3.4. Approche psychosociologique de l'analyse des
pratiques professionnelles
3.4.1. Objectifs du groupe
La mise en place d'un dispositif d'analyse de pratiques
professionnelles nécessite de tenir compte de l'objectif du groupe. En
ce qui concerne notre propos, l'objectif principal est de permettre à
chaque membre du groupe de développer ses capacités de
communication et sa capacité à prendre en compte les enjeux et
contraintes de chacun. Pour reprendre les termes de D. Fablet, nous souhaitons
que les membres du groupe développent << des capacités
de compréhension et d'ajustement à autrui... ».
C'est pourquoi nous retenons l'approche psychosociale de
l'analyse des pratiques professionnelles ; elle permet l'analyse des
interactions, un éclairage sur le travail en groupe, et une ouverture
sur une perspective de changement à l'intérieur du groupe
lui-même.
3.4.2. Constitution du groupe
Un deuxième facteur est à prendre en compte :
quelle est la constitution du groupe ? Dans notre cas, il s'agit d'un groupe
dit << réel >>, c'est-à-dire constitué de
professionnels exerçant dans une même institution, un même
service.
Dans un tel contexte, l'analyse de pratiques professionnelles est
appelée << intervention >> ou << formation
intra-institutionnelle >> ; nous emploierons désormais ce
terme.
3.4.3. L'intervention
La notion est apparue en France au milieu des années
1950 : il s'agit d'activités qui se distinguent de la formation en
adoptant une démarche « « collaborative »
- intervention avec - plutôt que «
technocratique » - intervention sur » (Fablet,
2003)50.
L'intervention a une visée de changement dans
le groupe ; elle recherche la dynamique collective plus que l'évolution
des sujets. Les chercheurs en sciences sociale et humaine estiment que celle-ci
contribue au changement social au sein d'un collectif de travail, à
partir du collectif lui-même.
Il est à noter que le fait d'appartenir à un
même collectif de travail n'est pas sans conséquence pour les
membres du groupe. En effet, lorsque l'un d'entre eux prend la parole pour
exposer une situation vécue, il s'exprime à la fois sur les
représentations qu'il a de cette situation mais aussi sur les
problèmes rencontrés avec les membres de son collectif de
travail. De telles séquences remettent donc en question l'organisation
et les relations interpersonnelles ; la situation peut aller jusqu'au conflit.
Cependant, celui-ci, analysé et vécu de manière
constructive, permet l'évolution des représentations de
chacun.
P Supervision ou consultation ?
Le travail d'analyse peut s'avérer très
différent en fonction du collectif de travail : le type
d'activité, les missions du service et les caractéristiques des
usagers sont à prendre en compte. On distinguera supervision et
consultation.
La supervision consiste à se pencher sur le type
d'approche mis en oeuvre dans le rapport à l'usager dont les
professionnels s'occupent. Cette approche s'inscrit dans un registre
plutôt psychanalytique et consiste en l'analyse des transferts et
contre-transferts.
Dans le travail de consultation, on se concentre
essentiellement sur le projet de service, les rapports et interactions entre
professionnels, les modes de fonctionnement, les valeurs du
50 Fablet, Dominique. 2003. Un obstacle au
développement des pratiques d'intervention: l'absence de
procédures codifiées. Connexions. Cairn, 2003, n°79
" Procédures comme organisateurs institutionnels", p.144. pp. 81-97.
collectif....Il s'agit d'une approche psychosociologique.
Cette démarche concoure à la régulation institutionnelle
par un réaménagement des relations entre groupes et
catégories professionnelles d'un même collectif de travail.
Distinguer supervision et consultation est une
nécessité. Cependant, rares sont les démarches
d'intervention qui n'associent pas les deux. En fonction de la demande, l'une
prendra le pas sur l'autre ; si l'on se penche plus précisément
sur les dimensions collectives, alors la consultation sera
prépondérante. A l'inverse, si l'analyse porte essentiellement
sur la relation aux usagers, alors la supervision prendra le dessus.
Au vu des objectifs visés par une formation
intra-institutionnelle, nous pouvons nous rendre compte que les demandes
émises par les collectifs portent généralement sur les
deux versants de l'intervention. Ceux que nous retrouvons le plus
fréquemment sont les suivants :
? dégager les caractéristiques des modes de
fonctionnement et des modalités de travail développées par
les professionnels (consultation)
? repérer les dysfonctionnements et les contre-attitudes
dans les interventions de soins (supervision)
? « réfléchir au traitement
approprié pour surmonter les obstacles rencontrés
».51
Nous retiendrons donc que mener une démarche
d'intervention consiste à la fois en un travail de consultation et un
travail de supervision pour l'intervenant.
P Les étapes de la
démarche
Elle se déroule en trois phases (Fablet,
1998)52 : analyse de la demande, mise en oeuvre du dispositif
d'analyse des pratiques et séances d'évaluation.
51 Op. Cité. (Fablet, 2003) p. 105-117.
52 Fablet, Dominique. 1998. Les groupes
d'analyse des pratiques professionnells, un moyen de lutter contre l'usure
professionnelle. Les cahiers de l'actif. Mai-Juin 1998,
n°264-265, p. 123. p. 83.
· La demande : une étape essentielle pour le
cadre de sante.
La demande est essentielle en situation d'intervention. Elle
est une des principales différences avec une activité de
formation pour laquelle l'offre précède en général
la demande (plan de formation). Dans le cadre d'une situation d'intervention,
la demande précède l'offre.
Cette situation est cependant un véritable
problème au sein des établissements : l'intervention étant
construite sur la demande d'un collectif de travail, elle n'apparaît
jamais au plan de formation (et ce, malgré sa visée formative).
Le cadre de santé a donc un rôle à jouer dans cette phase.
Avant même de contacter l'intervenant, il doit s'assurer de convaincre
les décideurs de l'établissement que le projet est une
nécessité, qu'il permet d'améliorer l'efficacité de
l'équipe en offrant à chaque personnel participant la
possibilité de remettre en question ses propres pratiques.
Un argument complémentaire est l'amélioration de
la communication au sein de l'équipe, celle-ci permettant, comme vu
précédemment de retarder les départs
prématurés des corps professionnels paramédicaux : une
démarche d'intervention possède un véritable retour sur
investissement en ce sens où elle permet de fidéliser le
personnel en améliorant la qualité des échanges.
Le cadre de santé aura donc à
réaliser une demande détaillée53
précisant notamment la contribution attendue de la formation
(impact souhaité sur la performance du service), les objectifs
de compétence, les délais et périodes ainsi que la
population concernée. Suite à cette demande, le cadre de
santé devra travailler en collaboration avec le service formation de
l'établissement afin de rédiger un cahier des charges
spécifique à la démarche d'intervention.
Une fois cette étape réalisée, la demande
sera transmise à l'intervenant retenu, celui-ci devra procéder
à une phase d'analyse afin de répondre aux attentes de toutes les
parties en présence.
53 Delle Vergini, Nelly. 2007/2008,
Techniques de la GRH, la formation continue, licence AGES,
quatrième séquence. Marseille.
É La phase d'analyse
Elle ne doit pas s'éterniser : cela pourrait avoir pour
conséquence une lassitude de la part du collectif. Elle comprend une
série de rencontres entre les intervenants et les professionnels
auprès desquels l'intervention sera menée. Pour l'animateur, il
s'agit de définir les circonstances qui sont à l'origine de cet
appel extérieur, de mieux connaître le contexte : en
général, celui-ci procèdera d'abord à une
présentation générale du projet à l'ensemble des
professionnels concernés puis à la distribution de questionnaires
afin de connaître les attentes de chacun. Ces derniers permettent
également de s'assurer de la volonté de participation des membres
de l'équipe de travail. S'il n'existe pas un consensus suffisant, la
démarche ne pourra pas être poursuivie.
Si le projet est réellement un projet d'équipe,
alors la phase de mise en oeuvre du dispositif pourra démarrer.
É Les journées d'intervention
Une journée d'intervention se déroule en
plusieurs temps. L'animateur consacre d'abord un temps de travail avec les
responsables du service afin de connaître les derniers
évènements survenus. Le cadre de proximité joue ici un
rôle essentiel : il doit relever les faits qui ont marqué le
collectif et noter les améliorations (ou dégradations) dans
l'exercice de la pratique au quotidien.
Ensuite, l'intervenant organise des travaux de groupe avec les
professionnels. Il est à préciser que les responsables sont
également invités à participer. S'ils ne le souhaitent
pas, une séance de restitution sur les principaux points du travail
réalisé par les professionnels aura lieu en fin de
journée.
Ces groupes d'analyse des pratiques professionnelles sont
constitués d'environ une douzaine de professionnels. Les participants
sont invités à tour de rôle à s'exprimer sur des
situations concrètes rencontrées dans leur pratique et sur
lesquelles ils se questionnent. Les axes du travail d'analyse sont de plusieurs
ordres, nous ne retiendrons ici que celles qui touchent au collectif de travail
lui-même :
? Les procédures de travail mises en oeuvre ? Les
relations de travail en équipe
? La définition des rôles et activités de
chacun ? Les modalités de coopération dans l'équipe...
Chaque thème est abordé au cours d'une
journée, ainsi, pour faciliter et préparer la réflexion,
l'animateur peut donner des indications préalables d'une séance
sur l'autre : il peut introduire le thème par un bref exposé,
distribuer des questionnaires aux participants ou encore proposer la lecture
d'un texte.
Une séance d'intervention fonctionne comme une
réunion de service ou d'équipe. Elle est mise en place de
manière contractuelle et s'attache « aux processus groupaux en
rapport avec les valeurs et représentations collectives de
l'équipe ». Il s'agit
d'un « espace de parole à visée élaborative
» (Blondeau, 2000)54 qui contribue à donner du sens
aux actes et à la position de chaque membre de l'équipe.
É L'évaluation du dispositif
Il nous paraît important de préciser qu'un tel
dispositif n'est pas figé : il ne peut rester stable du début
à la fin. En effet, la transformation voulue du collectif peut conduire
à des remaniements nécessaires. Ce sont les séances
d'évaluation qui permettront de réajuster le dispositif en
fonction de la demande des participants.
Ce chapitre précédent, nous a permis de clarifier
ce que nous entendions par groupe d'analyse des pratiques professionnelles.
A ce stade de notre recherche, il nous paraît important de
présenter une synthèse de notre problématique. Celle-ci
devrait permettre au lecteur de resituer l'ensemble de notre propos.
54 Blondeau, Serge. 2000. Dispositifs
d'analyse clinique de la conduite professionnelle. [book auth.] Claudine
Blanchard6laville et Dominique Fablet. L'analyse des pratiques
professionnelles. Nouvelle édition revue et corrigée. Paris:
L'Harmattan, 2000, p. 286. Coll. Savoir et Formation.
|