Carence de formation de la profession d'avocat
La place de la psychologie dans la profession d'avocat est
grandissante, tout domaine d'intervention confondus. Ce constat directement
issu du quotidien fait l'objet d'une reflexion de la commission prospective du
Conseil National des Barreaux :* Même si le droit reste le fil conducteur
de l'avocat, celui-ci doit recourir la psychologie. La psychologie doit
être un outil au service de l'avocat lui permettant de mieux gerer son
dossier, mieux accompagner le client mais aussi mieux gerer son stress
personnel. La psychologie se developpe dans les affaires, civiles, sociales et
familiales ; en matière penale et plus particulièrement en
matière criminelle, elle revêt une importance specifique largement
evoquee dans le present document.
L'avocat developpe avec l'experience la connaissance de la
psychologie humaine, ce qui, pour autant, ne suffit pas a limiter le risque de
se sentir demuni face a un client au comportement irrationnel, instable ou
agressif. D'autre part, l'acquisition de l'experience necessite bien evidemment
une duree de pratique professionnelle plus ou moins longue selon les aptitudes
de chacun a l'approche psychologique. Durant, cette periode d'acquisition de la
competence, le risque d'erreur est accru, risque aux consequences non
negligeables pour le client mais egalement pour l'avocat dont la
carrière debute et qui a besoin de forger sa reputation.
Le besoin recense par le CNB se situe sur un double niveau :
celui de la connaissance au service du client mais aussi celui du soutien au
service de l'avocat lui-même. Si la psychologie fait son entree dans la
formation continue, elle demeure encore absente du cursus de formation
initiale.
S'agissant d'un besoin de soutien, celui-ci peine a s'exprimer
pour de multiples raisons aisement comprehensibles : la profession est par
nature stressante et difficile ; ceux qui l'embrassent en sont generalement
conscients et manifestent la volonte d'assumer seuls cette responsabilite.
D'autre part, chacun d'entre eux a a l'esprit la necessite de preserver l'image
de la profession et cet enjeu collectif prime sur les enjeux individuels. Les
difficultes psychologiques pas plus que les difficultes economiques ne sont
evoquees. Là ou se decident de la liberte des individus ou de leur
privation de liberte pour des durees generalement longues, les deux niveaux de
besoins se combinent : la capacite a gerer le comportement d'un accuse et a y
adapter sa strategie de defense dont une part de l'elaboration se fait au fil
du deroulement du procés depend aussi de l'etat psychologique du
defenseur qui doit surmonter sa propre problematique pour se concentrer sur sa
mission. L'eloquence en depend et dans une certaine mesure l'intime conviction
aussi.
Peines susceptibles d'être aggravées du fait
de facteurs comportementaux non dOmonstrateurs de dangerosité.
Les arrêts rendus par les Cours d'Assises ne sont pas
motives; il en consequence impossible de connaItre le fondement de l'intime
conviction des jures. L'intime conviction est le contraire d'un raisonnement
legal construit tendant vers la declaration de culpabilite. Elle ressemble plus
au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. L'intime
conviction fait place a des decisions purement subjectives et non objectives.
Elle n'est pas reellement conciliable avec le principe selon lequel le doute
profite a l'accuse, doute qui se trouve de la sorte ampute de toute sa
substance.
Or, si precisement cette intime conviction semble relever du
ressenti; elle fait necessairement place a l'humain dans l'integralite de sa
perception de l'autre. D'oü l'interdependance de la sanction prononcee,
avec, entre autres facteurs, le comportement de l'accuse, voire sa
presentation, son aspect physique.
L'avocat, dans sa preparation du procès, tentera
d'inviter son client a la moderation de ses propos dans le choix des termes
employes (plus ou moins large selon le niveau de culture de l'interesse) et
dans l'intonation. Il l'invitera a des explications les plus claires et
concises possibles, a se concentrer sur la question sans en elargir le champ, a
l'exception des points contestes qui devront l'être brièvement.
C'est a l'avocat que revient la tâche d'expliciter les fondements de ces
contestations.
Cependant, en fonction du contexte unique de chaque affaire,
de la personnalite du client et de son etat psychologique de l'instant, le
risque de voir ces conseils balayes par l'emotion n'est jamais nul. Cette
emotion qu'un jure sera naturellement enclin entendre de la part de la victime
ou de ses proches sera perçue de façon beaucoup plus aleatoire si
exprimee par l'accuse. Le sentiment de revolte et la colère sont
particulièrement dangereux pour ce dernier même si, dans de
nombreux cas, ils temoignent d'une souffrance de n'être pas cru ou
incompris dans les explications fournies ; voire d'un besoin d'exprimer une
profonde detresse, certes differente mais parfois tout aussi intense que celle
de la victime.
Mais la traduction de telles emotions passent souvent par la
noirceur du regard, la hauteur du son de la voix, une gestuelle excessive...
autant de signes qui peuvent être interpretes comme marques de
dangerosite. S'il est capable de s'emporter dans une salle d'audience, lieu
oü par nature il devrait faire preuve de retenue, que pourrait-il faire
dans un contexte de liberte ?
La prise en compte du paroxysme des emotions suscitees par un
procès criminel peut être exclue de l'analyse faite de l'attitude
de la personne.
* CNB
La peur règne sur ces moments: les jures aussi ont la
leur, celle de commettre une erreur, de ne pas être la hauteur de la
responsabilite qui est la leur. Centres sur leur peur, ils peuvent en oublier
celle de l'accuse qui l'amène a tous les etats, de la prostration a la
prise de risque.
Le silence même donne lieu a interpretation : froideur,
indifference quant au sort de la victime et a son propre sort, absence de
regrets...Capable de recidive ?
Il arrive frequemment qu'au fil du procès, aprioris et
idees reçues s'estompent au profit d'une recherche reelle de
comprehension; le sentiment d'investissement d'une mission aidant. Cela
n'occulte pas pour autant l'importance de l'impression laissee par un
comportement quelque soit son mode d'expression et le risque de voir la peine
prononcee sur la base d'une intime conviction forgee sur cet element ; lequel
ne pouvant être qualifies de demonstrateur de dangerosite.
Au-delà de la presentation, de l'attitude et de
l'expression de l'individu, le contenu de ses propos est de la plus haute
importance: il est necessaire prealablement au deroulement de procés de
parcourir une ultime fois le recit des faits avec son client, de s'assurer de
chaque etape, de façon aussi detaillee que possible. Soulever les
difficultes pouvant resulter des contradictions de la version soutenue et du
resultat des mesures expertales diligentees est notamment capital: A titre
d'exemple, la contradiction du geste effectue par l'accuse lors de la
reconstitution et du rapport d'autopsie demontrant une difference remarquable
de distance du tir ne manquera pas d'être remarquee et de soulever un
questionnement.
L'avocat sait qu'entre un tir a dix metres et une autopsie
relevant les brulures circulaires d'un tir a bout portant ou a bout touchant
selon leur profondeur et leur circonference ne passera pas inaperçue. Il
se doit d'interpeller son client sur le risque engendre par le maintien de sa
version. Il se doit d'expliquer a celui qui s'enferre dans le mensonge par peur
de sa condamnation que la sincerite est son meilleur allie ; il se doit de ne
pas adherer a des strategies bancales tout droit sorties d'une imagination
debordante d'angoisse. L'horreur même peut se decrire, susciter des
tentatives de comprehension; le mensonge grossier ou decouvert ne recevra comme
echo que la severite.
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