d) Prolifération d'associations féminines :
Typologie des différentes associations existantes,
leurs rôles et leurs fonctions dans la
société civile.
C'est cette « démocratie islamique »
fondée sur une lecture modérée du Coran qui favorise le
maintien d'une forme d'une dynamique féminine que l'on retrouve sur la
scène politique. En effet, cette autonomie féminine maure
étant tout de même limitée comme nous l'avons
expliqué au préalable, la femme reste avant tout un être
mineur, fragile, et surtout en dehors des hautes instances
décisionnelles. En effet, les décisions politiques, le pouvoir
tribal et la gouvernance du pays restent entre les mains des hommes et la femme
ne peut y participer que d'un point de vue informel. C'est la raison pour
laquelle la femme mauritanienne engagée est largement plus
représentée dans la société civile pour des
revendications relatives aux affaires sociales, à savoir une
sphère monopolisée historiquement par la femme maure.
féminines ayant pour vocation de défendre les
intérêts liés aux affaires sociales, au droit de la
famille, à la protection de l'enfance mais aussi en ce qui concerne les
politiques paritaires, l'émancipation de la femme et son accès
à l'éducation. Ce phénomène se traduit
également par la création du ministère de la femme, qui
deviendra plus tard le ministère des affaires sociales17.
Les interventions de ces associations sur le terrain peuvent
prendre diverses formes : collaboration étroite avec l'Etat pour la mise
en place de politiques garantissant ces droits, interventions dans le milieu
rural pour sensibiliser sur des questions sanitaires les population les plus
reculées et précaires, des campagnes luttant contre
l'analphabétisme,...
L'empreinte féminine sur les politiques sociales en
Mauritanie est considérable, on peut parler d'une « gauche
féminine ». On peut reprendre l'analyse de Pierre Bourdieu du
pouvoir politique en France en distinguant la Droite de la Gauche : La Droite
qui serait « masculine » car elle privilégie les questions
économiques et financières orientant l'activité politique
alors que la Gauche souvent associée à un intérêt
particulier porté sur la sphère sociale : la
sécurité sociale, la démocratisation de
l'éducation, etc. ce qui la rend dans la conscience collective : «
féminine » car plus proche des affaires sociales. Il en va de
même s'agissant du paysage politique mauritanien, on peut appliquer ce
schéma analytique sur la répartition du pouvoir en Mauritanie
dans la mesure où il existe une forme de division politique entre les
hommes et les femmes. Une division du pouvoir pas forcément source de
parité puisqu'elle crée un espace limité où
l'activité des femmes est tolérée. C'est la formation de
ces espaces de pouvoirs qui attire notre attention ici car c'est un
phénomène qui renferme une idéologie que l'on retrouve de
façon universelle à savoir : le confinement de la femme dans
l'espace privé et donc l'espace domestique. La particularité de
la Mauritanie s'illustre par le fait que les femmes en ont fait une source
d'engagement dans la vie active et politique.
17 Ce qui met en évidence l'association de la condition
féminine aux questions sociales ( famille, enfance, etc.).
Associations officielles répertoriées
au jour d'aujourd'hui en Mauritanie :
· SOS Exclus (pour la protection et
l'épanouissement de la famille, de l'enfant et des personnes
vulnérables)
· Réseau femmes, solidarité et
développement
· Association mauritanienne pour l'action contre la
pauvreté et l'analphabétisme des femmes (AMAPAF)
· Forum national pour la promotion des droits de la
femme et de l'enfant (FNPDFE)
· Association mauritanienne Espoir
· Association mauritanienne des pratiques ayant
effet sur la santé des femmes et des enfants (AMPSFE)
· Réseau mauritanien pour les droits des
femmes et de l'enfant et environnement (RMDFE)
· Association mauritanienne des femmes juristes
(AMAFEJ)
· Association féminine de bienfaisance pour
l'enfance SILATOU RAHIM18
· Association pour la défense des droits de
la femme et de l'enfant
· Union mauritanienne des femmes entrepreneurs et
commerçantes
18Terme en arabe désignant dans le langage religieux
islamique, la charité et la bonté envers les autres
· Association mauritanienne pour la promotion
de la famille
· Association mauritanienne pour la promotion du
sport
· Association Mauritanie 2000
· Association mauritanienne pour la santé de
la mère et de l'enfant
· Association des femmes et enfants démunis
(ASFED)
· Association mauritanienne pour la promotion de
l'enfant (AMPE)
· Réseau mauritanien pour la promotion des
droits de la femme
· Organisation mauritanienne pour l'encadrement et
le développement
· Association des femmes chefs de famille
(AFCF)19
· Union des ONG de développement
· Association Stop-Sida
· Association pour le bien être familial et
le développement durable
· Union des Coopératives féminines du
Guidimakha (UCFG)
Ces associations ont pour mission de garantir les droits des
populations dans le besoins, des droits s'accordant aux principes
républicains pour une justice sociale. Les discours des femmes à
la tête de ces associations convergents vers une idée de justice
et de défense des droits de l'Homme dépassant le cadre
traditionnel maure réputé pour être « féministe
» par essence. La culture et les traditions ne suffisent plus pour
s'adapter au contexte moderne démocratique.
J'ai, à cet effet, fait un entretien avec une des
personnalités féminines les plus actives sur la scène
publique et faisant preuve d'un militantisme multi-sectoriel pour la
défense des plus opprimées (femmes, enfants, population
précaire, ...). A la tête d'une association (AFCF), elle a
19.Association dont la présidente, Aminetou Mint El
Moctar, femme très active sur le terrain et militante pour les droits de
l'Homme, a été interrogé pour cette étude.
également milité sur d'autres fronts luttant contre
des pratiques tels que le gavage, l'excision, les mariages précoces
etc.
Aminetou mint El Moctar, Présidente de
l'AFCF
(Association des Femmes Chef de Famille) Le 18 mars
2012 à Nouakchott
Quel est votre parcours universitaire et
social?
«J'étais une militante de la gauche dès les
années 1970. J'ai commencé très jeune dans le mouvement
des Kadihine. J'étais déjà militante pour la
cause nationale du pays, pour les opprimés, pour les couches les plus
marginalisées et particulièrement les femmes. Donc j'ai
milité pour le changement (politique et social) de mon pays. J'ai
participé aux mouvements qui militaient pour l'unité nationale.
Depuis lors je milite pour l'égalité des femmes et des hommes.
Pour l'accès des femmes aux décisions, pour la participation
politique des femmes.»
« J'estime que vu l'ouverture de la société
mauritanienne, particulièrement la société arabe (maure),
elle est très ouverte et permet aussi à la femme une certaine
indépendance que les autres femmes arabes n'ont pas. Nos traditions et
nos coutumes ont permis à la femme une sorte d'émancipation
innée dans la société maure. Celle-ci a des
spécificités que l'ethnie négroafricaine n'a pas. On a
gardé cette culture nomade, cette culture du désert où la
femme devait prendre soin de son foyer durant les longues absences de son mari,
ce qui la rend aujourd'hui assez indépendante. On prend ainsi en compte
la place de la femme et on lui donne une certaine importance parce que dans le
reste du monde arabe, la femme est sous le contrôle total du patriarcat.
La femme mauritanienne a son indépendance dans sa famille. Son foyer la
considère, elle a son mot à dire dans son foyer, on prend en
compte sa parole. Depuis l'époque des émirats qui organisaient
les tribus en Mauritanie, les femmes avaient leur mot à dire concernant
les décisions à prendre. On écoutait la femme et on
prenait en compte son avis. Tout ceci explique aujourd'hui le rôle et la
place de la femme dans la société maure par rapport à nos
soeurs dans les autres pays arabes. Mais ceci n'est qu'un aspect de la
question. Il y en a d'autres. C'est-à-dire que malgré cette
indépendance de la femme, elle reste tout de même sous le pouvoir
des hommes parce que le dernier mot revient à l'homme. Car c'est l'homme
qui dirige financièrement le foyer et c'est l'éducation des
hommes qui prime, ce dernier étant considéré comme
l'avenir de la famille, et celui sur qui on peut compter. C'est lui qu'on
éduque au détriment de la fille. C'est à lui que revient
les grandes décisions. Il est plus facile pour lui de trouver un travail
que pour la femme, même s'ils avaient un même niveau universitaire.
Dans le milieu administratif, ce sont toujours les hommes qui ont de meilleurs
postes et de meilleurs salaires. La femme restera toujours son auxiliaire. On
dit qu'on ne doit pas s'inquiéter pour la femme car elle finira par se
marier mais c'est à l'homme en priorité de s'établir
professionnellement et donc il faudrait privilégier son éducation
et sa promotion. »
Dans la société maure, il y a une
spécificité: les femmes ne prennent pas le nom de leur mari.
Peut-on alors parler d'une forme d'émancipation symbolique parce qu'en
réalité, ce sont les hommes qui bénéficient des
avantages liés à l'indépendance financière et
matérielle ? De plus, on constate dans les chiffres que le taux
d'éducation des filles dans certaines régions est largement
supérieur à celui des hommes. Que pensez-vous de tout ça ?
Pouvons-nous parler d'une évolution ?
« S'agissant de l'éducation, il est vrai
qu'à un moment donné, il y avait une surreprésentation des
femmes dans l'enseignement primaire et secondaire pour la simple raison qu'il
existe plus de femmes que d'hommes d'un point de vue démographique.
C'est le résultat de plusieurs campagnes pour l'éducation des
filles qui luttent contre l'analphabétisme. En effet, on ne peut pas
accepter que la majeure partie de la population soit analphabète car il
y a beaucoup plus de femmes que d'hommes en Mauritanie. C'est une clé du
développement durable. Mais quel est le taux de l'éducation
féminine ? Dans l'enseignement primaire, il est assez
élevé. Et plus on monte dans le niveau d'études, moins les
filles sont représentées. Ceci s'explique par le taux de mariage
précoce, la pauvreté puis comme je l'ai dit tout à
l'heure, les familles donnent plus d'importance à l'éducation des
garçons. Lorsqu'elles n'ont pas les moyens d'éduquer leurs
enfants, elles privilégient l'éducation des garçons. Elles
investissent plus dans l'éducation de ces derniers. Les filles
deviennent comme une marchandise qu'elles « revendent » d'un point de
vue matrimonial. Les filles sont à marier, les garçons sont
à éduquer. Il existe une concentration démographique dans
les régions rurales donc les filles sont plus présentes sur le
terrain mais puisque ces régions sont les plus pauvres de la Mauritanie,
les écoles s'arrêtent au niveau du collège ce qui signifie
que pour continuer les études, il faut les envoyer vers la capitale. Or
ces familles pauvres privilégient l'envoi des garçons par rapport
aux filles. On retient donc les filles au foyer, on les marie et le peu de
revenus de ces familles est consacré à l'éducation des
garçons, surtout pour les études supérieures. On
privilégie le travail traditionnel, artisanal, ou le commerce pour les
femmes. »
Que pensez-vous de la prolifération des
associations féminines en Mauritanie ? Comment expliquez-vous ce
phénomène ?
« La société civile est au centre de la vie
démocratique d'une nation. La société civile
reflète les réalités sociales et les réelles
attentes de la population. C'est une façon d'attirer l'attention du
gouvernement sur les critiques et revendications de celles-ci. C'est un
instrument de communication pour transmettre les résultats des
politiques locales mises en oeuvre pour cette même population, pour
créer un éveil chez elle. La société civile a un
poids aussi très important car elle travaille en étroite
collaboration avec la population. C'est le plaidoyer pour des investissements
auprès des bailleurs de fonds ou de l'Etat. Mais il faut une
société civile capable de négocier des marchés, de
sensibiliser, d'agir, d'informer, de former et aussi d'avoir un permis
d'action sur les populations. C'est ce genre de
société civile qui devrait exister. En réalité, les
personnes qui sont à l'origine des associations en Europe sont des gens
qui ont un capital économique important alors que malheureusement ici,
ce n'est pas le cas. De plus, tout le monde aujourd'hui se dit porte-parole
d'une association et le but pour ces ONG c'est de soutirer de l'argent sur le
dos du peuple. Ces sociétés civiles demandent de l'argent
auprès des institutions susceptibles de les financer alors que
normalement, ils ne doivent pas les demander et les recevoir le plus
naturellement possible. Elles doivent travailler. Mon local à moi est
composé d'un local de comptabilité, d'un bureau juridique, un
point d'écoute. Nous avons des centres d'écoute dans des
quartiers populaires. Tous ces centres ne sont pas pris en charge. Personne ne
prend en charge. Nous sommes une association qui travaille sur le terrain, dans
des régions parfois reculées mais nous avons des volontaires, des
femmes qui s'engagent à travailler pour la sensibilisation des
populations sur ce terrain. L'Etat ne nous aide jamais car nous sommes
indépendants et on veut le rester pour pouvoir critiquer. Nous avons
toutes sortes d'employés et personne ne les paye. Ni les
étrangers, ni les bailleurs de fonds ni nous-mêmes. On aide avec
des prestations de service, et c'est comme cela que nous alimentons les
populations. C'est ça la société civile. On fait ça
pour modifier les lois, le code de la famille. On travaille sur plusieurs
aspects, et même sur l'aspect juridique. Par exemple, nous avons
modifié certaines lois par rapport à l'héritage.
D'un point de vue juridique, les lois islamiques
juridiques sont-elles respectées et comment les percevez-vous au niveau
de la justice sociale entre les hommes et les femmes ?
« Nous estimons que le courant obscurantiste
évolue en Mauritanie. Je suis pour l'Ijtihad20. Tous les pays
musulmans ont opté pour l'Ijtihad pour mettre en exergue cette
égalité que les femmes méritent et les traitent en
conformité avec les hommes. Cependant en Mauritanie, on assiste à
l'évolution du courant obscurantiste depuis quelques années,
courant qui est contre l'Ijtihad, contre cette interprétation source
d'égalité des sexes. On relègue la femme à son
rôle de femme au foyer primitif. D'ailleurs on avait un ministère
pour la promotion des femmes qui s'intitule
20.Lecture dite objective du Coran et des textes religieux pour
une vision éclairée et plus juste de la religion, un concept
repris et défendu par les féministes musulmanes afin de
dénoncer les lectures patriarcales du Coran.
aujourd'hui: « le ministère des affaires sociales et
de l'enfance ». C'est comme si on reléguait le rôle de la
femme à son rôle traditionnel, archaïque, c'est-à-dire
le travail social lié à la famille. »
Pourquoi votre association est-elle une association des
femmes chef de famile ?
« Au début on ne voulait pas un nom comme
ça pour l'association mais lorsqu'on l'a créée,
j'étais une militante des droits de l'Homme. J'étais
déjà reconnue et j'avais quelques difficultés à me
déplacer. On l'avait appelée, à l'origine, l' «
Association pour le droit des femmes » et lorsqu'on l'a proposé,
les gens avaient refusé de la reconnaître car elle était
liée à ma personne à un moment. On a dû changer le
nom de l'association pour ne pas voir la notion de droit humain car j'ai
été critiquée et rejetée à cause de mes
idées. C'était pendant la présidence de Maaouya Ould
Taya21 . On était donc dans l'opposition et on critiquait le
gouvernement en place à l'époque. »
Donc vos motivations sont plus personnelles ?
« C'est vrai, j'ai toujours été
moi-même attirée par les idéaux de la justice sociale et la
démocratie. Je n'aime pas la discrimination, j'aime
l'égalité. Je me sens frustrée de voir des situations
d'injustice et je m'engage à lutter pour que la femme mauritanienne
s'engage dans la politique d'une manière honnête et
conséquente. »
La trajectoire sociale de Aminetou mint El Moctar
reflète un militantisme qui a débuté avec la naissance du
mouvement social revendicatif des Kadihine, un mouvement qui a eu un impact
considérable non seulement d'un point de vue politique mais aussi sur
les trajectoires sociales des individus qui en ont fait parti. Il a
constitué une sorte de tremplin à toute une catégorie de
personnes en Mauritanie dans leur carrière politique et intellectuelle.
Le plus remarquable c'est que toutes les personnalités (influentes et
engagées) interrogées pour l'élaboration de ce
mémoire de recherche, ont tous fait partie du mouvement des Kadihine.
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