INTRODUCTION
Femmes et Islam voila deux termes suffisant à eux seuls
pour nous rappeler les innombrables débats dont ils furent l'objet, les
idées reçues, mais aussi les luttes et les tournants historiques
qui ont découlé de cette question du genre en Islam.
L'intérêt sociologique ici serait pour nous de déconstruire
les conceptions que les uns et les autres se font de la femme dans le monde
musulman et de tenter de comprendre la réelle relation qu'entretiennent
les femmes avec l'Islam. Analyser les mouvements féministes islamiques
en passant par un travail d'historicisation de la question nous permettra de
comprendre l'état actuel de la situation des femmes dans le monde
arabo-musulman. Le féminisme islamique est le reflet parfait de cette
confrontation entre le monde moderne laïque et une culture religieuse
« archaïque ». La rencontre de ces deux mondes au sein de ces
mouvements aujourd'hui nous permet d'entrevoir les dessous sociologiques,
politiques et historiques qui régissent les motivations de ces
femmes.
Nous savons que partout dans le monde, le patriarcat
régit le fonctionnement des sociétés tant au niveau
politique qu'économique, le pouvoir est entre les mains des hommes en
occident oi l'Islam n'est pas la religion d'État. Ainsi, les
mécanismes qui soutiennent la domination masculine ne sont pas
imputés à une religion en particulier mais bien à un
système qui perdure depuis des siècles. Et c'est dans cet
état d'esprit que nous devons tenter de comprendre ce qui rend la femme
musulmane aujourd'hui au coeur des débats féministes et des
discours luttant contre la discrimination.
Le retour à une réalité bien plus
complexe auprès de ces femmes nous permet de voir le rapport qui existe
entre la religion et le Droit dans nos sociétés actuelles. Ce qui
nous permettra également d'entrevoir oi est aujourd'hui la place de la
religion dans les mobilisations sociales. La laïcisation des institutions
politiques tend t-elle à homogénéiser les populations de
manière à ne plus prendre en compte des revendications d'un
groupe dit « religieux ? ».
En nous intéressant ici au cas des femmes musulmanes,
cette étude nous invite à réfléchir sur un
débat plus large qui porte sur la place des femmes et leur rôle
dans la transformation des sociétés contemporaines, mais aussi
sur la place des religions dans ces évolutions. Ceci dit, nous allons
nous contenter d'étudier le féminisme islamique qui nous
apportera sans doute des éléments de réponse à ces
problématiques plus larges que nous venons de citer.
Le féminisme en tant que tel s'est développé
plus ou moins à l'échelle mondial avec l'arrivée des
notions universelles des droits de l'homme et du citoyen. Avec
l'émergence de concepts défendant
les droits de l'Homme et aspirant à
l'amélioration des conditions de vie humaine, le féminisme
constitue ainsi un mouvement en continuité logique avec ces
bouleversements sociaux-politiques qu'a connu le monde au cours de ces deux
derniers siècles.
La particularité de ce courant de pensée c'est
qu'il s'est développé dans des endroits différents
à des époques différentes avec des logiques variant d'une
région à une autre. En ce sens, il n'y a pas « un
féminisme » mais des féminismes propres aux
différentes nations dans lesquels ils émergent. Cette
pluralité s'explique par des besoins, des demandes, une Histoire et une
culture qui varie selon les sociétés. Ainsi, le féminisme
religieux (islamique, judaïque, protestant,...) ne s'oppose pas aux
principes républicains universels mais constitue un autre volet de cette
vague prônant les valeurs démocratiques mais qui s'inscrit dans
l'identité propre à ces différents groupes ethniques. Le
féminisme laïque ou protestant ne se fonde pas sur la même
idéologie pour défendre leurs intérêts mais ont
comme point commun de revendiquer l'égalité et une
amélioration de la condition féminine.
D'un point de vue historique, les premières
révolutions politiques et intellectuelles tendant vers les droits
humains ont émergé en Occident, d'où une association
automatique entre tout mouvement social revendicatif avec l'ère
culturelle occidentale.
Des révolutions qui se sont construites sur le
modèle de la séparation entre le religieux et le politique: une
laïcisation de la question politique. Ces principes n'ont vu le jour que
suite à une lutte contre le despotisme religieux. Ce point vient appuyer
cette dichotomie entre le religieux et les droits humains voir entre la
démocratie et la religion : c'est ainsi que se maintient cette
conception d'une impossible association de ces deux sphères.
En partant de ce constat, ceci nous amène à
réfléchir sur la condition et le statut d'un mouvement tel que le
féminisme islamique et dans un autre sens sur ce que être
féministe et musulmane: qu'est ce que ce statut implique socialement
dans un monde où la modernité rime avec laïcité.
Pour élucider cette idée d'identité
rendue complexe par l'état d'esprit prédominant dans nos
sociétés: il serait intéressant de se pencher sur ce qu'il
en est aujourd'hui de ce mouvement s'étendant à peu prés
à tous les continents ainsi que ses portes paroles. Analyser ces
postures et les discours tenus par ces femmes nous révèlerait les
différentes manières dont peuvent s'articuler le féminisme
et l'Islam.
C'est que le propre de notre propos tourne autour de ce
questionnement central: en quoi l'engagement de ces femmes illustre t'il une
relation complexe entre le religieux et la modernité laïque? V
a-t-il une posture légitime à adopter dans une lutte
féministe et religieuse à la fois?
C'est ainsi qu'il serait intéressant de se pencher sur
ces discours qui se situent entre ces deux volet, formant un pont reliant les
valeurs démocratiques modernes ( avec tous les facteurs
sociauxpolitiques qu'ils impliquent) aux prérogatives d'une religion.
Le mouvement du féminisme islamique tend à
s'institutionnaliser aujourd'hui et prend de plus en plus de place dans les
débats sur l'égalité hommes-femmes au sein des pays
musulmans.
Le premier Congrès International sur le
féminisme musulman à été organisé à
Barcelone du 27 au 29 octobre 2005 par la Junta Islamica Catalan (avec le
soutien du Centre de Catalogne de l'Unesco) à Barcelone. Des hommes et
des femmes appartenant à la communauté musulmane sont venus du
monde entier pour débattre d'un Islam libéral, égalitaire
et émancipateur. Ceci compte tenu bien entendu des différences
sociales et politiques que représente la pluralité des pays
concernés.
Naissance du féminisme islamique:
Le terme de "féminisme musulman" a vu le jour au
début des années 1990 principalement par des femmes iraniennes,
laïques et féministes. Ces femmes expatriées ont
participé à l'émergence d'un mouvement, depuis les
années 1980, qui reformulaient les problématiques
féministes à l'intérieur du paradigme islamique. Outre
l'Iran, cette expression circulait oralement en Afrique du Sud ( Shamima
Shaikh), en Égypte, en Turquie, et dans les pays occidentaux. C'est un
nouveau discours qui fut formulé au début par ces militantes
iraniennes à travers un journal intitulé « Zanan »
(« Femmes »). Un débat s'est ouvert autour de plusieurs
questions: l'Islam est il compatible avec le féminisme? Est-il possible
de parler de féminisme dans le cadre d'un discours musulman? Le
féminisme musulman est il une solution de rechange au fondamentalisme ou
est-ce une menace pour les discours et les mouvements laïques?
Il est évident que l'articulation du féminisme
et de l'Islam peut engendrer de tels questionnements et suscite des
débats afin de trouver un terrain où ces deux volets peuvent
fusionner de façon à promouvoir des valeurs démocratiques
et libérales.
C'est ainsi que c'est en Iran que les premiers débats et
controverses ont vu le jour autour de la question du féminisme
musulman: pour de nombreux laïques iraniens, ces deux termes de «
féminisme » et « musulman » sont contradictoires
étant donné que le féminisme s'inscrit dans la
tradition des Lumières qui remet en cause les
vérités religieuses; c'est donc un discours moderniste et
rationaliste ne pouvant s'accorder avec la spiritualité, ici la
religion.
Pour de nombreux musulmans l'Islam apporte toutes les
réponses concernant le comportement humain et la vie en
collectivité donc le féminisme est vu comme « un
phénomène déviant et une idéologie occidentale
étrangère » (P.44 Existe t-il un féminisme
musulman?) qui ne peut venir « compléter » une religion
finit dont le message est clair.
Cette conception manichéenne crée une dichotomie
qui orientalise et éxotise l'Islam. Le plus délicat est de
dépasser cette séparation simpliste mais répandue et de
comprendre l'aspect réformateur du discours féministe qui
contredit les forces fondamentalistes en terre d'Islam.
Ce mouvement converge en Iran autour de la revue
Zanan , fondée par Shahla Sherkat1, qui
soulève le débat des relations de genre à
l'intérieur de l'Islam, et de la compatibilité entre Islam et
féminisme. La revue Zanan a ouvert la voie au dialogue entre les
féministes laïques et les religieuses afin de favoriser la
participation des femmes aux doctrines et aux pratiques religieuses. Ce
magazine avança l'idée de cette lecture patriarcale du Coran qui
doit être révisée et remise en cause par les
concernés à savoir: les femmes musulmanes ; pour se faire un
discours structuré doit être mis en place de manière a
remettre en cause la différenciation naturel, « divine » des
genres à travers une approche historique et sociologique des
écrits sacrés afin de dénoncer la misogynie avec laquelle
les hommes ont interpréter le droit musulman. Le droit divin ne pouvant
être source de ségrégation et d'exclusion d'un genre, une
réinterprétation de ces textes s'impose.
C'est ainsi que l'ijtihad2 fut la première
prérogative de ces féministes, c'est-à-dire le droit des
femmes à réinterpréter les textes religieux ( le fiqh) et
la jurisprudence islamique.
1 Voir analyse du parcours De Shehla Sherkat Partie 2
2 Réinterprétation des textes religieux à la
lumière des valeurs démocratiques
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