Le parcours intellectuel et la posture de cette militante
canadienne nous permet de voir un positionnement féministe fondé
sur une lecture de l'islam différente des principes du féminisme
islamique que l'on connait. En effet, son discours met en évidence la
diversité des discours féministe et musulman. Elle rejoint dans
un certain sens la majorité des mouvements féministes musulmans
dans la mesure où elle prône « l'ijtihad ».Ceci dit
l'aspect très libéral et innovant de ses idées pour un
renouveau islamique témoigne de l'émergence d'une nouvelle
facettes de féministes musulmanes dans les pays anglo-saxons qui
remettent en cause les principes les plus ancrées en Islam.
L'intérêt pour nous est d'analyser cette posture
militante différente de celle des autres femmes afin de voir l'impact
d'une telle attitude sur la portée de son discours.
Parcours social et intellectuel:
Irshad Manji est une journaliste et militante
féministe canadienne. Elle se définit comme étant
musulmane et lesbienne et critique de manière virulente
l'interprétation étroite et extrémiste du Coran en
prônant un « ijtihad », elle revendique une
ré-interprétation du coran à la lumière des valeurs
modernes. Elle soutient les courants de libre pensée et défend
l'idée d'un islam libéral où la condition féminine
serait améliorée. Considéré par le New York Times
comme étant « le pire cauchemar d'Oussama Ben Laden ». Elle
rejoint le mouvement du féminisme islamique dans sa volonté de
favoriser « lijtihad » pour une nouvelle lecture du coran.
Son ouvrage qui a connu un considérable succés
« Musulmane mais libre » (The Trouble with Islam Today) ,
traduit en plusieurs langues; elle publie également des articles
traitant de cette question de l'islam et de la femme. Étant très
médiatisé aux États Unis par les plus prestigieuses
chaines de télévision et les journaux les plus lus, l'opinion
publique américaine semble accueillir positivement ses idéaux et
son engagements.
Née dans une famille musulmane en 1968 en Ouganda,
elle avait quatre ans lorsque sa famille immigra au Canada. Elle est originaire
d'une famille sud asiatique , ayant vécue un enfance difficile elle
l'évoque dans son premier ouvrage pour expliquer sa volonté
d'émancipation et de donner un renouveau à l'islam.
Elle suit des études en Histoires à
l'Université de la Colombie Britannique ( au Canada), poursuit en
journalisme et travailla également au sein du parlement canadien ainsi
en tant que porte parole d'Audrey McLaughin ( leader d'un parti politique
canadien). Elle anima plusieurs émissions (QFiles sur City TV,
Public Interest sur Vision TV,...). Elle est actuellement
présidente d'une chaine de télévision canadienne
consacrée à la jeunesse dans des débats portants sur
divers thèmes de la vie citoyenne.
Son engagement et son audace dans ses discours lui
conféra plusieurs prix dont le prix du courage Simon
Wiesenthal ainsi que le premier prix Chutzpah Award
d'Oprah Winfrey. Elle a fait plusieurs apparitions sur la
scène internationale dont la Women's Forum Leadership
Conference.
Conviction politique et religieuse:
Irshad Manji est homosexuelle et condamne avec virulence la
condamnation de l'homosexualité par les États islamiques; une
condamnation qu'elle juge allant à l'encontre des principes même
islamiques étant donné l'image d'Allah véhiculé par
le coran: « Allah a rendu excellent tout ce qu'il a créé
». Si ont suit cette logique, aucune créature ne doit être
condamné ou attaqué.
Ses idées ainsi que son amitié et son soutient
pour Salman Rushdi56 lui ont valu des menaces de mort, elle vie donc
sous une haute surveillance. Elle participa à la rédaction du
manifeste « Ensemble contre le totalitarisme, le Manifeste des Douze
» (co-écri notamment par Salman Rushdi, Ayaan
Hirsi Ali* et Taslima Nasreen) en réponse aux menaces
suscitées
56 Auteur de « Les versets sataniques »
par la caricature danoise du Prophète musulman
Mahomet. Elle défend l'idée d'une liberté d'expression et
de pensée et cette signature avec ces auteurs « condamnés
» illustre cette prise de position en faveur d'une liberté qu'elle
souhaite « inculquer » à la culture islamique et plus
particulièrement arabo-islamique. En effet, elle souligna dans divers
intervention le poids de la culture arabe dans l'interprétation
extrémiste et masculine du Coran, elle est considérée par
les critiques comme étant anti-arabe et sa connaissance du monde arabe
est souvent remise en cause.
Les critiques à son égard ciblent son style de
vie et ses convictions, une posture qui selon eux ne donne aucune
validité à ses propos. Elle est perçut comme un outil
médiatique et politique occidental pour contredire les États
arabes et musulmans. Ils affirment que sa célébrité vient
du fait qu'elle dit ce que les médias occidentaux veulent entendre au
sujet de l'islam.
Son prochain ouvrage qui sera publié prochainement (en
juin 2011) :« Allah liberty and love » met en avant un message de
paix et d'amour universel inspiré d'une croyance islamique à
laquelle elle affirme son appartenance. Elle veut revisiter ce que l'on entend
par l'Islam et le message qu'il véhicule.
Irshad Manji donne vie à sa pensée à
travers un site web dans lequel elle invite le public musulman ou non a
débattre de sujets divers et variés et fait appel au sens
critique en exposant des analyses de la vie en communauté, de la
citoyenneté, de la place des femmes, de l'Islam et d'autres
thématiques sociologiques et politiques pour un renouveau spirituel et
intellectuel musulman.
Analyse de son engagement:
Si l'on se situe du point de vue des critiques auxquels elle
a fait face, il s'agirait de remettre en cause son opposition à la
culture arabe et islamique dont elle fait une association assez
stéréotypée. On lui reproche sa méconnaissance du
monde arabo-islamique dans la mesure où elle rejoint Ayaan Hirsi Ali en
catégorisant l'islam comme une religion appropriée et
imprégnée par la culture arabe d'où « le mal et
l'archaïsme » dans lequel ces populations vivent.
Irshad Manji ne porte pas le voile et a
témoigné de sa position contre la burqa voire contre tout voile
islamique. L'engagement de Irshad Manji n'est pas seulement féministe
mais elle mobilise ses discours sur plusieurs terrain, cependant sa vision de
l'islam nourrit la plupart de ses interventions.
En effet, le message principal qu'elle tente de transmettre
à travers ses écrits c'est que l'Islam est une religion de
tolérance et de justice mais que l'Histoire et l'interprétation
abusive du Coran est la source des maux des sociétés musulmanes.
Elle expose sa vision de cette religion comme celle de l'acceptation de l'autre
et celle du débats et de la réflexion opposée à un
obscurantisme rigide qui a longtemps été associé à
l'Islam par certain. C'est en ce sens qu'elle invite les musulmans, les savants
et toutes les instances islamiques a accepter les critiques et les nouvelles
interprétations des textes religieux afin de lui donner plus de
crédibilité dans notre monde moderne: « Islam deserve better
from us " *interview sur aljazeera english - Mars 2008; ce qui veut
dire que l'islam mérite mieux de notre part, c'est donc une invitation a
modifier le socle spirituel rigide d'après elle qui entoure l'islam.
Elle part de l'idée suivante: étant donné que l'islam
prône la tolérance, elle se doit en tant que musulmane mettre en
oeuvre ce message central qui est celui de donner la réelle image de
cette religion, une image démocratique fondée sur la
liberté de pensée, de culte. C'est un code qui régit la
vie en collectivité et la manière dont on doit traiter « les
autres " à savoir que ce soient les musulmans ou les non musulmans.
Cette militante ne se situe pas par rapport à un
mouvement féministe islamique, mais sa position en tant que femme
musulmane et sa position pour une émancipation de la femme en valorisant
l'égalité des sexes, la justice et une relecture du Coran et des
préceptes islamiques nous amène à dire qu'elle
présente des singularités avec les figures féministes
musulmanes qui émergent de plus en plus sur la scène
internationale. Il faut souligner cependant que son style de vie et ses
discours constituent une véritable révolution souvent mal
accueillis (et rejetés) par l'opinion publique des pays musulmans car en
effet au delà de ses idées novatrices, son homosexualité
et son engagement en faveur des mariages homosexuels ont suscité de
virulentes critiques et controverses. Des controverses remettant en cause son
statut de musulmane et donc mettent en péril ses discours et son opinion
sur l'Islam.
On constate qu'il s'agit, pour cette écrivaine et
journaliste canadienne, de redéfinir ce qui est véhiculé
par cette religion si nous souhaitons aspirer à l'égalité
des sexes et à la justice en terre d'Islam. Son engagement politique, sa
prise de position (par exemple: celle de soutenir Salman Rushdi, auteur de
« Les versets sataniques », son style de vie et son oeuvre dessine un
autre visage à la lutte féministe islamique.
Il est important de rappeler que le public qui accueille
positivement sa position est principalement le public occidental (canadien et
américain en particulier), sa voix n'est pas valorisée dans les
médias arabo-islamiques et les critiques à son égard dans
les pays musulmans prennent parfois aussi forme de menaces de mort.
On peut dire que son attitude et sa position
idéologique libérale ont eu un impact sur son discours et la
manière dont il est reçu. En fonction des espaces
géographiques son engagement n'est pas perçut de la même
façon. Cette réticence aussi violente à son égard
peut s'expliquer par le fait qu'Irshad Manji remet en cause des dogmes
religieux profondément ancrés dans l'idéologie musulmane
et elle s'adresse à toute la communauté en pointant du doigt
l'aspect néfaste de la culture arabe sur cette religion.
Elle se situe sur plusieurs terrains de revendications et sa
volonté de changer une « globalité » rend sa lutte
difficile dans la mesure où elle s'adresse à un ensemble qu'on a
du mal à définir: les nations arabes? Les musulmans et les non
musulmans? Les citoyens canadiens? ; c'est ce qui la différencie
également des mouvements féministes que nous avons au
préalable cités car ces groupes s'adressent à un ensemble
bien défini, c'est-à-dire à l'ensemble de la
communauté musulmane au nom d'une population donnée.
De plus Irshad Manji vit dans un pays où l'Islam n'est
pas la religion d'État ce qui nous amène à se demander au
nom de quelle population elle revendique un changement ? Est ce la raison pour
laquelle elle est violemment critiquée par les nations directement
concernées (les pays musulmans).
C'est ce flou autour de sa posture remettant en cause sa
pratique de l'Islam qui constitue un frein à son acceptation par la
communauté musulmane en tant que féministe musulmane.