4.3 Une mobilisation d'acteurs à l'origine d'une
situation complexe
Figure 22 : Echelles d'action et niveaux d'implication
des acteurs, une logique interventionniste (Adapté de
Barret, 2003)
Quelle est l'implication effective des différents
acteurs dans la création de l'AMP ? Le diagramme ci-dessus positionne
les acteurs autour du projet selon l'intensité de leur implication. On
met en évidence ainsi les acteurs majeurs représentant le coeur
de décision et d'action du projet. La présence du promoteur et de
l'opérateur de l'AMP montre bien à quel point leur action est
nécessaire à un projet qui est principalement le leur, ou du
moins celui que le contexte national impose. Les acteurs produisant la
connaissance et l'expertise selon des critères exogènes au
territoire y sont prépondérants. Ce positionnement
démontre une intégration limitée des perceptions locales
de l'environnement. Quant aux acteurs locaux, ils y trouvent leur place
uniquement au travers de leur opposition au projet. La situation conflictuelle
du projet s'explique par les interactions entre tous ces acteurs
caractérisés par des échelles d'action et de perception
différentes.
En périphérie se situent les acteurs
considérés comme secondaires dont l'implication reste ponctuelle
ou particulièrement distante à l'échelle du projet. Les
communes resté en retrait auraient pu représenter un niveau
intermédiaire dans l'analyse et l'action. La présence du MEFT, de
L'ONE et des bailleurs de fonds ne doit pas occulter leur importance au travers
des pressions qu'ils exercent sur le promoteur vis-à-vis de
l'aboutissement de la procédure.
Figure 23 : Une organisation relationnelle à
l'origine des blocages
L'identification et la caractérisation des relations entre
les acteurs au travers de leur schématisation permettent de mieux
comprendre les jeux d'acteurs opérant.
Il semble que deux grands systèmes soit à
l'origine de la situation problématique. On observe tout d'abord un
système d'influence institutionnel puissant s'exerçant sur le
SAGE. Il a pour origine les bailleurs, le MEFT, CI et la région. Ces
acteurs qui orientent de différents moyens (financement, cadre
législatifs, orientation de développement) le projet vers des
objectifs qui leur sont propres. Ces influences se répercutent sur les
communautés locales au travers de l'action du SAGE. Vu les contraintes
(temporelles, financières et déontologiques) qu'il subit, la
prise en considération de la dimension locale du projet est très
difficile.
Le deuxième système est celui des pressions en
partie clandestine que les opérateurs privés opposés au
projet exercent sur CI et le SAGE. Les communautés et les leaders locaux
constituent dans ce système des intermédiaires entrant en conflit
direct avec CI et SAGE. Les opérateurs privés restent ainsi dans
l'ombre, mobilisant leurs réseaux d'influence et de corruption. Les
conflits entre les communautés et le SAGE sont accentués par le
manque de considération et de pouvoir attribué à
l'échelle locale et inhérent au premier système
décrit.
Le schéma illustre les contraintes très
fortes que les communautés locales subissent dans le processus.
Mises sous pressions et manipulées par les opérateurs
privés, elles sont également victimes d'une exclusion de la part
des opérateurs de l'AP. Dans ces conditions la durabilité sociale
du projet est plus que remise en question. Il manque réellement
une dynamique ascendante et positive de mobilisation des acteurs. Les
communautés devraient pouvoir orienter le projet et pour cela
développer des relations d'échange plus constructives avec les
experts, CI et le SAGE. La prise en considération de tous les
acteurs et surtout des opposants permettra d'éviter les relations
indirectes d'opposition à l'origine de tensions très fortes. Un
réel processus de médiation invitant à redéfinir
les relations entre les acteurs (au moins au niveau local) semble
nécessaire.
4.4 Des modalités d'action à l'origine
d'une connaissance limitée du territoire
Après avoir délégué l'animation du
processus au SAGE, CI a gardé la responsabilité de la
communication générale autour du projet. On note dans l'action du
SAGE un investissement important au niveau régional et administratif.
L'organisation des ateliers régionaux de validation, le montage
institutionnel du projet (comité de pilotage, groupe de travail
scientifique) et l'élaboration des dossiers de création pour le
MEFT représentent les activités les plus importantes.
Les actions au niveau local sont donc pour le SAGE comme pour
CI particulièrement restreintes. Les nombreux blocages, le manque de
moyens et de méthodes n'ont pas facilité leur mise en oeuvre. Ces
dernières sont particulièrement ponctuelles et difficiles
à maintenir dans le temps. Les relations avec les acteurs locaux et le
territoire sont donc limitées.
La plupart des études de terrain et des diagnostics ont
été réalisés par des consultants extérieurs
selon des approches sectorielles, sans concertation ni méthodologie
à l'échelle du projet. Aucune logique d'analyse globale ne semble
présente : les informations sont disparates et
hétérogènes. Elles ne semblent pas faire l'objet de
synthèse ni d'une quelconque capitalisation. La compréhension du
territoire n'a pas pu être développée dans toute sa
complexité. Les représentations de l'espace appuyé en
partie par les seules cartes existantes (carte de végétation,
d'habitats écologique et de sensibilité) sont dominées par
l'approche naturaliste et conversationniste.
L'importance donnée par SAGE et CI au respect
scrupuleux de la procédure montre une certaine focalisation sur les
dimensions environnementales et officielles du projet. Les mesures de
protection concrètes à l'image du zonage et des restrictions
d'exploitation concernant les ressources naturelles ont été
très rapidement et de manière insistante mises sur la table des
négociations avec les communautés locales.
4.5 La divergence des logiques d'action mise en
évidence par une analyse multiscalaire
Le processus de création d'aire protégée
ne peut pas être analysé et interprété de la
même façon à l'échelle nationale, locale ou
régionale. Il répond en effet à des problématiques
et des enjeux différents selon les cadres d'observation. D'autre part,
toutes les échelles sont nécessaires et complémentaires
pour comprendre le phénomène dans sa complexité.
- L'échelle locale
Le projet repose principalement sur la préservation des
ressources naturelles et de la biodiversité. L'objectif étant
d'assurer la conservation d'habitats et d'espèces
considérés comme menacés en vue de leur valorisation
écologique et écotouristique. Des mesures de compensations sont
envisagées pour faciliter l'acceptation par les communautés de
réglementations restrictives visant à limiter leur impact sur
l'environnement. L'origine et la réalisation du projet sont
attribuées à une dynamique exogène menée par des
acteurs extérieurs. Ce projet va donc devoir s'intégrer au sein
d'un contexte local présentant déjà des structures
établies. Il va rentrer en interaction directe avec celles-ci de
manière intense. Les conséquences (déjà
évoqué dans la partie 1) de l'AMP au niveau local sont donc
très importantes : réorganisation territoriale,
redéfinition des espaces et redistributions des pouvoirs. En
réaction, de nouvelles stratégies personnelles ou communautaires
vont voir le jour.
- L'échelle régionale
Au niveau de la région Diana, la création de
cette AP a pour but la valorisation de la biodiversité et la gestion
durable des ressources naturelles. Ces deux aspects correspondent aux
orientations régionales reposant principalement sur l'environnement
comme moteur de
développement (tourisme, production agro-alimentaire).
Il contribue également aux objectifs chiffrés de création
d'AP sur la région. Ce projet est à l'origine de nouveaux enjeux
d'ampleur régionale concernant le territoire. Située à
proximité immédiate d'Antsiranana, la baie d'Ambodivahibe peut
devenir un des sites touristiques phares de la région. Les risques
liés à la sur-fréquentation sont réels. Des enjeux
fonciers et immobiliers sont déjà en train de se manifester au
travers de la spéculation sur les sites les plus attractifs. On observe
une démarcation effective du territoire concerné liée
à la médiatisation et aux difficultés du projet. Ces
conflits locaux se répercutent bien sûr à cette
échelle puisque la mobilisation des responsables et de certains acteurs
importants a été nécessaire.
- L'échelle nationale
Le SAPM et la nouvelle approche de la gestion de
l'environnement à Madagascar constituent le cadre national du projet. Le
projet d'AMP à Ambodivahibe contribue également à la
constitution d'un réseau national censé être significatif
et représentatif à l'échelle du pays. Il permet ainsi de
répondre aux objectifs internationaux en matière de conservation
et de satisfaire à la conditionnalité environnementale des aides
au développement. Les modes d'intervention des ONG de conservation
montrent bien le caractère exogène des politiques de conservation
mises en oeuvre dans le pays. Le contrôle sur les ressources et les
espaces leur est ainsi assuré dans des logiques d'exploitation
économique et de libéralisation de l'économie. Le projet
alimente donc au niveau national un ensemble de jeux d'influence et de flux
financiers.
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