14Terme en hassaniya désignant les brigands du
désert qui s'attaquaient aux convois ou aux campements pour piller leurs
biens
faire s'agissant de la protection de leur foyer et la
défense de leur territoire. C'est ainsi que les mauresses ont activement
participé à la résistance face aux forces coloniales
françaises. Avant la colonisation, quand un campement était
attaqué, les femmes faisaient un mélange de henné et du
henné et aspergeaient les ravisseurs pour les humilier. Les femmes
maures ont donc toujours participé activement aux
événements de la vie en collectivité.
Ce rappel est nécessaire à la
compréhension de cette facilité avec laquelle les femmes en
Mauritanie ont su intégrer la vie active et politique au lendemain de
l'indépendance du pays , une nouvelle forme d'engagement imposée
par les besoins d'une vie démocratique moderne.
C'est au lendemain de l'indépendance nationale que
s'organise de nouvelles Instances visant a intégrer les femmes dans
l'action collective. La première organisation féminine
mauritanienne a connue le jour en 1961, à l'initiative de Mariem Daddah
(épouse du premier président de la république mauritanien
Moktar Ould Daddah). Suite à cette initiative 20 autres organisations
féminines sont crées.
· En 1964: A Kaédi , un groupement de femmes
participe aux initiatives d'un congrès politique ( durant lequel fut
proclamé pour la première fois la reconnaissance des droits
politiques de la femme ainsi que l'intégration des femmes au sein du
Parti du peuple mauritanien).
· En 1966 a lieu le deuxième congrès
national: Les femmes y revendiquent une législation visant la protection
juridique et sociale de la famille.
· En 1968: La femme mauritanienne obtient le droit de
« participer sans restrictions aux activités nationales » .
·En 1971, le congrès national nomme une
représentante des femmes au bureau politique national et augmente le
nombre des femmes dans les différentes instances du Parti (Sections,
fédérations, conseil national, Congrès,...).
Débute alors une véritable multiplication des
revendications malgré quelques hostilités des forces
rétrogrades, ces femmes ont su imposer leur droits et mettre en place de
véritables politiques pour la promotion de la condition féminine.
Le MNF (Le mouvement national des femmes) a commencé par mettre en place
un certain nombre d'objectifs:
· L'amélioration du niveau culturel des femmes
mauritaniennes sans distinction de race ou de religion
· La scolarisation de toutes les filles
· La protection de la femme par la lutte contre le divorce
anarchique
· La défense des droits de la femme mauritanienne
dans tous les domaines (tant au niveau social que politique) jusqu'à ce
que son niveau intellectuel et matériel lui permette d'être
l'égale de la femme dans le reste du monde
· La lutte contre l'ignorance et les mauvaises habitudes
liées à certaines pratiques archaïques
· La scolarisation des filles sans négliger
l'enseignement religieux.
· La contribution à la construction d'une
société musulmane moderne (conformément aux valeurs
véhiculées par le concept de « la république
islamique »)
· La promotion du niveau de la femme mauritanienne
jusqu'à la naissance d'un mouvement ou d'un groupe de femmes capable de
participer activement au service du pays
C'est ainsi que ces groupes de militantes s'étendirent
peu à peu sur le continent (par exemple la
création en juillet
1962 d'un bureau de femmes mauritaniennes résidant à Dakar) .Le
Conseil
supérieur des femmes édite deux revues « Mariemou
» et « La militante » ainsi qu'une série
d'animations éducatives destinée aux femmes
analphabètes. Le MNF devient un membre actif au sein de l'Union
internationale des organismes familiaux et a participé au Congrès
international des femmes à Helsinki en juillet 1969, au séminaire
international de Tunis concernant le droit africain de la famille... Les lignes
majeurs sur lesquels se concentrent ce militantisme tournent jusqu'à
présent autour de quelques grands axes: La protection de l'enfance et de
la famille, le respect et la garantie du maintien des droits de la femme
(statut juridique, social, matrimonial,...) ainsi que la scolarisation des
femmes et une garantie d'une formation des cadres féminins pour une
intégration des femmes dans la vie économique du pays.
Durant la fin des années 1960 et le début des
années 1970, le pays a connu une intense activité féminine
dans le secteur politique et associatif (participation à des colloques
internationaux, visites de délégations féminines
internationales, création d'ateliers de formations de jeunes filles
à divers métiers, etc.). C'est au milieu des années 1970
que le désir d'émancipation atteint son paroxysme donnant lieu
à une présence affirmée de l'action des femmes dans divers
domaines.
Le 10 juillet 1978, le Comité militaire de redressement
national dissout alors toutes les organisations des jeunes et des femmes dans
un communiqué rendu public. Le discours de la femme disparaît peu
à peu durant cette courte durée mais dès la
présidence de Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya, qui annonça dans un
discours le 5 mars 1986, (devenu fête nationale de la femme en
Mauritanie) la demande de participation de la femme et l'affirmation de son
rôle dans le développement a réintégré les
femmes dans la sphère publique. Ce qui déboucha sur la mise en
place d'un quota de 20%15 de femme au parlement ainsi que « la
création d'un nouveau département pour les femmes au niveau du
Secrétariat permanent du Comité militaire de salut national.
»16
Une des premières personnalités féminine
mauritanienne influente sur la scène publique, fut Mariem Daddah
épouse du président Moktar ould Daddah ; d'origine
française elle a intégré la culture du pays qu'elle
considère désormais comme la sienne. Après le
décès de son mari le 14 octobre 2003, elle continue aujourd'hui
son engagement auprès de diverses associations
15Dont nous développerons l'évolution et les
retombées politiques plus loin
16Maurifemme.mr- blog rassemblant les principales
avancées du militantisme féminin en Mauritanie.
féminines et soutient un ensemble de projets politiques
en faveur de l'émancipation des femmes en Mauritanie.
Dans une interview recueillie par Modibo Keita, parue dans la
revue Africa de Dakar en février 1977 fait avec Mme Daddah en
1977 met en avant les premiers projets politiques et la vision de la
première Dame du pays alors que le paysage politique mauritanien
était en pleine construction.
A travers cette interview on arrive à percevoir
l'état d'esprit avec lequel l'Etat introduisit la femme dans la
sphère publique. Convertie à l'islam en 1977 Mariem (
Marie-Thérese) Daddah a ému le peuple mauritanien par son
attachement et sa volonté de participer au développement du pays.
Nous allons retranscrire ici un extrait de cette interview afin de mettre la
lumière sur les prémices de cet éveil politique en
Mauritanie.
« Comment assumez-vous votre tâche de contribution au
progrès du pays ? »
« J'ai été à la tête du
Mouvement des femmes, que j'ai crée avec d'autres camarades en 1964.
Auparavant (1961-1964) j'avais participé à la création des
Unions féminines. Je me suis d'abord penchée sur le sort de nos
soeurs d'ici. (Je suis avant tout une femme et c'est en tant que telle que je
suis venue ici : épouse, mère de famille, citoyenne). Je dois
beaucoup aux femmes, elles étaient les plus proche de moi et les plus
faciles a toucher. C'est elle qui m'ont appris la langue, les traditions de ce
pays, qui m'ont permis de pénétrer la mentalité de ce
peuple. J'ai eu ensuite l'occasion de lancer l'information au niveau du parti.
Il nous était apparu sur le parti manquait de vigueur dans le domaine de
l'information, qu'il avait besoin d'un support et j'ai été
chargé de lancer le Centre d'information et de formation (CIF) qui est
devenue l'institut national d'éducation et d'études politiques
(INEEP).
Récemment on ma chargée de ce projet
impressionnant qu'est la création de la Télévision
nationale dans un délai le plus court possible. J'ai lancé aussi
le Croissant rouge mauritanien en 1971 et je suis restée à sa
tête seulement un an et demi pour ensuite en confier la direction
à une compatriote. Ma façon de contribuer est donc
concrète. Je travaille au bureau toute la journée, j'ai des
équipes, je travaille comme toute citoyenne du pays.
Je dois signaler que dans mon activité, que je me
suis beaucoup intéressé à la jeunesse. La jeunesse est
chargée de prendre la relève et de faire mieux que les
générations précédentes. J'ai eu beaucoup de
contacts avec les jeunes, les intellectuels particulièrement, surtout
les nouveaux, les plus jeunes, ceux qui ont été dans une
contestation assez active dans les années 68-73 et j'ai essayé de
les comprendre, de savoir pourquoi ils contestaient, ce qui ne leur convenait
pas, quelles étaient leurs aspirations.
[...]
-Pensez vous que la libération de la femme
mauritanienne se trouve véritablement dans le Coran? (allusions à
la polygamie, à la réputation, etc....)
Cette question, très riche, doit être,
à mon avis, élargie à un champ plus vaste. [...] Notre
Parti a opté pour une voie claire : il a estimé que l'islam
orthodoxe, c'est-à-dire l'islam des premiers temps, élargi
à un champ plus vaste. « L'islam est il apte à régler
les problèmes de la société mauritanienne de demain. C'est
une gageure dans le monde actuel qui perd sa religiosité, qui est
dominé par les idéologies matérialistes (capitalisme et
marxisme). Notre voie est originale. Ce pays est islamisé depuis 1000
ans. Nous pensons qu'il revient aux jeunes génération de
démonopoliser la religion des marabouts parce que ceux-ci ne sont pas
les meilleures véhicules ( il y a ceux que nous appelons les faux
marabouts , les faux cheikh parce qu'il ne connaissent pas la religion , ils
sont basés sur l'ignorance). La religion doit passer en d'autres
mains.
Nous ne voulons pas nous perdre dans le
matérialisme du capitalisme. Nous rejetons la société de
consommation : le marxisme a des méthodes qui pourraient être
retenues, mais sa finalité ne convient pas à l'âme du
peuple mauritanien. Nous avons opté pour un islam rénové,
pour le progrès et non pour l'asservissement. S'agissant des femmes,
prenons l'exemple de la polygamie. C'est une pratique qui n'est répandue
chez nous qu'au Sud, dans la partie négroafricaine de notre peuple. Elle
est tolérée par l'Islam mais soumise à des conditions qui
font presque dire qu'elle est décommandée. Les conditions sont
rigoureuses et les versets coraniques sont extrêmement précis
à ce sujet. Mais les gens ont préféré voir ce qui
l'est avantage plutôt que ce qui est réellement écrit.
C'est le prototype de la déviation de l'interprétation de la
religion. Rien ne servira d'interdire la polygamie. C'est une institution qui
tombera en
désuétude. Je pense que la libération
de la femme se trouve dans l'islam rénové. C'est un long travail
mais nous nous y sommes mis. »
Dans un autre entretien avec Mme Mariem Daddah en Novembre
1977 paru dans la revue Remarques Africaines réalisé par
Jean Wolf, rédacteur en chef de la revue ; elle nous expose la fusion
entre islam et politique au sein du pouvoir politique mauritanien dès sa
création.
« [...] Je voudrais donc vous demander de bien vouloir
nous parler de la démocratie mauritanienne. Cette démocratie que
nous ne comprenons pas toujours très bien...Comment est elle
intégrée aux besoins du peuple mauritanien et correspond elle aux
nécessités de ce pays ?
-C'est un problème fondamental pour le Parti du
peuple mauritanien (PPM). Il s'agit en permanence de nous poser constamment la
question de savoir quelle est la voie que nous devons choisir. Au moment du
choix politique qui s'est effectué d'une manière
irréversible en 1975, nous avions comme tous les pays du Tiers-Monde
plusieurs possibilités : Ou bien choisir un schéma
déjà réalisé ( par exemple dans les pays
industrialisés), nous en tenir à une constitution qui soit
strictement musulmane, ou nous modeler sur des expériences africaines ou
tiers mondiste...Mais la Mauritanie est un pays bien spécifique. Son
originalité réside notamment dans le fait que , d'une part ,
c'est un pays musulman et que d'autre part , c'est véritablement un
confluent entre deux mondes différents : le Maghreb arabo-berbère
et l'Afrique Noire.
Ces caractéristiques fondamentales nous ont donc
amenés à faire un choix original. La Charte de notre Parti
qualifie notre démocratie comme suit : la démocratie
mauritanienne est islamique , centraliste nationale, socialiste.
Une démocratie islamique signifie surtout que nous
refusons consciemment d'emprunter à d'autres systèmes
philosophiques le fondement de notre démocratie. Il ne pouvait
être question pour nous de choisir entre le modèle occidental et
le marxisme. L'islam, qui n'est pas seulement notre religion mais aussi notre
éthique général, suffit à fonder solidement notre
société.
[...] Auparavant dans son Histoire, la Mauritanie n'avait
jamais été un Etat au sens actuel du terme, mais plutôt un
ensemble harmonieux certes, mais non étatique. Notre démocratie
doit aussi garantir notre unité nationale à laquelle nous tenons
beaucoup. L'objectif du développement présuppose l'unité
organique de la nation.
[...]Cette démocratie est enfin socialiste. Mais
socialiste à la manière mauritanienne, car le socialisme n'est
l'apanage de personne, ni d'un pays ni d'un philosophe. Notre est
essentiellement national et se qualifie par notre souci de la justice
allié à l'encouragement d'une économie privée qui
soit canalisée et aidée au besoin par l'Etat. Ce socialisme
très souple ne se réfère a aucun schéma
pré-établi à l'étranger ou dans le passé
»
Il est important d'exposer cette vision globale de la
construction étatique de l'Etat mauritanien intimement liée aux
identités locales, on comprend ici qu'il ne s'agissait pas de faire une
rupture avec le cadre traditionnel et idéologique mauritanien mais de
prendre des éléments de la modernité ( dans ce qu'elle
implique comme valeurs républicaines et de justice sociale) pour en
faire un idéal démocratique propre à cette nation.
C'est dans cet état d'esprit que nous devons
comprendre l'enjeu du pouvoir politique en Mauritanie aujourd'hui. C'est un
héritage idéologique et politique qui oriente à l'heure
actuelle l'activité politique.