Avant propos:
Etant mauritanienne et ayant grandi dans cette culture
complexe ce qui implique l'intégration de ses codes et de ses valeurs,
ce travail devient un moyen de dépasser mes propres prénotions et
un exercice sur moi-même indispensable à ma formation de
sociologue afin de cerner les réels mécanismes sociologiques qui
soutiennent les interactions sociales et le mode de pensée sur lequel se
fondent l'organisation d `une société. S'ajoute à cela que
je porte un intérêt particulier à la condition de la femme
dans le monde arabo-musulman d'où le choix du sujet «le
Féminisme islamique» pour mon mémoire de recherche en
Master1. Mes convictions féministes et ma volonté de participer
à la production intellectuelle mettant en évidence les enjeux
politiques et sociaux autour de la question de l'inégalité
homme-femme sont à l'origine de mes motivations et de mon engagement
personnel pour la cause de l'émancipation de la femme musulmane et/ou
arabe. Les spécificités culturelles de la société
maure et sa lecture de l'islam sont à l'origine de la situation
particulièrement avantageuse de la femme mauritanienne. Ainsi, cerner
les mécanismes sociaux de cet état de fait peut constituer une
clé analytique pouvant être au service des réflexions et
des discours autour des processus décisionnels visant à
améliorer la condition de la femme dans les pays en voie de
développement. Sans avoir la prétention de vouloir
résoudre l'énigme de l'éternel patriarcat propre aux
sociétés arabo-musulmanes (et dans une moindre mesure aux
sociétés occidentales), cette analyse peut néanmoins
apporter quelques éléments de réponse aux questionnements
relatifs à l'émancipation de la femme dans une
société traditionnelle et islamique.
Introduction:
«Les Mauresses conservent plus d'empire sur leurs maris
que nos dames françaises»1 cette remarque de
l'explorateur René Caillé peut être complétée
par celle du géographe maghrébin Ibn Battuta (au 14ème
siècle) qui s'étonna lors de son périple le conduisant en
Mauritanie :«La condition de ce peuple est étonnante, et ses moeurs
sont bizarres. Quant aux hommes, ils ne sont nullement jaloux de leurs
épouses» pour souligner la particularité de la figure
féminine maure. La femme maure jouissant d'un statut particulier a fait
l'objet d'un certain nombre de réflexions tentant de comprendre sa
position parfois paradoxale dans la mesure où il s'agit d'une
société arabe fondée sur des règles islamiques
rigides et dont les traditions et la culture propre sont la source de
l'émancipation des femmes, leur permettant de jouir d'un certain
pouvoir.
L'intérêt de notre étude ici est de voir
justement les limites du pouvoir féminin et les origines
socio-historiques soutenant «cette culture féministe».
Comment la culture maure favorise t'elle à la fois
l'émancipation féminine et le maintien d'un patriarcat au sein de
la sphère politique? En quoi la norme sociale et les traditions
créent des espaces de pouvoirs réservés aux femmes et en
excluent d'autres?
Cette enquête tourne autour de la question de
l'engagement politique et associatif féminin en Mauritanie, l'aspect
culturel étant un des volets analytiques principaux de cette
étude, il s'agira pour nous ici de se pencher sur la culture maure plus
spécifiquement. La Mauritanie étant un pays pluri-ethniques,
renfermant ainsi une diversité culturelle et des modes de pensées
différents en fonction des communautés, il est nécessaire
ici de traiter le sujet en se penchant sur un seul mode culturel (ce qui
n'exclut pas des comparaisons avec les autres systèmes de pensée
présents sur le territoire mauritanien), à savoir la culture
maure.
1Figures du féminin dans la société
maure- Aline Tauzin- Editions Khartala- 2001
a) Informations d'ordres générales sur la
Mauritanie
Tout d'abord il est important de mettre en avant la
spécificité politique de la Mauritanie, car en effet se situant
à la charnière de l'Afrique noire et du Maghreb, elle
présente des particularités significatives tant au niveau
culturel que politique. C'est donc d'une part un pays musulman (de rite
malékite) le rattachant au monde du Maghreb (et plus
spécifiquement arabo-berbère) et l'Afrique noire (par la
présence d'une large communauté négro-africaine:
Soninké, Poular et Wolof). C'est aujourd'hui une République
islamique, on peut parler «d'une démocratie mauritanienne [...]
islamique, centraliste, nationale, socialiste»2. Cette
spécificité politique de l'État mauritanien s'explique par
le refus des mauritaniens d'intégrer la totalité des valeurs et
des codes occidentaux apportés par le principe démocratique mais
de garder la philosophie d'un système juste et égalitaire tout en
fonctionnant sur un modèle islamique car l'islam constitue
l'éthique général de cette population; une éthique
religieuse qui régit les codes et les valeurs des rapports sociaux.
L'objectif principal de l'établissement d'une démocratie
nationale est de garantir une unité nationale centralisée car
avant la colonisation il n'existait pas d'État fondé sur un
pouvoir étatique unique mais il s'agissait plutôt d'un ensemble
disparate de groupes dominants. En effet, les populations de cette zone
étant à majorité nomades, il n'existait pas d'instance
supérieure régissant l'ensemble du territoire mais l'Islam
constituait le socle spirituel commun de ces habitants.
Ce pays qui a connue une colonisation française d'une
trentaine d'année a connu son indépendance en Novembre 1960, et
c'est dans un esprit de « construction » et non pas de «
reconstruction » que le premier président de la Mauritanie
indépendante Moktar Ould Daddah s'est engagé pour créer un
État démocratique islamique et socialiste. Ce socialisme en
question ne se réfère à aucun schéma
européen ou modèle établi dans un autre pays, il s'agit
d'un socialisme « mauritanien » encourageant l'action d'une
économie privée (et dans une certaine mesure individuelle) pour
amener les populations à développer divers savoir-faire. C'est
donc un État récent dont les frontières parfois
tracées à la règle, tentant de rallier une identité
culturelle propre à lui et dans le même temps emprunter une
philosophie issue d'autres systèmes lui garantissant une
légitimité auprès des autres nations indépendantes
et modernes.
2 Le Dossier de la Mauritanie- Attilio Gaudio- Nouvelles
Editions Latines 1978
Cependant à l'heure actuelle on assiste à une
montée de revendications prônant les valeurs républicaines
comme le seul remède au sous développement et les putschs
consécutifs qu'a connus la Mauritanie cette dernière
décennie témoignent d'une volonté profonde de changements
au sein de la population.
Géographiquement, la Mauritanie est située
à la charnière entre l'Afrique Blanche et l'Afrique Noire, elle
constitue de ce fait l'interface entre les populations Arabo-berbères
Maghrébines et celles Négro-africaines sahélo-sahariennes.
C'est un espace de brassages sociaux et de métissages culturels, et ce
depuis la haute antiquité.
La Mauritanie a connu son indépendance en 1960, un
régime parlementaire multi-partite, qui s'est petit à petit
mué en un régime à parti unique, supprimé lui, en
1978 par un coup d'état militaire. Les deux décennies suivantes
se caractérisent par une série de putches, pour connaitre une
certaine stabilité politique à partir de 2005 jusqu'à
aujourd'hui malgré une forte agitation de la société
civile et des populations revendiquant des changements dans la mouvance du
printemps arabe.
L'ethnie maure est d'origine arabo-berbère. Certains de
ses éléments arrivèrent dans le Sahara occidental
dès le second ou le troisième siècle après J.C.
Cependant pour les maures, leur Histoire commence avec l'épopée
des Almoravides qui étendirent l'Islam vers le sud détruisant
l'Empire du Ghana en 1077. Puis au 14eme siècle, une tribu arabe (les
Maquil) venue d'Orient arrive en Mauritanie et après la guerre du
Char Bouba 3laissant place à une nouvelle structure
sociale issue de ce métissage arabo-berbère dès le
18ème siècle. C'est ainsi que ces émirats ont pu se mettre
en place (petites royautés) telle que ceux du Trarza, du Brakna, de
l'Adrar, etc. dans différentes zones du territoire. C'est sur cette
nouvelle organisation fondée sur des royautés bien
définies que se sont articulées l'organisation et la
hiérarchie des différentes classes et castes (tribus). On peut
parler d'un système de castes car c'est une structure qui renferme une
réelle distance sociale entre ces différentes catégories
et leurs interactions sont fondées sur des codes et des règles
rigides judicieusement respectées. On peut parler également de
classes dans la mesure
3.Guerre de Trente Ans mauritanienne, a eu lieu entre 1644-74
dans les zones tribales de ce qui est aujourd'hui la Mauritanie et le Sahara
marocain. Ce fût un combat entre les Sanhadja résident dans la
région, dirigée par Lamtuna Imam Nasr ad-Din, et les tribus
arabes immigrées Maqil, au premier rang desquels était les Beni
Hassan.
où le pouvoir économique et politique (on
pourrait même parler du capital économique et culturel au sens
bourdieusien) est détenu par les castes supérieures (à
savoir les tribus guerrières et maraboutiques4).
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