2.2 Les AMP, un phénomène récent d'une
ampleur mondiale
Suite à leurs engagements internationaux, de nombreux
pays ont initié des plans d'action et des politiques nationales de
création d'AMP. Pour certains d'entre eux comme l'Equateur ou
l'Australie, cette mise en protection est déjà bien effective
puisqu'ils possèdent respectivement 12,5% et 7,5% de leur façade
maritime classée en AMP (Lefebvre, 2005). Mais ces derniers font figure
d'exception. Des réseaux régionaux ont vu le jour traduisant
l'implication des états et la globalité de l'approche mise en
place. Comme le montre le programme AMP de la Commission de l'Océan
Indien (COI) concernant Madagascar ou encore la Fondation Internationale pour
le Banc d'Aguin. Des programmes de coopération internationale Nord/Sud
se penchent également sur cette thématique (Weigel, 2007).
Au niveau mondial, le nombre d'AMP a triplé en 30 ans.
Sur les dix dernières années la surface concernée augmente
de 5% an (UICN, 2005), entre 2000 et 2005 le nombre d'AMP est passé de
4600 à 5127 (UICN, 2005). Le nombre de projets est impressionnant et
traduit une volonté clairement affichée de rattraper le retard en
matière de conservation marine. Les objectifs fixés au niveau
mondial sont de l'ordre de 15 % de la surface totale des océans
répartis en un réseau représentatif des différents
habitats marins à l'échelle de la planète.
Les pays en voie de développement sont
particulièrement concernés par le phénomène des
AMP. Majoritairement située en zone intertropicale, la
biodiversité marine de ces états est parmi la plus riche du
globe. Les enjeux liés à la gestion de l'environnement marin y
sont considérables dans un contexte de dégradation et de
surexploitation des ressources dont les populations sont
particulièrement dépendantes. Ce constat associé à
une certaine dramatisation environnementale concernant les pays du Sud, pousse
comme ont peut le voir à Madagascar les acteurs de la conservation
mondiale à surinvestir ces régions. Les projets d'AMP y sont donc
comme nous le verrons par la suite parfois très discutés.
2.3 Des enjeux territoriaux importants et spécifiques
aux AMP
Les projets d'AMP se caractérisent par la
présence sur le même espace de deux modes de constructions
territoriales : le littoral et les aires protégées. Ils
présentent donc des enjeux territoriaux issus des particularités
de chacune de ces constructions et résultants de leurs combinaisons. Il
semble donc que pour être efficaces les projets de conservation doivent
s'intégrer à la dynamique de gestion et de valorisation du
littoral ; d'autant plus que celle-ci ne semble pas toujours être
basée sur une gestion durable de l'environnement. Les
spécificités environnementales et territoriales des milieux
marins sont telles qu'une réflexion méthodologique approfondie
à propos des AMP apparaît indispensable. L'objectif étant
de développer des approches et des outils conceptuels appropriés
plutôt que de s'appuyer sur ceux habituellement utilisés en
conservation terrestre. A ces enjeux s'ajoutent ceux liés au contexte
politico-environnemental. Nous verrons leur importance dans le cas de
Madagascar. L'examen des caractéristiques de chacun des espaces
constituant les AMP apportera un éclairage concernant les enjeux
territoriaux inhérents à ce type de projet.
Les espaces littoraux
Les espaces littoraux sont caractérisés par
leurs singularités environnementales à l'origine d'une
attractivité importante (Miossec. 2001). Ils représentent des
systèmes plus ou moins anthropisés, polyfonctionnels et complexes
(cf : schéma en annexe) Les enjeux d'aménagement et de
développement y sont particulièrement forts. Ils reposent en
premier lieu sur la protection de ressources naturelles fragiles et fortement
sollicitées. Un deuxième enjeu important est la gestion de la
diversité des usages. En effet de nombreux acteurs aux logiques parfois
très différentes agissent sur les littoraux. S'il existe des
synergies entre les activités mises en place, les cas d'antagonisme sont
très fréquents. Ces enjeux placent les
espaces littoraux au coeur des mécanismes de la gestion
territoriale. La dimension politique de leur aménagement est claire :
« Les intérêts des groupes socioprofessionnels que l'on
rencontre sur les littoraux sont très différents et
fondamentalement antagonistes. Dans ce contexte les choix effectués en
matière d'aménagement et de développement du littoral ne
peuvent être que politiques. » (Miossec. 2001). On y
observe en effet une implication importante de nombreux services
étatiques plus ou moins décentralisés, associée
à une mobilisation sérieuse de tous les autres acteurs
concernés.
Les spécificités environnementales et
territoriales des littoraux en font des espaces complexes
caractérisés par un entrecroisement de diverses entités
(terre/mer, espaces naturels/espaces de loisirs) ainsi qu'une superposition
d'échelle d'analyse et d'action relative à l'ampleur et la
prégnance de leurs enjeux territoriaux (Corlay, 1999).
Figure 3 : Le système littoral, une structure
spatiale (D'après Corlay, 1999)
Les aires protégées
Créant une zone de droits spéciaux en vue
d'assurer la conservation d'éléments du patrimoine naturel,
l'Aire Protégée (AP) repose sur un phénomène de
discontinuité spatiale important. (Gay, 2003). La mise en protection
d'un espace par le biais de son classement a des impacts importants sur les
territoires concernés. On observe tout d'abord une recomposition
spatiale : les zonages environnementaux sont des éléments
nouveaux dans le territoire. Ils vont conférer aux différents
espaces des valeurs et des règles particulières. Les interdits
d'accès, d'usages ou de pratiques sont tels que l'on observe une
dépossession territoriale. C'est ainsi que vont fortement évoluer
les systèmes d'activité, d'accès et de
représentation sur le territoire (Giraut, Guyot et Houssay-Holzscuch,
2004).
Figure 4 : La friction territoriale entre un espace
protégé et une société locale (Depraz,
2007, d'après les concepts de Debarbieux, 1995)
L'intervention au niveau local de politiques étatiques
ou internationales génère une perturbation des systèmes de
pouvoir en place. La redéfinition des enjeux et des valeurs liées
à la gestion de l'espace engendre une friction territoriale (Despraz,
2008) ainsi qu'une évolution des potentiels de richesse et
d'autorité pour les acteurs du territoire. Il en résulte une
redistribution des pouvoirs influencée par les normes et les objectifs
de l'AP (Dahou et al, 2004). Les interactions entre les acteurs locaux y jouent
également un rôle important, en effet la restructuration
territoriale est une période de transition, propice au repositionnement
stratégique des acteurs.
Entre les acteurs de la conservation et les
sociétés locales, les perceptions et la nature des relations
vis-à-vis de l'environnement sont divergentes. L'instauration d'une AP
entraîne des donc conflits de représentation. La nature et ses
éléments patrimoniaux sont ainsi redéfinis selon les cas
au travers de différentes orientations : rationalisation,
démystification, cristallisations des conflits et des revendications.
En plus de ce bouleversement des rapports à
l'environnement, l'AP et en particulier sa dynamique de projet active des
mécanismes psychologiques très profonds chez les
populations dont le territoire est concerné (Despraz,
2005). La perception de cette dernière influence le positionnement des
individus. Des sentiments traumatiques et de dépossession symbolique
sont également ressentis. Ils s'accompagnent souvent de relations
conflictuelles, violentes et infantilisantes avec les promoteurs de l'AP. Il en
résulte des attitudes de réactance ou de résignation
influençant le comportement collectif des acteurs locaux et la gestion
de l'Aire protégée en elle même. (Laslaz, 2006)
Figure 5 : Positionnement individuel par rapport
à l'espace protégé(Despraz, 2008)
Figure 6 : Traduction collective et impact sur la
gestion de l'espace protégé (Despraz, 2008)
2.4 Les orientations actuelles de la conservation, un
constat qui pousse à la remise en question
Le recours aux AMP pour répondre aux enjeux
environnementaux marins semble généralisé. Ce constat nous
invite à poser la question des fondements conceptuels de cet instrument
de conservation. Dans les années 1990, l'implication des chercheurs en
sciences sociales sur les problématiques de la gestion de
l'environnement et des relations entre nature et société a permis
une certaine prise de conscience (Blanc-Pamard et Boutrais, 2002).
Les dynamiques et le fonctionnement des
écosystèmes sont d'une grande complexité que la biologie
est bien loin de pouvoir appréhender. Les relations entre les hommes et
leur environnement sont en partie influencées par des facteurs externes
à la sphère environnementale : culture, économie, climat
politique. La gestion de l'environnement a donc évolué
sensiblement vers une prise en compte des dimensions sociales et locales. Les
acteurs de la conservation ont été dans un premier temps
contraints de tenir compte et d'intégrer ces notions dans leurs
discours. Par la suite, on a constaté les nombreux échecs ainsi
que les réels blocages auxquels a abouti cette approche novatrice.
L'efficacité des programmes et des actions de conservation participative
a été très aléatoire (Aubertin et Rodary, 2008).
Les difficultés rencontrées à Madagascar par le programme
GELOSE censé déléguer au niveau local la gestion des
ressources naturelles le montrent bien (Bertrand, 2006).Leur mise en oeuvre est
à l'origine de nombreux conflits territoriaux, identitaires et
fonciers.
Passée cette phase de déstabilisation pour les
conversationnistes radicaux et vu les difficultés rencontrées, on
a vu réapparaître à partir du 5eme Congrès mondial
sur les AP de 2003 des procédures plus administrées, très
orientées vers la conservation stricte (Méral et
Raharinnirina-Douget, 2006). Ce constat soulève des questions relatives
aux orientations réelles et effectives que prend la conservation ?
L'analyse de cette considération passagère du social et local
dans l'environnement ainsi que de ses conséquences permettra de mieux
comprendre le contexte actuel et les orientations que prend la gestion
environnementale.
3. La gestion intégrée de l'environnement,
une démarche difficile à mettre en oeuvre
3.1 Un nouveau paradigme environnemental
intégrateur dans les années 1990
L'évolution du paradigme environnemental repose sur un
élargissement des objectifs de la protection de la nature vers des
considérations non-écologiques et plus largement sociales. A
l'origine se situe un changement dans les représentations liées
à la nature (cf : schéma en annexe). La nouvelle éthique
environnementale consiste à tenter une intégration de l'homme et
de la nature. Les principes du développement durable ont fortement
influencé cette réflexion. Le système « environnement
» doit être pris en compte dans sa globalité
géographique. (Blanc-Pamard et Boutrais, 2002)
Il est important de noter que le passage d'un paradigme
à un autre n'est pas immédiat. Des résistances politiques
et sociales apparaissent. Elles engendrent une situation de cohabitation entre
les deux paradigmes pas toujours évidente.
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