3.2 La redéfinition théorique des principes
de la conservation
L'approche conversationniste mise en place jusqu'au
début des années 1990 repose sur une perception figée de
l'environnement où la notion d'équilibre des
écosystèmes tient une place centrale. Pour les acteurs de la
conservation, les relations entre la nature et les sociétés
étaient envisagées de manière simple et mécaniste.
L'absence de considération associée à
l'incompréhension des populations locales a abouti à les
considérer comme incapables d'assurer la gestion de leur environnement.
Dans les pays des Suds, l'ethnocentrisme des experts occidentaux a très
longtemps appuyé ces jugements hâtifs. La nature avait donc besoin
d'être protégée pour elle-même et défendue par
rapport aux agressions d'origine anthropique. La dimension
anthropogénique des territoires était expressément
ignorée.
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L'espace
protégé selon l'approche
radicale avant les années 1990
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L'espace
protégé selon l'approche
intégrée dans les années
1990
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Conception De
l'espace protégé
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Conçu comme une unité Séparé de
gestion est autonome
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Eléments d'un système de protection
multiscalaire (du régional à l'international)
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Protège seulement l'existant, de manière
fixiste, sans gestion évolutive
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Inclut la restauration d'éléments disparus,
selon une approche interventionniste et évolutive
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Protège la nature et les paysages sans
objectifs d'utilisation
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Protection multifonctionnelle (écosystèmes,
recherche, tourisme, production, culture)
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Elément ayant une valeur nationale voire
universelle
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Elément ayant à la fois une valeur universelle
et une valeur locale
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Etablissement de l'espace
protégé
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Etabli de manière technocratique (politique
top down)
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Etabli de manière concertée voire sur
initiative locale (politique bottom-up)
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Etabli par un contrôle des populations locales,
sans tenir compte de leurs attentes sociales, sans participation
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Etabli pour aider au développement local, selon un
principe de cogestion voire de gestion décentralisée
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Gestion de
l'espace protégé
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Géré comme un « isolat » de nature
coupé des autres espaces
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Géré en relation avec d'autres territoires
protégés, liés par des « corridors biologiques
» et des « environnements ruraux »
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Géré de manière
réactive, à court terme
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Géré de manière adaptative, à
plus long terme en fonction de l'expérience
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Géré par des scientifiques exclusivement,
approche sectorielle (écologie)
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Géré par des personnels ayant plusieurs
compétences, notamment en sciences sociales
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Avantages de
l'espace protégé
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Bénéfices écologiques
évidents, non questionnés
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Bénéfices écologiques
évalués et quantifiés régulièrement
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Bénéfices sociaux exogènes (visiteurs
exclusivement)
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Bénéfices sociaux pluriels (profite aux
populations locales)
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Figure 7 : Concrétisation du changement de
paradigme appliqué aux Aires
Protégées (D'après Borrini-Feyerabend,
2005)
Dans les années 1990, la conservation est
repensée et de nouveaux principes théoriques émergent.
Comme le montre le glissement paradigmatique du radical à
l'intégré, le cadre conceptuel s'élargit aux dimensions
sociales et territoriales des problématiques liées à
l'environnement (Despraz. 2008). Ce retournement stratégique
représente un réel progrès pour les chercheurs en sciences
sociales : « Les populations locales commencent à exister de
manière concrète, on entrevoit leur
hétérogénéité et leur complexité, on
les devine imaginatives, préoccupées de leur propre devenir, on
efface l'image des gens enfermés dans l'immuable, indifférents ou
inaptes au progrès » (Boutrais. 2002).
Les enjeux sociaux et politiques de la gestion de
l'environnement font l'objet de plus d'attention. Les AP se voient
déclinées en plusieurs catégories par l'UICN afin
d'affiner les objectifs de conservation selon les cas (cf :
récapitulatif des catégories en annexe). Les modes de gouvernance
sont au coeur des préoccupations afin de s'assurer du caractère
démocratique des décisions. Ces orientations ont
été largement reconnues et font même partie
intégrante de la conditionnalité des financements alloués
par les bailleurs.
Toutes ces évolutions invitent à
redéfinir les politiques institutionnelles ainsi qu'à imaginer de
nouveaux modes d'action et des outils méthodologiques adaptés.
Elles ont posé beaucoup de problèmes dans leur mise en oeuvre et
sont loin d'avoir été effectives.
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