Analyse des critiques et des discours sur la religion, les
femmes et les droits :
« Aux yeux des féministes européennes
très eurocentrées et qui se sentent porteuses de valeurs
universelles , le féminisme est par essence laïque et donc
fondamentalement incompatible avec l'islam »19.
Ceci nous amène à réfléchir sur
cette trinité « religion, femmes et droits » , le
phénomène de la laicité a accentuer l'idée selon
laquelle spiritualité et égalité sont incompatible et en
particulier concernant l'Islam. Le droit des femmes a toujours
été confronté à des critiques virulentes, que l'on
se situe d'un point de vue politique ou religieux les controverses sont la
source de la perpétuation de la domination masculine. S'agissant du
féminisme religieux ces critiques peuvent donc être
considérés comme un prétexte de plus visant a freiner
l'émancipation féminine.
19 Laure Rodriguez Quiroga, présidente de l'Union des
femmes musulmanes d'Espagne
En effet, si on se penche sur la situation des discours
féministes de manière général, on constate qu'ils
font tous à des remises en causes profondes, des remises en question
internes et externes. C'est une mobilisation complexe et qui englobe des
diversités culturelles et historiques faisant de chaque revendication
l'objet d'un débat ou d'une controverses remettant en question la
crédibilité de cette contestation.
Féminisme laïque et féminisme islamique
: deux courants différents mais une même motivation et faisant
face à des critiques similaires.
L'ouvrage de Joan W. Scott20 questionne le
mouvement féministe laïque en France en retraçant l'Histoire
de celui ci pour en desceller les failles et les raisons pour lesquelles il
fait l'objet de certaines critiques. L'intérêt de cet ouvrage est
que l'auteure aborde le sujet du féminisme en déconstruisant son
discours tout au long de l'Histoire, c'est une réflexion critique qui
peut être considérée plus au service de ce mouvement
qu'à son encontre. Il serait intéressant d'exposer la
réflexion principale de notre auteure sur le féminisme
laïque.
« Comment, sans mettre en avant le problème de la
différence des sexes, lutter contre la discrimination quand celle-ci
attribue, en fonction de leur sexe, des caractéristiques de groupe
biologiquement féminin? »
C'est dans cet état d'esprit que Joan W.Scott
questionne les mouvements féministes dans leur discours dès la
Révolution, des discours qui se sont multipliés et qui ne cessent
de faire l'objet de débats et de controverses jusqu'à nos
jours.
Cette historienne américaine, est connue en France pour
ses travaux d'histoire ouvrière française et pour la
réflexion qu'elle a développée depuis les années
1980 sur l'écriture de l'histoire des femmes et du genre. S'inspirant
d'auteurs français (tels que Foucault, Derrida, ou Lacan), elle
mène une approche dé-constructive et élabore un champ
d'analyse en perpétuel relation avec le contexte et les multiples
significations des discours des catégories étudiées.
C'est à la lumière de cette technique analytique
que l'auteure nous offre une lecture nouvelle de l'Histoire du
féminisme.
20 Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale : les
féministes françaises et les droits de l'homme, Paris, Albin
Michel, 1998
Elle commence dans un chapitre introductif par nous
présenter des personnages féminins clés de la
Révolution française de 1789. Des personnages ayant
marqués l'Histoire du féminisme en France par leur position forte
dans la lutte féministe et leur discours républicain. Il s'agit
entre autre de la révolutionnaire Olympe de Gouges, guillotinée
en 1793 ; la saint-simonienne Jeanne Deroin (1805- 1894), qui se
présente aux élections législatives de la Seconde
République et s'exile en Angleterre après avoir connu la prison ;
Hubertine Auclert (1848-1914), suffragette française accusée
d'hystérie et comparée à la Méduse ; Madeleine
Pelletier, première femme médecin des asiles, féministe
radicale qui finit sa vie à l'hôpital psychiatrique.
Toutes ces figures témoignent, de part leur parcours et
leurs idées, de la lutte idéologique et théorique qui
s'est développée dès la fin du 18ème
siècle. L'auteure nous expose le parcours et le discours de ces femmes
pour nous révéler les paradoxes qui sous tendent leurs
revendications.
Elle commence par nous expliquer que la différence
biologique entre hommes et femmes a longtemps justifié la
marginalisation des femmes de la scène politique et publique. C'est
cette différenciation sexuelle que l'on retrouve dans les discours
féministes, d'où nous dit l'auteure le paradoxe centrale de ces
revendications.
L'auteur cite Jeanne Deroin, ( Jeanne Deroin et la
révolution de 1848 ):« Le fait que les femmes soient aussi des
ouvrières , et que les décrets promettant le droit au travail les
reconnaissant comme telles, créait un problème. Car si le travail
conférait l'individualité et si les femmes travaillaient, comment
pouvait-on leur refuser la citoyenneté? » . Ici l'auteure nous
montre que les valeurs républicaines se sont retrouvées
confrontés à leurs propres contradictions. Les valeurs
prônées par la République ne sont pas respectées.
De plus l'auteure nous rappelle que ces mouvements ont
longtemps justifié leur droit à la citoyenneté par leur
devoir social accompli (celui de « mère », «
épouse »,...). Elles sont inconsciemment (ou non) soumises à
ce schéma traditionnel: page 103: « Elles fondèrent alors
leur revendications de la citoyenneté sur cette figure exemplaire du
devoir et du dévouement *...+ : la mère ».
On voit bien ici le lien qui se tisse entre le statut
politique des femmes et leur rôle social attendu. Ce qui renforce cette
conception de l'importance de ce rôle social lié à la
maternité, l'auteure nous rappelle que c'est une fonction sacrée
constituant un travail social de grande valeur et la référence
à la vierge Marie reflète parfaitement la capacité
féminine à produire en toute autonomie, sans l'intervention de
l'homme. Cette référence religieuse a été
longuement utilisée par quelques groupes féministes, c'est une
instrumentalisation du religieux pour justifier leurs revendications. C'est une
manière, bien que discutable, de révéler l'autonomie des
femmes. La maternité devient un support à la singularité
de leur identité.
L'auteure continue son analyse du discours de Jeanne Deroin:
en effet, celle-ci dénonce l'attribution du nom du père à
la famille, elle propose comme Olympe de Gouge de donner le nom de la
mère. Ainsi la question de la maternité revient. L'auteure nous
expose la position du philosophe et économiste anarchiste Pierre Joseph
Proudhon qui s'oppose à ces vagues de contestations féministes en
émettant l'idée selon laquelle l'égalité politique
des sexes constitue « un de ces sophismes que repousse non seulement la
logique mais encore la conscience humaine et la nature des choses ». Ce
discours d'une misogynie classique et répandue en cette période
de naissance de la république illustre ceux contre quoi ces femmes
(Olympes de Gouges, Jeanne Deroin, ...) luttent au travers d'un discours
tentant de démontrer les qualités propres aux femmes faisant
d'elles des individus en mesure d'être des citoyennes à part
entière. Cependant la pensée de Jeanne Deroin met en
évidence la difficulté de formuler l'égalité des
femmes dans les termes de leurs différences. On revient à
l'idée centrale de l'auteure: comment penser l'égalité
donc la revendiquer en termes de différences : différences de
genres, de rôles, de statut,...On voit bien ici que J.W Scott
décrit la sérieuse difficulté à laquelle ont
toujours été confrontés les mouvements féministes :
c'est ce paradoxe dans leurs discours qui alimente les critiques des mouvements
qui s'y oppose. D'où une autre critique formulée par Proudhon :
« L'homme, à mesure que sa raison se développe, peut voir la
femme comme son égale, mais il ne la considérera jamais comme
semblable à lui ».
Si on revient sur le concept de la maternité selon
Jeanne Deroin, celle-ci oublie la part de l'homme dans la conception de
l'enfant, elle revendique une autonomie féminine dans la production des
enfants qui est en réalité est inexistante puisque l'apport de
l'homme est indispensable à cela.
Ce sont ces arguments suscitant une controverse
quasi-automatique qui décrédibilisent ses propos. Les critiques
faites par l'auteure et que l'on peut faire nous même des idées de
Jeanne Deroin continues s'agissant de sa conception de la femme en politique :
« En politique, l'opinion des femmes quelque soient leurs tendances
républicaines ou aristocratiques peut encore se résumer en une
pensée d'amour et paix »; alors que les hommes sont: « [...]
égoïstes, cruels, et faisaient preuve d'un penchant pour la
destruction... ». On voit ici que le discours de Jeanne Deroin n'est pas
fondé sur une approche rationnelle ou scientifique lui permettant
d'avancer de telles affirmations. Attribuer des traits spécifiques
à un sexe et à un autre va à l'encontre du principe
d'égalité revendiqué par le féminisme. Ce sont
là des contradictions qui vont à l'encontre de
l'intérêt des mouvements féministes.
En retraçant l'histoire du féminisme
français et en analysant les positions de ces figures féministes
françaises, J .W Scott nous amène à
réfléchir sur la réelle fonction des mouvements
féministes et ce qui découle de leurs discours. Cette
étude critique de l'auteure nous amène a se demander s'il faut
revendiquer l'égalité au nom de l'individu (abstrait) ou faire
une différenciation sexuelle dans l'expression politique?
Rappelons que à la différence du
féminisme laïque, le féminisme musulman revendique
l'égalité mais en affirmant une différence de droits et de
devoirs, une différence qui doit tendre à l'équilibre et
à la justice. Ainsi, ce courant ne fait pas face à un paradoxe
dans son discours dans la mesure où il prend en compte une
différence de genre mais revendique une égalité entre les
deux sexes. Ceci dit; ceci ne protège pas le féminisme musulman
de critiques virulentes mais qui eux sont d'ordres idéologiques,
politiques et religieux rendant ce mouvement soumis à une pression
encore plus forte de la part de l'opinion publique.
L'étude de J.W Scott on constate comme son titre
l'indique que la difficulté majeur à laquelle est
confronté ce mouvement c'est le paradoxe et les contradictions que le
féminisme à longuement connu. Ainsi, l'intérêt
serait ici de voir la manière dont est perçu un tel courant de
pensée qui s'étend sur à peu près tous les
continents. Perçu néanmoins de manières différentes
selon les sociétés, ce courant revendicatif reste
confronté à des critiques souvent violentes même dans le
contexte politique actuel où les valeurs républicaines y sont
souvent prônées.
Il est évident que l'opinion politique aujourd'hui est
souvent assez violente vis-à-vis du féminisme. Un mouvement ayant
pris une connotation quelque peu péjorative, souvent sujet de moqueries
ou de critiques le décrédibilisant. Les féministes sont
souvent étiquetées ou catégorisées.
Pourquoi un mouvement pourtant issu de l'aboutissement de
nombreuses luttes pour une véritable démocratie et en faveur des
droits de l'homme a connu tout au long de son histoire des difficultés
et des obstacles pour asseoir sa place sans être sans cesse perçu
comme étant « déplacé »?
Ceci dit le point commun de ces deux types de mouvements
féministes peut se résumer ainsi : tout comme le féminisme
français, le féminisme islamique se retrouve face à des
critiques remettant en cause le fondement même de ces revendications.
Pour certains intégristes et réactionnaires musulmans, l'Islam
(l'Islam patriarcal tel qu'ils l'interprètent) en lui même devient
un outil qui décrédibilise et fausse les théories
féministes islamiques même si ces femmes s'appuient sur des
interprétations religieuses pour défendre leurs droits.
Tout comme les femmes en France ont utilisé les valeurs
républicaines pour revendiquer leur droit à la
citoyenneté, les féministes musulmanes utilisent les
écrits religieux (et s'inspirent de la vie du prophète) pour
avancer l'idée selon laquelle c'est une religion qui offre autant de
droits à l'homme qu'à la femme.
Ces deux courants s'appuient sur un discours qui dans les
faits les opprime mais qu'elles remettent en cause pour mettre en valeur une
interprétation à leur avantage.
On comprend alors que ces deux aires culturelles21
ayant chacun une Histoire, une idéologie dominante et un système
social diffèrent présentes des similitudes dans leur
manière de traiter le féminisme: deux mondes renfermant des
inégalités certes différentes mais qui entretiennent une
relation souvent conflictuelle avec le féminisme.
Cette analyse nous permet d'avoir un autre regard sur la
manière dont se construit un discours revendicatif afin de comprendre
les maux et les difficultés de celui-ci à s'affirmer dans la
réalité des mouvements sociaux. Ceci nous permet d'avoir une
méthode analytique sociologique pour la compréhension et
l'explication de la place qu'occupe un mouvement social: selon un cadre
théorique, un contexte historique, politique et social, le discours d'un
mouvement revendicatif quel qu'il soit ne peut être détaché
des critiques auxquelles il fait face afin de comprendre son statut et sa place
dans la société.
21 l'Occident et les sociétés arabes et/ou
musulmanes
|