
d'Assises au (x) moyen (s) d'un hypothetique pourvoi en Cassation. Dans la
plupart des cas, la procedure est parfaitement respectee et l'avocat se
contente d'une declaration de pourvoi, confiant la difficile tâche de
redaction du memoire aux avocats a la Cour ; lesquels disposent, hormis leur
experience technique specifique, d'aucun moyen supplementaire. Le droit et rien
que le droit, depouille des faits, de tout être humain pourtant a
l'origine de son application. Telles sont les fonctions de la haute Cour qui
n'a pas a connaItre de la moindre esperance...nonobstant le fait que sa saisine
puisse en faire naItre dans l'esprit de son auteur en depit d'une realite
connue et de tout autre facteur. La sentence ne sera executee qu'après
rejet du pourvoi et de la demande de grace: la vie coule encore dans les veines
du monstre pour lequel on implore un sursaut d'humanite.
Au terme de ces recours, l'avocat s'entend detruire par une
voix sans âme l'ultime lueur d'espoir qu'envers et contre tous, il
n'avait pu eteindre en lui : l'annonce de l'horaire planifie de l'execution.
Les heures qui suivront seront marquees d'un phenomène etrange,
presqu'un comble pour qui maItrise l'art oratoire, qui du son de sa voix
depeint chaque scene a sa couleur, qui fait resonner chaque phrase bien au-dela
du seul sens des mots...Le silence soudain domine. Le silence s'impose la
oü deja les mots ne sont plus; le brouillard emmitoufle les conversations,
seuls les bruits de cles et les pas transpercent la lourdeur de ces
instants.
*Les avocats qui ont decrit ces moments l'ont fait avec une
immense pudeur, une solennite respectueuse de ceux qui ne sont plus. Sans
culpabilite car ils sont conscients de leur investissement, de ce qu'ils
ont donnéet de ce qu'ils vont donner en survivant a l'exécution
de leur client.
La loi du 9 octobre 1981 mettra un terme definitif au combat
mene par les avocats pour la survie physique de leur client; laissant entre
leurs mains une lutte differente mais toute aussi cruciale, la lutte pour
l'existence d'une chance, d'un espoir de vivre un jour une existence choisie
au-dela des actes commis.
Le combat des Assises n'est plus celui de la survie mais
demeure celui des droits et libertés fondamentaux ; celui de la
moderation, de la résistance a la tentation de ceder a une
frénésie de repression situant a nouveau le débat sur le
terrain de la vengeance et non du droit.
L'avocat de la defense est aujourd'hui confronte a deux
phenomènes revelateurs de notre epoque: la victimisation et la tentation
juridiquement habillee d'accrediter les theses de Lombroso sur l'incorrigible
criminel ne.
*Historiquement, une victime signifiait une personne vivante
offerte en sacrifice. Ce qui sous-entend qu'on lui infligeait cela malgre sa
volonte. Qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale, d'une atteinte
individuelle ou collective, les textes juridiques ne definissent pas la victime
sauf a dire selon les droits vises (civils ou penaux) qu'elle est synonyme de
partie lesee, de plaignant, de partie civile, de personne ayant subi un
prejudice ou ayant personnellement souffert du dommage cause par
l'infraction.
De l'absence de reponse sociale donnee a la souffrance des
victimes, la legislation a evolue jusqu'a lui conferer une place centrale dans
la procedure repressive, instaurant correlativement un droit a l'indemnisation
integrale du prejudice subi de par les dispositions de la loi du 6 janvier
1990. Cette prise en charge de la victime modifie fondamentalement la
conception contemporaine de la repression et les strategies de defense mises en
oeuvre.
* Documentation Francaise discours R Badinter 17.09.1981 *
Journal d'un Avocat Document anonyme.
* Emile Polak la parole est a la defense 1975
Pour l'avocat de la partie civile, le combat est avant tout
interne et se joue bien avant l'audience : il ne saurait s'agir d'aller
quérir les dommages et intérêts liés a l'action
civile et qui, en matière criminelle ont d'ores et déja
été octroyés a son client par la saisine de la Commission
d'Indemnisation des Victimes d'Infraction mais d'exprimer la souffrance d'une
victime générée par la commission d'un acte criminel ;
souffrance sincere dont son défenseur doit être convaincu.
Car souffrance n'est pas vengeance, pas plus qu'indemnisation
n'est enrichissement.
*En psychologie, la victimisation signifie << l'attitude
par laquelle un sujet se pose en victime, dans le but conscient ou inconscient
de susciter chez autrui un sentiment de pitié ou même de
culpabilité, et de se protéger ainsi contre toute accusation ou
punition, tout en revendiquant indirectement la satisfaction de ses besoins
matériels ou affectifs ç.
Cependant, on ne peut pas dire que, parce qu'il y a atteinte a
l'intégrité physique, il y a automatiquement traumatisme. Les
psychologues parlent plutôt, de besoin d'un investissement narcissique
qui peut créer une tendance a faire de nos blessures, un besoin de
restauration et de réparation. Etre victime implique le besoin
d'être dédommagé, notamment si les politiques publiques
encouragent ce positionnement.
Les intervenants peuvent parfois confondre
rétablissement de l'ordre public et mission d'aide aux personnes. Leur
action tend ainsi a renforcer l'investissement narcissique de la blessure et a
transformer la victime en victime chronique.
Il ne s'agit en aucun cas de généraliser les
effets pervers potentiellement issus d'une saine prise en considération
de la condition des victimes mais d'évoquer la nécessité
d'un équilibre au combien délicat a trouver entre droits de la
défense et droits des victimes.
La multiplication et la complexification des textes et
jurisprudences ont conduit la technique juridique a pousser la porte de la
correctionnelle, s'imposant désormais au détriment des
plaidoiries fleuves des avocats des générations
précédentes.
La structuration du débat s'impose également aux
praticiens qui, quelque soit la stratégie choisie se doivent de
démontrer la logique de l'enchaInement des arguments
développés qui ne se contentent plus d'une simple
énonciation pour être efficace.
En Assises, l'évolution semble en apparence plus
nuancée, car s'adressant aux jurés non professionnels, il s'agit
d'être brillant mais également compris. Le discours visera donc
l'accessibilité a la conscience et a la culture de chacun. Cela ne
signifie pas pour autant l'absence de technique juridique : cette
dernière tend au contraire a affirmer sa présence tout en
demeurant imperceptible pour les non-initiés tant l'exercice est
empreint de pédagogie.
Le vocabulaire technique fait donc l'objet d'une
nécessaire vulgarisation.
Les questions posées visent également ce même
objectif d'accessibilité.
Au-dela des seuls temps de plaidoiries et durant toute la
durée des débats, la mise en oeuvre de la procédure fait,
quant a elle, l'objet d'une vigilance accrue visant a signaler sur le champ
tout incident.
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