I. Constitution de l'Etat Mauritanien : Insertion des
femmes dans la sphère politique et dans les activités
collectives
A. Rappel historique:
a) Indépendance de l'Etat mauritanien
Naissance d'une entité musulmane: Processus
d'arabisation et naissance de la Mauritanie:
A partir du XIIIème mais surtout du XVème
siècle, l'arrivée des tribus arabes Hassan en Mauritanie
va achever l'arabisation du pays en modifiant considérablement la
culture berbère préexistante. L'infiltration est progressive et
les résistances sont fortes. Au XVIIIème et XVIIIème
siècle vont se fonder les émirats du Trarza, du Brakna, du
Tagant, du Hodh et de l'Adrar. Il s'en suit des conflits incessants jusqu'au
XIXème entre les différentes tribus arabes et berbères.
Au delà des conflits, les arabes se sont
mélangés à la population d'origine berbère ou
noire, constituant au fil des siècles le groupe aujourd'hui majoritaire
en Mauritanie, les Arabo-berbères ou Maures. La société
maure a pris son originalité avec l'arrivée progressive des
tribus Hassan auxquelles elle doit sa répartition en tribus (on peut
utiliser le terme caste dans la mesure où ce système repose sur
une hiérarchie sociale rigide régissant l'activité du
pouvoir et les alliances) et sa langue, le Hassaniya, dialecte parlé par
les nouveaux arrivants.
La colonisation: Déstructuration du cadre
traditionnel du Pouvoir:
En 1904, la Mauritanie devient protectorat Français, en
1920, elle est transformée en colonie Française, avant
d'être arbitrairement incorporée à l'Afrique Occidentale
Française. Ayant approuvé par voie référendaire la
constitution de la 5ème République Française, le pays
devient membre autonome de la Communauté Française de l'AOF et le
28 Novembre 1960 il accède à l'Indépendance Nationale. Il
a par la suite connu une évolution politico-institutionnelle qui aboutit
à l'instauration de la 3ème République et l'adoption,
à partir de 1992, du pluralisme politique qui est en cours à
l'heure actuelle.
On sait que suite à la colonisation de nombreux pays de
l'Afrique de l'Ouest ont subi une profonde déstructuration du cadre
traditionnel de l'organisation du pouvoir. En Mauritanie on est passé
d'un pouvoir décentralisé à un pouvoir centralisé
comme le requière la démocratie calquée sur le
modèle français. Les tribus Guerrières qui
détenaient le pouvoir militaire et décisionnel (partagé
avec les tribus maraboutiques: Les zwayas) se sont retrouvées
dans un système nouveau en inadéquation avec leur habitudes de
gouvernance. D'où la fragilité du processus démocratique
que connait aujourd'hui la Mauritanie, c'est une République Islamique
qui a connu plusieurs coup d'États avant de pouvoir aspirer à une
véritable démocratie (présidée actuellement par le
Général Mohamed ould Abdel Aziz). C'est donc un État qui
rallie valeurs démocratiques modernes et croyances religieuses fortement
ancrées: la population mauritanienne fait de ces valeurs spirituelles et
de sa civilisation un attachement à l'islam et aux principes de la
démocratie tels qu'ils ont été définis par la
déclaration Universelle des droits de l'Homme du 10 décembre
1948.
Processus de décolonisation et mise en place d'un
parti unique: Naissance de l'Etat Nation
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qu'illustre bien
la création de l'organisation des Nations unies, l'ordre international
devait être l'ordre des États, pas de n'importe quel type
d'État: l'ordre des États-nations. C'est au nom de ces principes
que partout fut poursuivie et encouragée la lutte pour la
libération des peuples opprimés. La fin de l'oppression se
marquant exclusivement par l'accession d'un peuple à une existence
étatique universellement reconnue. Tout État nouveau devait donc
être qualifié d'État-nation.
Dans la tête des élites locales de Mauritanie il
y a d`abord le futur président Moktar ould Daddah ( premier
président de la Mauritanie indépendante), la création de
la Mauritanie devait bien, idéologiquement obéir à ce
schéma : Si le Sahara, le Sahel, le Fleuve, ainsi que le Chergue et la
Guebla représentent des entités vivantes avec des vocations
particulières, il faut placer au-dessus d'elles une entité qui
les résume toutes : La Mauritanie.
« C'est une nation qui naît. Nous en avons conscience.
Faisons ensemble la Nation mauritanienne » Moktar ould Daddah, discours
devant l'Assemblée territoriale en 1957.
Le premier président de la Mauritanie Moktar Ould
Daddah est à l'image du principe régissant l'esprit politique
mauritanien dans la mesure où cet homme symbolisait à lui seul le
rattachement aux valeurs traditionnelles, religieuses mais aussi à un
attachement fort aux idéaux modernes de la démocratie. Né
en décembre 1924 dans une famille maraboutique de Boutilimit,
«élevé dans la plus pure tradition musulmane, mais sans
sectarisme, il est demeuré fidèle à la piété
de son enfance ainsi qu'a l'enseignement paternel, aujourd'hui encore, il
continue à respecter « toutes barbes plus vieilles que la
sienne » »6. Après des études de
troisième cycle au Sénégal, il devient
fonctionnaire-interprète à l'âge de 18 ans en
19477. Puis il part en France où il passe son
baccalauréat et entame des études de droit jusqu'en 1956.
Après une brève carrière d'avocat à Dakar au
Sénégal, il rentre en Mauritanie pour suivre les affaires
politiques du Pays. Une de ces premières initiatives fut de proposer une
capitale pour le pays où il y aurait un centre décisionnel :
Nouakchott. Sa situation géographique serait selon lui
privilégiée pour favoriser le développement d'un point
d'échanges entre les régions agricoles et minières du
pays, de plus étant proche de la mer, elle favoriserait le
désenclavement du pays. Alors que Nouakchott n'était qu'une vaste
étendue désertique, Moktar Ould Daddah obtint la signature du
décret d'application transférant cette localité comme
étant le centre politique, économique et décisionnel du
pays.
Trois ans plus tard, l'indépendance de la Mauritanie est
proclamée, une indépendance au début assez relative
dans la mesure où elle restait soumise au dictat français et dont
la souveraineté symbolique visait à favoriser «
l'exploitation d'un des gisements de minerai de fer les plus riches
6.Page.327 Le Dossier de la Mauritanie- Attilio Gaudio-
Nouvelles Editions Latines-1978
7.Date coincidant avec « la création du premier
parti organisé du pays, formé dans le but de réclamer une
plus grande représentativité de l'unique député
mauritanien à l'Assemblée nationale française »
Ibid p.328
de la planète »8 . C'est dans ce
contexte néocoloniale que Moktar Ould Daddah s'est fait connaitre sur la
scène politique par ses prises de positions contre les forces politiques
françaises en particulier par son opposition farouche au projet
métropolitain d'intégration économique et administrative
dans l'Organisation Communes des Régions Sahariennes (OCRS), une
tentative française qui avait pour objectif de contrôler une
partie du désert Algérien et répartir ses richesses
minières et pétrolières entre les pays riverains du
Sahara, dont la Mauritanie. Renonçant ainsi à des subventions
versées par la France. Et c'est cette prise de position en faveur de
l'Algérie et de la souveraineté nationale des Etats Ouest
africains que Moktar ould Daddah jouissait d'une grande audience et d'un
support important auprès de ces populations. A la tête du Parti
pour le Peuple Mauritanien (PPM), il a rassemblé tous les autres partis
politiques pour une unité nationale, rassemblant la jeunesse et les
ethnies du pays. Ce parti unique et son projet unificateur
présenté lors d'un Congrès à Aleg, visait à
atténuer les antagonismes entre Noirs et Blancs, les soulèvements
syndicalistes et de la jeunesse pour une stabilité politique et sociale
vers un avenir commun de la population mauritanienne.
Il est donc important de rappeler que le processus de
décolonisation et la période post-coloniale en Mauritanie s'est
accompagnée d'un éveil contestataire politique important
(notamment s'agissant du mouvement Kadihine) qui a mobilisé hommes et
femmes pour une cause commune. Forgeant ainsi une conscience politique ayant
énormément influencé les trajectoires sociales des
personnalités influentes aujourd'hui du pays9.
Ce rappel historique et contextuel dans lequel est née
la Mauritanie met en évidence cette symbiose entre traditions et
modernité comme étant le principe régissant la vie
politique et sociale puisque on retrouve cet attachement à une forme
traditionnel du pouvoir (tribalisme et parenté en
politique10) et aux principes de l'Etat-nation moderne. Cette
faculté de s'attacher à deux états d'esprit
différents, voir opposés en Mauritanie, parfois constituant un
frein à l'avènement d'une démocratie
équilibrée peut être considérée comme une des
spécificités
8.Ibid p. 328
9.Dont des femmes engagées interviewées pour cette
étude
culturelles de ce pays. Cette remarque pouvant être
perçue comme étant assez culturaliste reste néanmoins un
constat fondé sur des réalités mauritaniennes tant au
niveau de la vie sociale qu'en ce qui concerne l'exercice du pouvoir politique.
En effet, nous le verrons c'est un phénomène pouvant s'appliquer
à la situation de l'activité féminine dans l'espace
publique et social. Pour cela il serait judicieux de commencer par exposer les
premiers pas féminins sur la scène politique en Mauritanie et
d'en déceler les fondements socioculturels ayant favorisé
l'insertion des femmes dans la vie publique.
En effet, maintenant que nous avons présenté le
paysage politique mauritanien on peut introduire la question de la femme dans
ce champ, il est plus judicieux en effet de parler d'un champ car l'action
féminine dans la sphère politique est variée et peut
prendre diverses formes. Étant donné la spécificité
avec laquelle la question du féminin est traitée, l'action des
femmes dans ce qui attrait au décisionnelle peut être
considérée d'un point de vue domestique car elle présente
des singularités s'agissant du pouvoir des femmes dans cette
société.
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