6) Femmes dans la sphère
féminine
Dans cette partie, nous pouvons noter que la femme dans la
sphère féminine chez Miyazaki est reliée à la
famille. Il est par ailleurs intéressant de noter que le concept de la
famille traditionnelle japonaise n'existe pas dans les oeuvres de Miyazaki.
Miyazaki ne représente pas la famille comme la famille traditionnelle
japonaise. Souvent dans ses scénarios, les enfants sont plus ou moins
livrés à eux-mêmes. Nous pénétrons leur
univers, la présence des parents y est secondaire. C'est pourquoi
souvent les parents sont même parfois totalement absents, ou
remplacés par des figures de substitution qui ne sont là que pour
soutenir les enfants dans des moments difficiles : ils ont ainsi un
rôle plutôt secondaire. Au contraire, les enfants sont les vrais
héros des histoires.
Dans la plupart des films de Miyazaki, les familles sont donc
divisées, loin du modèle traditionnel du
« ie » japonais, qui regroupe père, mère,
enfants, voire grands-parents vivant sous le même toit, chacun avec une
place et un rôle défini. Nous trouvons alors des schémas
différents : dans Nausicaä de la vallée du
vent, la mère de Nausicaä est morte, son père est
tué au milieu de l'histoire. Dans Le Château dans le
ciel, les parents de Sheeta sont morts, ceux de Pazu également.
Dans Mon voisin Totoro, la mère est absente, à
l'hôpital, laissant le père avec deux petites filles. Kiki, dans
Kiki la petite sorcière, quitte ses parents et vit seule. Fio
Piccolo est élevée par son grand-père dans Porco
Rosso. Dans Princesse Mononoké, San est orpheline, ainsi
qu'Ashitaka. Chihiro, dans le Voyage de Chihiro, est
séparée de ses parents au début du film, pour ne les
retrouver qu'à la fin. Dans le Château ambulant, Sophie
n'a pas de père, nous ne voyons que sa mère, qui est souvent
absente. Enfin, dans Ponyo sur la falaise, Lisa élève
seule son fils Sôsuke, le père étant souvent absent en mer.
Chaque famille, dont les enfants sont héros de l'histoire, ou bien
adolescents et jeunes adultes, est éloignée du modèle
traditionnel.
Les enfants se retrouvent donc souvent dans des rôles plus
responsables, plus indépendants que le voudrait leur âge.
Par exemple, dans Mon voisin Totoro, Satsuki, en
l'absence de sa mère malade, veille sur sa petite soeur Mei. Elle n'a
que neuf ans, et déjà est très mature et autonome. Elle
s'occupe même plus de son père que celui-ci ne s'occupe de ses
filles. Bien que Mei suive sa grande soeur partout, et répète
tout ce qu'elle dit, comme dans n'importe quelle relation entre deux soeurs de
ces âges (quatre et neuf ans), Satsuki est pour elle une figure
maternelle qu'elle ne trouve pas ailleurs.
Satsuki coiffe sa petite soeur, reprenant le rôle de sa
mère ; elle fait également à manger. Une scène
montre bien que la petite fille occupe le rôle de maman depuis que sa
mère est à l'hôpital : un matin où son
père doit partir travailler, elle le réveille, prépare
à manger pour tout le monde, lui rappelle de déjeuner.
00 : 25 : 23
00 : 25 : 38
Satsuki, neuf ans, éveillée bien avant son
père, prépare le petit-déjeuner et le déjeuner pour
son père et sa soeur dans Mon voisin Totoro
La scène où Grand-Mère amène Mei
à l'école de Satsuki révèle également
combien la grande soeur a repris le rôle maternel, sa petite soeur ne
pouvant se passer d'elle et ne trouvant aucun réconfort ailleurs. Lors
de la disparition de Mei, Satsuki part à sa recherche. Elle n'est pas
une enfant dans ces instants où elle pense à sa soeur, en
étant responsable. Les seuls instants où nous retrouvons une
petite fille sont ceux où elle cherche du réconfort auprès
de Grand-Mère, leur voisine, craignant la mort de sa mère
à l'hôpital.
La « vraie » grand-mère pourrait
être Grand-mère dans Mon voisin Totoro : une vieille
dame habillée de façon traditionnelle, vivant dans la campagne,
une femme simple et attachante. Grand-mère se prend très vite
d'affection pour Mei et Satsuki, qu'elle console tour à tour, ces
dernières étant peinées par la maladie de leur
mère. Femme paysanne, elle vit simplement et leur fait découvrir
les plaisirs de la campagne. Son rôle est celui d'une grand-mère
de substitution, apportant aux petites filles un élément de
famille manquant.
Les larmes qu'elle verse lorsque Mei est retrouvée saine
et sauve après sa disparition témoignent de son attachement pour
les petites filles, et de son véritable rôle comme substitut
parental. Elle a un rôle traditionnel, en accord avec le rôle de la
femme dans la sphère qui lui correspond : s'occuper des enfants.
Grand-Mère n'a jamais eu de travail, c'est une femme de la
campagne ; elle s'est donc toujours occupée de sa maison, de ses
enfants. Elle s'occupe à présent des enfants de son voisin, et de
son propre petit-fils.
(01 : 23 : 55)
Grand-mère enlaçant Mei après sa
disparition, dans Mon voisin Totoro
Il est intéressant de noter que dans Mon voisin
Totoro, nous retrouvons un schéma correspondant aux modèles
féminins des années cinquante, l'histoire étant
située à cette époque : les sphères masculines
et féminines sont séparées -Satsuki s'occupe de sa soeur
et de la nourriture, cela étant probablement le travail de sa
mère avant son départ- mais la famille est bouleversée par
l'absence de la mère. Le père se retrouve donc dans un rôle
inhabituel à l'époque : s'occuper de ses enfants sans sa
femme.
D'autres femmes sont représentées dans des
rôles les montrant dans la sphère féminine : ainsi
Lisa, qui est pourtant représentée comme une femme moderne,
indépendante, travaillant, évolue tout de même dans un
monde qui « convient » aux sphères
traditionnellement féminines. Elle travaille dans une maison de
retraite, ce qui est un travail en rapport direct avec les sphères
réservées aux femmes : s'occuper des personnes
âgées, des enfants. Elle est très jeune, comme nous l'avons
vu, mais est déjà mère : ceci pourrait montrer un
attachement au rôle maternel que doivent jouer les femmes dans le Japon
encore ancré dans ses traditions, et cela le plus tôt possible,
pour ne pas être vues comme des « vieilles filles ».
Les femmes que nous rencontrons qui évoluent dans les
sphères féminines semblent être des personnages
attachés aux traditions. Elles demandent aux héros masculins de
protéger les héroïnes, notamment. En effet, dans Le
Château dans le ciel, la femme du patron de Pazu demande à ce
dernier de protéger Sheeta.
Sheeta semble être sur un pied d'égalité avec
le héros qui l'accompagne, Pazu. Mais celui-ci est tout de même
celui qui la protège. Les personnages du film, tels que la femme du
patron de Pazu, pensent qu'elle doit être protégée par un
homme, qu'elle ne peut pas se défendre sans un homme. Celle-ci explique
à Pazu : « elle est tellement mignonne ; il faut que
tu la protèges. » Cela signifie qu'une petite fille comme
Sheeta n'est pas assez forte pour être seule. Elle a besoin d'un
garçon, même si celui-ci a le même âge qu'elle.
Une autre caractéristique du rôle féminin
appartenant toujours à celui de la sphère domestique
réservée aux femmes est celle-ci : la bande des pirates
accueillant Sheeta et Pazu, sachant que Sheeta restera avec eux un moment, se
réjouissent de ne plus avoir à faire le ménage, la
vaisselle... il leur paraît tout à fait naturel que la fille
s'occupe des tâches ménagères, de la cuisine. Comme dans
Mon voisin Totoro, les petites filles ont un rôle de
« petite femme », mais sont aussi courageuses et
intrépides. Nous pensons ainsi à Sheeta, ou Chihiro, qui
évoluent dans un monde féminin : Sheeta s'occupe de la
vaisselle, de la cuisine chez les pirates, Chihiro nettoie les bains, mais font
en même temps preuve de courage.
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