B. Dimension anthropologique et religieuse
a) Statut juridique de la femme maure «l'islam maure
» et la place des femmes :
La religion musulmane étant particulièrement
ancrée dans la société maure, une population 100%
musulmane de rite malékite. Le droit musulman fonde le statut juridique
des hommes et des femmes. En effet, les différentes constitutions
adoptées au cours de l'Histoire de la Mauritanie n'ont jamais fait
référence à la laïcité ; depuis la
Constitution du 13 Mai 1959, la Mauritanie est dénommée «
République islamique. ».
D'un point de vu social, le respect des règles
islamiques et des principes religieux régissant le quotidien des
mauritaniens reste la principale sinon l'unique référence
juridique dans l'organisation juridique et sociale des rapports sociaux. Si
nous nous penchons sur la situation de la femme au regard de cette
obéissance à l'islam dans cette société, on voit
qu'en matière d'héritage et de divorce, les maures se
référent au rite malékite. La femme hérite de la
moitié de la part qui revient à l'homme, quant au divorce il
prend la forme d'une répudiation à la seule initiative de l'homme
mais qui dans la pratique est plus complexe. En effet, la matrimonialité
dans la société maure bien que fortement soumise au « code
» de Khlil ( condensé de règles du fiqh
malékite) et fortement imprégnée de soufisme, elle
présente néanmoins les traces d'un héritage des coutumes
ancestrales berbères et des tendances monogamiques et matriarcales
prononcées. Le droit de l'homme à avoir quatre épouses
légitimes y est par exemple presque inexistant. Rappelons que le mariage
tient une place majeure dans l'islam car la structure de base de la
société islamique est la famille. Mais le mariage islamique n'est
pas un sacrement comme le mariage chrétien, c'est un contrat
passé entre l'homme et la femme, définissant les droits et les
obligations de chacune des deux parties garantissant ainsi à la femme de
refuser par exemple la polygamie dès le contrat de mariage, ce qui
caractérise les contrats matrimoniaux maures. Ce rappel est important
pour introduire une particularité matrimoniale maure, à savoir le
divorce.
b) Spécificité culturelle des pratiques
matrimoniales, statut particulier de la femme
divorcée :
« Le divorce est devenu un acte fréquent -pour ne
pas dire banal- dans notre société. L'enquête mauritanienne
sur la fécondité de 1981 montre que 31% des premiers mariages
finissent par être rompus. Comparativement à d'autres pays arabes
ou africains (Maroc, Tunisie, Syrie, Sénégal...), la Mauritanie
détient un taux d'instabilité des unions très
élevé. » ("Le divorce roi...", Mohamed ould Sidi -
Espace Calame, n° 5, Mai 1994). Ce constat alarmant du journaliste Mohamed
ould Sidi met en évidence l'aspect pathologique du taux de divorce en
Mauritanie et plus spécifiquement dans le milieu maure.
La polygamie étant strictement refusée par les
femmes, les maures ne sont pas à l'abri de l'instabilité
conjugale. Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler quelques
éléments relatifs à l'aspect matrimonial maure expliquant
en partie ce phénomène :
L'hypergamie féminine, « le mariage arabe »,
l'endogamie, etc. constituent autant de règles matrimoniales qui
réduisent considérablement la liberté de choix du conjoint
débouchant donc sur un plus grand nombre de divorce. S'ajoute à
cela les motivations financières, le mariage avec un homme ayant une
situation financière confortable devient pour les femmes maures (dont la
majorité rappelons le n'exerce pas d'activités professionnelles)
un moyen d'améliorer leur condition de vie ; l'existence d'une
instabilité économique et du marché du travail en
Mauritanie favorise l'appauvrissement des individus (en l'occurrence s'agissant
ici des hommes) provoquant ainsi le divorce pour ce type de mariage. Il y a
aussi le facteur âge dans la mesure où une grande partie de ces
mariages unissent deux personnes présentant un écart de
génération important favorisant la mésentente.
Ce sont les stratégies matrimoniales (alliances
tribales, endogamie, parenté, acquisition de biens etc.) qui fragilisent
la solidité des unions et entrainent une déstructuration de la
cellule familiale devenu monnaie courante dans le paysage social maure. Les
divorces et les remariages sont donc devenus une forme de polygamie offerte
à l'homme et à la femme : « Ainsi, une femme de 25 eans peut
avoir noué deux mariages et deux divorces en l'espace de six ou sept ans
» (C.Lesourd 2006- p.69). Cette nouvelle forme de polygamie propre
à la société maure est favorisée par des
démarches administratives peu contraignantes, le mariage est
tourné vers la sphère privé,
domestique n'impliquant que la volonté des individus et
devient donc à la portée de tous. Cette liberté
administrative liée à un système juridique
défaillant octroie une plus grande liberté aux individus de
contracter des mariages et de prononcer des divorces en dehors d'un cadre
institutionnel établi.
Ainsi en 2000, 39% des femmes auraient contracté plus
d'un mariage (contre 16% en milieu rural) quel que soit leur niveau
d'instruction95. Cette instabilité conjugale chez les femmes
maures n'est pas signe d'une mort sociale comme on peut le noter dans le reste
des pays du Maghreb arabe, au contraire il participe à parfaire la
réputation de « Chabiba » que l'on rencontre dans le milieu
maure. S'être mariée plusieurs fois pour une femme peut être
considéré chez les maures comme un signe de prestige, de
renommée et d'un grand pouvoir de séduction. Le divorce entre en
jeu dans les multiples stratégies féminines maures visant
à accroitre leur compétence relationnelle mais aussi leur
succès auprès des hommes qui bénéficient d'un
certain pouvoir (politique, économique, etc.). Les «
carrières matrimoniales » des mauresques sont à l'image de
l'opportunisme féminin qui s'est développé dans le paysage
urbain du pays.
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