b) Présentation de la figure féminine
maure : La femme mauritanienne, entre une culture de l'émancipation et
une tradition patriarcale.
C'est donc dans ce contexte culturel et politique que la femme
mauritanienne active tente de concilier entre les prérogatives de la vie
moderne politique démocratique et son rôle social, à savoir
respecter les règles traditionnelles encadrant sa place au sein de la
communauté. En effet, il est important de rappeler qu'au delà des
avancées politiques pour l'émancipation de la femme et des
avantages que présentent la culture maure, il existe un ensemble de
codes visant à contrôler ces femmes. La pudeur et la
chasteté sont considérées comme les qualités
essentielles attribuées aux femmes qu'elles se doivent de respecter sous
peine de se voir rejeter par le groupe ou d'être l'objet d'un
déshonneur tribal.
« Keyd en-nissa » (ruse des femmes), cette
expression largement reprise dans le dialecte Hassaniya (parlé par les
maures) illustre parfaitement la « crainte » qui alimente toutes les
conceptions construites autour de l'aspect dévastateur de la femme.
Dotées d'une intelligence (le terme le plus adéquat ici serait
« ruse ») lui permettant de manipuler les hommes, détourner
les lois divines ou contourner les règles; elles sont capables de
détruire l'homme ou de le rendre « fou ». Il existe une
quantité importante de contes et de poèmes considérables
maures et arabes visant à prouver que les femmes sont
machiavéliques. Ce sont des croyances populaires largement diffuses dans
la péninsule arabe et qui continuent de caractériser le mode de
pensée de tout le pourtour méditerranéen. Et
parallèlement à cela il y a cette définition du
désir féminin (ou de la femme) où il y a quelque chose
d'irrésistible et d'aliénant dont la littérature des
textes arabes rend d'ailleurs compte avec une précision que n'atteint
pas la langue française d'où cette
4.La guerre de Char Bouba se termina en défaite pour les
tribus amazighs, et ils furent à partir de ce moment forcés de
remettre leurs armes et de se soumettre aux tribus guerrières arabes,
auxquel ils payaient le horma («la razia») un impôt tribal
sorte de protection accordée par le vainqueur au vaincu. Ils resteront
présents au bas de l'échelle sociale que ce soit comme
exploitants agricoles semi-sédentaires et pêcheurs ( tribus
Znaga), ou, plus haut sur l'échelle sociale, en tant que tribus
religieuses (de marabout ou zawiya).
conception de la femme comme séductrice et
dévastatrice récurrente dans les poésies arabes depuis des
siècles. Pour mettre en avant cet état d'esprit
omniprésent dans la société maure, l'anthropologue Aline
Tauzin5 a écrit un ensemble de récits (qu'elle a elle
même traduit du hassaniya au français) reprenant des contes
(proches des mythes ou des légendes) maures qui mettent l'accent sur cet
aspect néfaste des femmes qu'il faut éviter et contrôler.
Des histoires de la société maure qui font étalage de
l'aptitude des femmes à susciter le désir, leur insoumission
à la loi divine et de leur perversité lorsqu'il s'agit de la
contourner pour s'emparer des biens des hommes ou de les rendre faibles et
à leur merci (Aline Tauzin nous parle d'un aspect « castrateur
» dans l'analyse psychanalytique de ce phénomène dans son
ouvrage « figures du féminin dans la société maure
»). Ainsi s'établit une distance entre les hommes et les femmes,
une distance comblée par une diversité de poésies (la
poésie et l'art du verbe étant au centre de la culture maure)
avec une tonalité élégiaque exprimant le tourment des
hommes causé par ces femmes. A noter également que les femmes
dans cette société à l'origine nomade du désert
(avant l'urbanisation mais ceci est toujours valable dans le milieu urbain)
assument les devoirs de l'hospitalité et d'entretiens du foyer et des
affaires qui sont liées à la survie du groupe et de la famille.
Et dans le même temps, les hommes (s'agissant des frères
ainés ou des maris) quand ils sont présents servent les femmes,
se soucie de leur bien être et ne laissent pas s'installer auprès
d'elles une déplaisance ou une souffrance. Cette volonté de
servir la femme de manière à ce qu'elle ne manque de rien vient
expliquer ce rite du gavage et de l'entretien du corps de la femme
présent dans cette société. Les filles sont
préparées dès leur naissance à devenir «
belles » et donc grosses: « Le corps féminin fait l'objet d'un
investissement très important. Il est soumis, dès la naissance,
à toute une série de manipulations et de marquages... » .
Être grosse est en effet un critère de beauté, la femme
doit avoir des rondeurs qui témoignent de son appartenance à une
grande tribu (riche et puissante dont les filles ne manque de rien), signe de
prospérité et de bonne éducation, l'entretien du corps des
filles est donc une affaire de femmes mais aussi de l'honneur très
importante. Cette pratique du gavage est appelé « lebluh », la
fillette (dès l'âge de 6 ans) est forcée à
ingurgiter une grande quantité de lait (de chamelles ou de vaches) et
toute une quantité
5.Anthropologue et spécialiste du monde arabe,
chargée de recherche au CNRS dans l'unité » psychanalyse et
pratique sociale de la santé », elle a enquêté depuis
les 1970 auprès de femme du Yémen, de la Mauritanie et des
milieux urbains mauritaniens.
de nourriture grasse. Par le massage et le gavage on cherche
à en faire un corps lisse et dont la rondeur la rapprochera du mariage
le plus vite possible afin d'éviter un risque de déshonneur de la
femme: Plus tôt la fille est mariée mieux c'est pour le prestige
du groupe mais aussi afin d'éviter un éventuel scandale puisque
le désir de la femme est considéré comme étant plus
intense que celui de l'homme, elle peut donc commettre l'erreur suprême
qui est celle de concevoir un enfant hors mariage « etverakh » (
terme repris par Aline Tauzin nous expliquant la gravité et la crainte
de cet acte par les tribus dominantes); on dit dans ces cas là que
« elle est sortie de la main » ( « marget leyd ») c'est
à dire qu'elle n'est plus sous le contrôle du groupe au plus grand
désarroi de sa famille. La pratique du gavage en tant que tel a
quasiment disparu du paysage urbain, mais il reste une minorité de
groupe la pratiquant particulièrement dans le monde rural, ce
désir d'obésité absolue aujourd'hui a tendance à
être remplacé par des rondeurs moins marquées, la femme
doit garder une légère surcharge pondérale;ce qui rend la
minceur encore considérée comme un défaut.
De plus il serait judicieux de rappeler que le terme en
hassaniya de « klitha » veut à la fois dire « grosse
» mais aussi peut être utilisé pour qualifier la noblesse
d'une tribu: on voit donc qu'il y a une correspondance entre la noblesse et
l'aspect physique, la relation qui les lie étant dialectique ce terme en
témoigne car le terme de « rgeyig » voulant dire aussi «
maigre » peut être utilisé pour qualifier une tribu de basse
classe.
La femme maure devient donc le reflet du statut d'une tribu,
de son prestige et porte en elle la renommée et la réputation du
groupe, ce qui amène à penser qu'il s'agit d'un membre à
la fois actif par son rôle social et passif dans la mesure où la
femme reste un être fragile dont on doit prendre soin. On retrouve ce
mélange subtil de l'actif et du passif chez la femme maure dans la vie
active, politique et social.
Les entretiens faits avec plusieurs personnalités
féminines engagées dans la vie active et politique pour cette
étude en témoignent, leurs discours convergent vers une
même idée d'émancipation mais limitée et parfois se
heurtant à des forces rétrogrades intimement liés aux
mentalités locales. Quel type de pouvoir est conféré aux
femmes en Mauritanie? Qu'en est-il du mythe de la femme parfaitement libre et
autonome dans la société maure? C'est par le biais d'entretiens
et d'observations participantes au sein d'une communauté que l'on va
tenter ici de décrypter le phénomène de ce que l'on peut
désigner comme étant « la force du sexe faible»,
l'antithèse des termes «force» et
«faible» met en évidence le lien étroit se tissant
entre ces deux définitions contradictoires de la femme maure.
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