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Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie. Le « négoféminisme maure »: entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir politique

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par Nejwa El Kettab
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 recherche sociologie 2012
  

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b) Le rôle des femmes dans le processus de la décolonisation

« De tout temps, la Beidaniya11 s'est intéressée à la politique. Elle a été souvent l'inspiratrice d'expéditions de vengeance ou de guerre. Elle exerce une influence indiscutable dans les Djema'a12. Pendant la conquête de la Mauritanie par les troupes françaises, des officiers, le général Gouraud, Ernest Psichari et bien d'autres ont été frappés par la hardiesse des femmes maures qui s'exposaient aux balles pour encourager les guerriers à la résistance , recharger leur armes et amener les blessés à l'abri »13 . Le mode de vie du nomadisme dans tout ce qu'il implique comme faculté d'adaptation pour la défense du foyer (des éventuels pilleurs « getaa treg »14 ou d'autres attaques) a permis à ces femmes de développer un certain courage et savoir

11. Terme en hassaniya désignant « la femme maure »

12. Terme en hassaniya désignant une réunion , un regroupement officiel ou non rassemblant des personnes pour une discussion.

13. Ibip p. 161

14Terme en hassaniya désignant les brigands du désert qui s'attaquaient aux convois ou aux campements pour piller leurs biens

faire s'agissant de la protection de leur foyer et la défense de leur territoire. C'est ainsi que les mauresses ont activement participé à la résistance face aux forces coloniales françaises. Avant la colonisation, quand un campement était attaqué, les femmes faisaient un mélange de henné et du henné et aspergeaient les ravisseurs pour les humilier. Les femmes maures ont donc toujours participé activement aux événements de la vie en collectivité.

Ce rappel est nécessaire à la compréhension de cette facilité avec laquelle les femmes en Mauritanie ont su intégrer la vie active et politique au lendemain de l'indépendance du pays , une nouvelle forme d'engagement imposée par les besoins d'une vie démocratique moderne.

c) La création du premier mouvement national des femmes et insertion de l'activité

féminine dans la sphère politique.

Les prémices de l'engagement politique des femmes en Mauritanie: Dès l'indépendance, une nouvelle gestion féminine du pouvoir est offerte aux femmes.

C'est au lendemain de l'indépendance nationale que s'organise de nouvelles Instances visant a intégrer les femmes dans l'action collective. La première organisation féminine mauritanienne a connue le jour en 1961, à l'initiative de Mariem Daddah (épouse du premier président de la république mauritanien Moktar Ould Daddah). Suite à cette initiative 20 autres organisations féminines sont crées.

Années 1960 -1980: Proliférations de groupes revendicatifs et de discours féministes pour une insertion de la femme dans le nouveau paysage politique:

· En 1964: A Kaédi , un groupement de femmes participe aux initiatives d'un congrès politique ( durant lequel fut proclamé pour la première fois la reconnaissance des droits politiques de la femme ainsi que l'intégration des femmes au sein du Parti du peuple mauritanien).

· En 1966 a lieu le deuxième congrès national: Les femmes y revendiquent une législation visant la protection juridique et sociale de la famille.

· En 1968: La femme mauritanienne obtient le droit de « participer sans restrictions aux activités nationales » .


·En 1971, le congrès national nomme une représentante des femmes au bureau politique national et augmente le nombre des femmes dans les différentes instances du Parti (Sections, fédérations, conseil national, Congrès,...).

Débute alors une véritable multiplication des revendications malgré quelques hostilités des forces rétrogrades, ces femmes ont su imposer leur droits et mettre en place de véritables politiques pour la promotion de la condition féminine. Le MNF (Le mouvement national des femmes) a commencé par mettre en place un certain nombre d'objectifs:

· L'amélioration du niveau culturel des femmes mauritaniennes sans distinction de race ou de religion

· La scolarisation de toutes les filles

· La protection de la femme par la lutte contre le divorce anarchique

· La défense des droits de la femme mauritanienne dans tous les domaines (tant au niveau social que politique) jusqu'à ce que son niveau intellectuel et matériel lui permette d'être l'égale de la femme dans le reste du monde

· La lutte contre l'ignorance et les mauvaises habitudes liées à certaines pratiques archaïques

· La scolarisation des filles sans négliger l'enseignement religieux.

· La contribution à la construction d'une société musulmane moderne (conformément aux valeurs véhiculées par le concept de « la république islamique »)

· La promotion du niveau de la femme mauritanienne jusqu'à la naissance d'un mouvement ou d'un groupe de femmes capable de participer activement au service du pays

C'est ainsi que ces groupes de militantes s'étendirent peu à peu sur le continent (par exemple la
création en juillet 1962 d'un bureau de femmes mauritaniennes résidant à Dakar) .Le Conseil
supérieur des femmes édite deux revues « Mariemou » et « La militante » ainsi qu'une série

d'animations éducatives destinée aux femmes analphabètes. Le MNF devient un membre actif au sein de l'Union internationale des organismes familiaux et a participé au Congrès international des femmes à Helsinki en juillet 1969, au séminaire international de Tunis concernant le droit africain de la famille... Les lignes majeurs sur lesquels se concentrent ce militantisme tournent jusqu'à présent autour de quelques grands axes: La protection de l'enfance et de la famille, le respect et la garantie du maintien des droits de la femme (statut juridique, social, matrimonial,...) ainsi que la scolarisation des femmes et une garantie d'une formation des cadres féminins pour une intégration des femmes dans la vie économique du pays.

Durant la fin des années 1960 et le début des années 1970, le pays a connu une intense activité féminine dans le secteur politique et associatif (participation à des colloques internationaux, visites de délégations féminines internationales, création d'ateliers de formations de jeunes filles à divers métiers, etc.). C'est au milieu des années 1970 que le désir d'émancipation atteint son paroxysme donnant lieu à une présence affirmée de l'action des femmes dans divers domaines.

Le 10 juillet 1978, le Comité militaire de redressement national dissout alors toutes les organisations des jeunes et des femmes dans un communiqué rendu public. Le discours de la femme disparaît peu à peu durant cette courte durée mais dès la présidence de Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya, qui annonça dans un discours le 5 mars 1986, (devenu fête nationale de la femme en Mauritanie) la demande de participation de la femme et l'affirmation de son rôle dans le développement a réintégré les femmes dans la sphère publique. Ce qui déboucha sur la mise en place d'un quota de 20%15 de femme au parlement ainsi que « la création d'un nouveau département pour les femmes au niveau du Secrétariat permanent du Comité militaire de salut national. »16

Une des premières personnalités féminine mauritanienne influente sur la scène publique, fut Mariem Daddah épouse du président Moktar ould Daddah ; d'origine française elle a intégré la culture du pays qu'elle considère désormais comme la sienne. Après le décès de son mari le 14 octobre 2003, elle continue aujourd'hui son engagement auprès de diverses associations

15Dont nous développerons l'évolution et les retombées politiques plus loin

16Maurifemme.mr- blog rassemblant les principales avancées du militantisme féminin en Mauritanie.

féminines et soutient un ensemble de projets politiques en faveur de l'émancipation des femmes en Mauritanie.

Dans une interview recueillie par Modibo Keita, parue dans la revue Africa de Dakar en février 1977 fait avec Mme Daddah en 1977 met en avant les premiers projets politiques et la vision de la première Dame du pays alors que le paysage politique mauritanien était en pleine construction.

A travers cette interview on arrive à percevoir l'état d'esprit avec lequel l'Etat introduisit la femme dans la sphère publique. Convertie à l'islam en 1977 Mariem ( Marie-Thérese) Daddah a ému le peuple mauritanien par son attachement et sa volonté de participer au développement du pays. Nous allons retranscrire ici un extrait de cette interview afin de mettre la lumière sur les prémices de cet éveil politique en Mauritanie.

« Comment assumez-vous votre tâche de contribution au progrès du pays ? »

« J'ai été à la tête du Mouvement des femmes, que j'ai crée avec d'autres camarades en 1964. Auparavant (1961-1964) j'avais participé à la création des Unions féminines. Je me suis d'abord penchée sur le sort de nos soeurs d'ici. (Je suis avant tout une femme et c'est en tant que telle que je suis venue ici : épouse, mère de famille, citoyenne). Je dois beaucoup aux femmes, elles étaient les plus proche de moi et les plus faciles a toucher. C'est elle qui m'ont appris la langue, les traditions de ce pays, qui m'ont permis de pénétrer la mentalité de ce peuple. J'ai eu ensuite l'occasion de lancer l'information au niveau du parti. Il nous était apparu sur le parti manquait de vigueur dans le domaine de l'information, qu'il avait besoin d'un support et j'ai été chargé de lancer le Centre d'information et de formation (CIF) qui est devenue l'institut national d'éducation et d'études politiques (INEEP).

Récemment on ma chargée de ce projet impressionnant qu'est la création de la Télévision nationale dans un délai le plus court possible. J'ai lancé aussi le Croissant rouge mauritanien en 1971 et je suis restée à sa tête seulement un an et demi pour ensuite en confier la direction à une compatriote. Ma façon de contribuer est donc concrète. Je travaille au bureau toute la journée, j'ai des équipes, je travaille comme toute citoyenne du pays.

Je dois signaler que dans mon activité, que je me suis beaucoup intéressé à la jeunesse. La jeunesse est chargée de prendre la relève et de faire mieux que les générations précédentes. J'ai eu beaucoup de contacts avec les jeunes, les intellectuels particulièrement, surtout les nouveaux, les plus jeunes, ceux qui ont été dans une contestation assez active dans les années 68-73 et j'ai essayé de les comprendre, de savoir pourquoi ils contestaient, ce qui ne leur convenait pas, quelles étaient leurs aspirations.

[...]

-Pensez vous que la libération de la femme mauritanienne se trouve véritablement dans le Coran? (allusions à la polygamie, à la réputation, etc....)

Cette question, très riche, doit être, à mon avis, élargie à un champ plus vaste. [...] Notre Parti a opté pour une voie claire : il a estimé que l'islam orthodoxe, c'est-à-dire l'islam des premiers temps, élargi à un champ plus vaste. « L'islam est il apte à régler les problèmes de la société mauritanienne de demain. C'est une gageure dans le monde actuel qui perd sa religiosité, qui est dominé par les idéologies matérialistes (capitalisme et marxisme). Notre voie est originale. Ce pays est islamisé depuis 1000 ans. Nous pensons qu'il revient aux jeunes génération de démonopoliser la religion des marabouts parce que ceux-ci ne sont pas les meilleures véhicules ( il y a ceux que nous appelons les faux marabouts , les faux cheikh parce qu'il ne connaissent pas la religion , ils sont basés sur l'ignorance). La religion doit passer en d'autres mains.

Nous ne voulons pas nous perdre dans le matérialisme du capitalisme. Nous rejetons la société de consommation : le marxisme a des méthodes qui pourraient être retenues, mais sa finalité ne convient pas à l'âme du peuple mauritanien. Nous avons opté pour un islam rénové, pour le progrès et non pour l'asservissement. S'agissant des femmes, prenons l'exemple de la polygamie. C'est une pratique qui n'est répandue chez nous qu'au Sud, dans la partie négroafricaine de notre peuple. Elle est tolérée par l'Islam mais soumise à des conditions qui font presque dire qu'elle est décommandée. Les conditions sont rigoureuses et les versets coraniques sont extrêmement précis à ce sujet. Mais les gens ont préféré voir ce qui l'est avantage plutôt que ce qui est réellement écrit. C'est le prototype de la déviation de l'interprétation de la religion. Rien ne servira d'interdire la polygamie. C'est une institution qui tombera en

désuétude. Je pense que la libération de la femme se trouve dans l'islam rénové. C'est un long travail mais nous nous y sommes mis. »

Dans un autre entretien avec Mme Mariem Daddah en Novembre 1977 paru dans la revue Remarques Africaines réalisé par Jean Wolf, rédacteur en chef de la revue ; elle nous expose la fusion entre islam et politique au sein du pouvoir politique mauritanien dès sa création.

« [...] Je voudrais donc vous demander de bien vouloir nous parler de la démocratie mauritanienne. Cette démocratie que nous ne comprenons pas toujours très bien...Comment est elle intégrée aux besoins du peuple mauritanien et correspond elle aux nécessités de ce pays ?

-C'est un problème fondamental pour le Parti du peuple mauritanien (PPM). Il s'agit en permanence de nous poser constamment la question de savoir quelle est la voie que nous devons choisir. Au moment du choix politique qui s'est effectué d'une manière irréversible en 1975, nous avions comme tous les pays du Tiers-Monde plusieurs possibilités : Ou bien choisir un schéma déjà réalisé ( par exemple dans les pays industrialisés), nous en tenir à une constitution qui soit strictement musulmane, ou nous modeler sur des expériences africaines ou tiers mondiste...Mais la Mauritanie est un pays bien spécifique. Son originalité réside notamment dans le fait que , d'une part , c'est un pays musulman et que d'autre part , c'est véritablement un confluent entre deux mondes différents : le Maghreb arabo-berbère et l'Afrique Noire.

Ces caractéristiques fondamentales nous ont donc amenés à faire un choix original. La Charte de notre Parti qualifie notre démocratie comme suit : la démocratie mauritanienne est islamique , centraliste nationale, socialiste.

Une démocratie islamique signifie surtout que nous refusons consciemment d'emprunter à d'autres systèmes philosophiques le fondement de notre démocratie. Il ne pouvait être question pour nous de choisir entre le modèle occidental et le marxisme. L'islam, qui n'est pas seulement notre religion mais aussi notre éthique général, suffit à fonder solidement notre société.

[...] Auparavant dans son Histoire, la Mauritanie n'avait jamais été un Etat au sens actuel du terme, mais plutôt un ensemble harmonieux certes, mais non étatique. Notre démocratie doit aussi garantir notre unité nationale à laquelle nous tenons beaucoup. L'objectif du développement présuppose l'unité organique de la nation.

[...]Cette démocratie est enfin socialiste. Mais socialiste à la manière mauritanienne, car le socialisme n'est l'apanage de personne, ni d'un pays ni d'un philosophe. Notre est essentiellement national et se qualifie par notre souci de la justice allié à l'encouragement d'une économie privée qui soit canalisée et aidée au besoin par l'Etat. Ce socialisme très souple ne se réfère a aucun schéma pré-établi à l'étranger ou dans le passé »

Il est important d'exposer cette vision globale de la construction étatique de l'Etat mauritanien intimement liée aux identités locales, on comprend ici qu'il ne s'agissait pas de faire une rupture avec le cadre traditionnel et idéologique mauritanien mais de prendre des éléments de la modernité ( dans ce qu'elle implique comme valeurs républicaines et de justice sociale) pour en faire un idéal démocratique propre à cette nation.

C'est dans cet état d'esprit que nous devons comprendre l'enjeu du pouvoir politique en Mauritanie aujourd'hui. C'est un héritage idéologique et politique qui oriente à l'heure actuelle l'activité politique.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984